Le Palmarès rêvé de Cannes 1968
Il y a cinquante ans tout juste, dans le sillage de Mai 68, le Festival de Cannes était annulé. Faute de compétition, vingt-huit films repartaient bredouilles, certains dans l'anonymat le plus complet. Pour célébrer le cinquantenaire et rendre leur faste à ces films orphelins, les critiques de Télérama se sont mis dans la peau du jury et établi leur palmarès idéal.
“Je vous parle solidarité avec les étudiants et les ouvriers et vous me parlez travelling et gros plan ! Vous êtes des cons !”
Tout le monde se souvient des mots de Jean-Luc Godard, qui précipitèrent le Festival de Cannes dans les limbes. C'était en mai 68 et la rue s'embrasait, l'idéal révolutionnaire en bandouillière. Adieu Croisette, bonjour pavés. Si la cause était noble et entendue, beaucoup de films, notamment en provenance de l'est (dont deux de Miklós Jancsó !), plus fragiles que d'autres, en pâtirent jusqu'à disparaître : "Télérama rêvait de retrouver les vingt-huit films sélectionnés cette année-là et d’établir ainsi le palmarès officiel du seul Festival de Cannes qui n’en avait pas. Mais, au fur et à mesure des recherches, ils ont constaté une réalité étonnante, voire franchement inquiétante : même les titres qui eurent l’honneur d’être retenus pour la plus grande manifestation cinématographique du monde ont disparu sans laisser de traces…" Pierre Murat
Nous-mêmes espérions vous faire voter, en partenariat avec quelques plateformes VOD, mais l'offre était famélique... Alors, tout de même, sur la base de vingt films sur les vingt-huit initiaux, la rédaction a voté pour son palmarès de coeur. L'occasion de rendre hommage à Milos Forman, disparu récemment, et de remettre un peu de lumière sur des longs-métrages malheureusement oubliés :
Le Palmarès rêvé de Télérama :
Palme d’or
Au feu, les pompiers !, Miloš Forman (Tchécoslovaquie)
Grand Prix
La Fête et les Invités, Jan Nemec (Tchécoslovaquie)
Prix du jury
Kuroneko (The Black Cat), Kaneto Shindo (Japon)
Prix de la mise en scène
Je t’aime, je t’aime, Alain Resnais (France)
Prix du meilleur scénario
Charles Wood pour Un jour parmi tant d’autres, de Peter Collinson (Royaume-Uni)
Prix d’interprétation féminine (ex aequo)
Danielle Darrieux pour Vingt-Quatre Heures de la vie d’une femme, de Dominique Delouche (France) et Julie Christie pour Petulia, de Richard Lester (Etats-Unis)
Prix d’interprétation masculine
José Luis López Vázquez pour Peppermint frappé, de Carlos Saura (Espagne)
Le Festival de Cannes commence dès ce soir avec la Cérémonie d'ouverture et la présentation du film d'ouverture, Everybody Knows d'Asghar Farhadi.
Quand ta grand-mère te propose de choisir entre une glace à la vanille et une autre au chocolat, elle te demande laquelle tu préfères ou celle qui dans l’absolu, dans la grande vérité des choses, celle qui, objectivement, est indéniablement la meilleure… gastronomiquement parlant ?
L’art c’est quoi ? C’est dire : « Ça, c’est de l’art ». Rien de plus. Un peu comme l’enfant dit : « C’est moi qui l’ai fait ! ». C’est une simple question de regard sur une création. On peut tout à fait décider par exemple de prendre comme critère (artistiquement parlant) la politique. Ou l’odeur des images, l’accent des intertitres, la sexualité des choses… Objectivement, tout est subjectif dans l’art. Parce que le regard impersonnel n’existe pas. Cinématographiquement parlant, tu fais un travelling dans un film, c’est objectif, factuel ; cinématographiquement parlant, un bon travelling comme un mauvais, rien ni personne ne peut décider de ce que c’est. C’est laissé au regard, à l’appréciation, l’interprétation, ou même à la vision politique de celui qui regarde, et en l’occurrence dans un jury, à celui qui vote. Si on décrète qu’un travelling c’est pas plus d’une minute comme on décide de la longueur maximale des pièces de marqueterie pour un meuble, c’est plus de l’art mais de l’artisanat. On peut bien sûr discuter ces choix, opposer notre interprétation à une autre, et c’est souvent amusant.
Ça l’est beaucoup moins (amusant) quand on commence à préjuger d’intentions et de visées indignes ou biaisées dans le regard de celui qui est appelé à exprimer, à juger, ce qui par nature est subjectif. Parce que là ça devient dangereux. Peut-être même que là ça devient politique. En remettant en question ce qui par nature est à la fois innocent et parfaitement indolore : le regard. On en vient à dénigrer, nier, la subjectivité de l’autre (son propre regard) en lui imposant la nôtre et en la faisant valoir par rapport à la sienne d’une objectivité supposée connue et acceptée de tous (c’est le sens et l’objectif de prendre d’autres à témoin : « Non mais on est d’accord, objectivement c’est pas bon/digne/beau/, et pis voyons, ce n’est pas de l’art »). Si l’art, c’est dire : « Ça c’est de l’art », celui qui commence à dire : « Ça ce n’est pas (objectivement) de l’art », il cesse d’être spectateur, critique, cinéphile, et il commence à être un petit terroriste de la pensée (on aurait dit autrefois « dictateur de la pensée » mais les expressions comme les prix parfois sont le reflet de leur époque).
Par exemple là… objectivement, le palmarès de Télérama, il est bon, mauvais… politiquement correct ?… (décerner la palme à un réalisateur qui vient de nous quitter, ce serait pas un peu politiquement correct ?) Ben, non c’est le palmarès de Télérama, point. Le reflet d’une époque et des choix d’un jury (ou qui se rêve l’être).
Bon, JLG trouve mon travelling un peu long et n’est pas loin de me traiter de c*n, alors je me tais.
@jenanaipa Non, la dictature de la pensée, c'est suspecter la légitimité de certains à juger en fonction de leurs propres critères. Tu n'exprimes pas un avis sur le film, tu remets en question non seulement la légitimité du jury à voter (sorte de procès d'intention) mais tu sembles même dire qu'aucun documentaire ne devrait participer à une telle compétition puisqu'un tel objet ne répondrait pas aux critères esthétiques que tu aurais toi-même décidé pour un tel exercice (tu les cites entre parenthèses : costumes, décor, mise en scène, jeu d'acteurs, photo...). Pour toi un documentaire "n'est pas de l'art", et comme je le dis plus haut, celui qui affirme ça est un petit terroriste de la pensée.
C'était ma petite note du dimanche.