Pater, La Conquête, deux visions du président de la république
Hasard du calendrier du Festival de Cannes, deux films français traitant de la vision politique française se sont succédés : Pater, du très respecté Alain Cavalier, et La conquête, sorte de biopic choc et fourre-tout sur Nicolas Sarkozy. Deux films présentant un président de la république, en devenir ou en pourparlers, mais possédant chacun une vision diamétralement opposée de l'autre en ce qui concerne les moyens à mettre en jeu pour affûter son discours. Et la comparaison risque de ne pas jouer en la faveur du film biographique de Xavier Durringer.
Le dispositif
Dans la forme, pour commencer, ces deux films n'ont rien à voir. Xavier Durringer signe, avec La Conquête, un biopic très classique, racontant les années de Sarkozy entre 2002 et son arrivée en pouvoir en 2007, mais aussi parallèlement la journée du 6 mai où la France le désigna comme son président. Le film se joue de l'image de Sarkozy et du spectacle qu'il livre sans cesse auprès des médias. Cela donne un film proche de lui, bourré de tics, légèrement racoleur, qui essaie systématiquement d'en mettre plein la vue.
Pater a le scénario d'une farce : durant plusieurs mois Alain Cavalier et Vincent Lindon se sont retrouvés autour de bons repas et de bonnes bouteilles. Pendant ce temps ils faisaient un film, un film où Alain Cavalier serait président et Vincent Lindon son premier ministre. Ils jouaient, se filmaient, et filmaient la préparation de leur film, mélangeant ainsi habilement la structure narrative de leur récit à celle d'un making-of de copains rigolards, une sorte de happening cinématographique iconoclaste.
Aspects biographiques
Cinq ans de la vie de Nicolas Sarkozy, cela permet de brasser beaucoup de sujets, la fin de sa relation avec sa femme Cécilia, son enthousiasme politique, mais aussi une galerie de personnages politiques importants : Jacques Chirac, Dominique de Villepin, Claude Guéant ou encore Rachida Dati. Embourbé dans son dispositif et son envie de condenser toute l'image de Sarkozy en une heure quarante-cinq, le film oublie pourtant l'essentiel : de donner à voir l'homme qui existe derrière cette image, d'esquisser les raisons à tout ce bal des idiots. Vulgaires, obnubilés par le pouvoir, la façon dont est décrite la scène politique française est mordante, mais aussi limitée. Même si ces hommes sont des bêtes de pouvoir, nous aurions aimé en savoir un peu plus sur les aspirations qui se cachent derrière leurs costumes. Leur rang, leur fonction, devient le seul langage qu'ils connaissent. Dans le film d'Alain Cavalier, à l'inverse, ce sont vraiment Alain Cavalier et Vincent Lindon qui sont président et premier ministre. Ils en parlent avec amusement, et s'essayent à quelques scènes à l'arrachée, d'une invraisemblable décontraction pour un sujet aussi sérieux. Et c'est justement ce qui fait tout le charme du film.
Les enjeux politiques et leur mise en perspective
De ce fait, les enjeux politiques de La Conquête sont réduits à leur minimum : jeux de pouvoir entre le triangle Chirac / Villepin / Sarkozy, tentatives de séduction puis trahison, exposition médiatique, il livre un alarmant message sur la réalité politique d'aujourd'hui : pour gouverner il ne suffit plus de faire, il faut surtout montrer ce qu'on fait.
Pater traverse lui aussi quelques moments incontournables d'une épopée présidentielle. Cavalier choisit Lindon comme premier ministre, il le nomme, et lui propose de l'aider à mettre en place le projet le plus important de sa carrière politique : une loi instaurant un salaire maximal pour tout employé, en rapport avec le salaire minimal. Même si Pater est épuré au maximum, tout est tourné dans l'appartement de Cavalier, entre la cuisine et la salle à manger, le film travaille la notion de pouvoir au corps, exposant ses excès de zèle mais aussi sa stature, son éventuelle bravoure. Tour à tour seront évoqués la passation de pouvoir, les crises d'ego, ou encore la possibilité d'un scandale sexuel, une scène qui provoqua l'hilarité cannoise en ces temps d'actualité très chaude. Objet d'abstraction, Pater va donc raconter comment le pouvoir est avant tout fait par les hommes, avec tous leurs défauts et leur subjectivité, là où La Conquête oublie justement de montrer le pouvoir en action, et se perd en verbiages incessants.
Ne sois pas insolent extrait de La Conquête
Sous-jeu et sur-jeu
Denis Podalydès et Vincent Lindon, personnage principal du film même si Alain Cavalier incarne le président, incarnent donc deux conceptions différentes du jeu. Dans Pater l'idée politique est mise au niveau de l'homme, dans une conviction, une envie de bien faire tout à fait préhensible. Vincent Lindon et son président sont calmes, tempérés, animés par leur projet politique. Pourtant, lorsque leurs costumes sont au placard, et que les deux hommes ne sont qu'eux-mêmes entre deux prises, d'autres émotions pointent, en parfaite concordance avec leur prestation politique. Dans un sous-jeu tout en gravité au départ, suivi par un incroyable lâcher prise, Vincent Lindon et Alain Cavalier livrent une prestation extrêmement revivifiante. Comme un film d'étudiants à soixante ans, un film d'amis, qui se permet tout en affranchissant toutes les règles.
Denis Podalydès lui, ne peut interpréter Nicolas Sarkozy que dans la démesure, la quasi-démence, la déclamation continuelle. Si son incarnation fascine c'est avant tout car elle tient de l'imitation, précise, rigoureuse. Gestuelle, tics, tonalité de la voix, on sent très rapidement que l'acteur a tenté de singer le président, de pousser ses excentricités jusqu'à leur paroxysme, quitte à tomber dans la caricature.
Qui m'a foutu cette chaise? extrait de La Conquête
Il n'y a guère que la singularité de leur proposition cinématographique qui rassemble La Conquête et Pater. L'un, sur le ton de la farce poussive, l'autre, sur l'ouverture théorique, une description certes sommaire mais tendre du pouvoir, de tous les pouvoirs, et de comment se mettre à la place d'un autre. Vous l'aurez compris, il ne fait aucun doute que La Conquête marquera les esprits de par son actualité. Mais d'ici cinq ans, le film semblera (il l'est déjà) daté voire désuet. Alors que Pater, lui, semble relancer à tout rompre la carrière cinématographique d'un des plus grands cinéastes français en activité, Alain Cavalier, que nous avions peut-être eu tendance à enterrer trop tôt.