Star Wars : J.J. Abrams est-il le meilleur d’entre nous ?
Quand la presse demanda à George Lucas son impression à chaud concernant Le Réveil de la Force, il ne répondit pas qu’il aimait le film, ni même quelles qualités il lui trouvait. Il se contenta de cette déclaration laconique : « Les fans vont adorer ». Le créateur de Star Wars s’est résigné : sa saga ne lui appartient plus, puisque ce qui compte, c’est de répondre aux attentes des fans, une chose pour laquelle il n’est pas doué. Les adorateurs de Star Wars ont aujourd’hui la jouissance totale de l’univers imaginé par Lucas et ils sont les seuls habilités à le faire vivre. C’est donc un fan qui a réalisé l’Episode 7, mais pas n’importe lequel.
Comme l’a si bien dit François Truffaut, tout le monde a 4 métiers : le sien, critique de films, sélectionneur de l’équipe de France de foot, et réalisateur d’un Star Wars. Tout le monde a un avis sur ce qu’il vient de voir au ciné, tout le monde a une idée sur qui doit porter ou non le maillot bleu, tout le monde sait ce qu’il faut faire ou éviter de faire pour avoir un bon Star Wars. Parfois même, certains le revendiquent, en s’expliquant très bien, storyboards et fonds verts à l’appui.
Et tout le monde estime que son opinion a plus de valeur que celle de Didier Deschamps ou George Lucas. Par contre, tout le monde ne peut pas prétendre à deux des quatre métiers cités et, heureusement, réalisateur d’un Star Wars en fait partie. Sauf que l’intéressé a les mêmes opinions que Monsieur Tout-le-monde.
Le film d'un fan avec une fan pour héroïne
En prenant les commandes du nouvel épisode de la saga, J.J. Abrams suit une trajectoire équivalente à celle d’un supporter du FC Barcelone à qui on confierait le management de son équipe préférée. Attention, un super fan, le meilleur des meilleurs, celui dont la connaissance encyclopédique des transferts, forgée au fil de longues et fastidieuses parties de Football Manager, aurait la plus grande valeur dans le monde tangible. J.J. Abrams n’a pas inventé Star Wars, mais il connaît la saga probablement mieux que son créateur George Lucas. Aux yeux des fans de cet univers en tous cas – mais c’est tout ce qui compte désormais – depuis que celui sans qui nous serions tous orphelins de quelque chose sans le savoir, nous aurait trahis en livrant une prélogie décevante. Décevante parce qu’elle ne prolongeait pas la trilogie originelle (forcément, elle la précédait dans l’ordre chronologique de l’histoire), parce qu’elle infantilisait son public à travers la figure de son jeune héros (alors que le public savait ou croyait savoir tout ce qu’il y avait à savoir) et surtout parce qu’elle ne répondait pas aux attentes des fans. Pas des attentes esthétiques, artistiques, émotionnelles ou autres, non. Plutôt des effets de reconnaissance, de la nostalgie, des plans emblématiques (les plans frontaux sur les pilotes des vaisseaux, pendant les combats, par exemple), des personnages-doudous que l’on voudrait à tout prix retrouver. Rien d'étonnant à voir Abrams commencer son travail sur Star Wars comme on organise une convention, en regroupant le cast original - y compris R2-D2 - à la manière d'une réunion d'anciens combattants.
Revoir ce qu’ils avaient déjà vu, mais comme si c’était la première fois : voilà ce que voulaient les fans. Voilà ce que voulait aussi J.J. Abrams, si l’on en juge par Le Réveil de la Force. De tous les fans exigeants de la saga, lui seul a eu l’opportunité et le talent de passer à l’action et de faire le film que les fans attendaient. Son épisode n’est-il donc qu’un fan film, seulement là pour combler les attentes et flatter les adorateurs ? Il en a les atours et il ne s’en cache pas. Quand l’héroïne, Rey, déclare être fan de Han Solo et Luke Skywalker ; aucun doute, c’est J.J. qui parle à travers elle. Une héroïne qui adore depuis toujours les personnages avec lesquels elle partage l'affiche, c’est beau comme si un cosplayeur de Star Wars finissait par jouer dans sa saga préférée. J.J. Abrams, c’est elle, ce fan qui se met à produire et plus seulement à regarder, avec toute la joie et la fascination qui va avec, et l’anxiété de plaire à ses pairs. Pas les autres réalisateurs, non, les autres fans. Alors il fait réapparaître les héros de La Guerre des étoiles devant nos yeux humides de joie, refait à sa manière la fameuse scène de la cantina, reprend des créatures bien connues, et évite tout ce qui a été reproché à la prélogie, histoire de ne surtout pas se retrouver affubler du sobriquet de Jar Jar Abrams. Il prend même soin d’intégrer discrètement un peu de l’univers développé par les fans, notamment Troops, la vidéo construite sur le modèle de la télé-réalité Cops, avec des Stormtroopers à la place des flics (grâce à une conversation dans la profondeur de champ, entre deux soldats, au sujet des performances comparées de deux vaisseaux). Il sort même de la casse, littéralement, un engin emblématique, et c’est à ce moment là que le fan service, qui a ses beautés, devient peut-être trop pressant. Surtout parce qu’il en rappelle un autre, récent, et pénible, celui de Jurassic World, quand les jeunes héros se retrouvaient devant les jeeps, épaves, de Jurassic Park. Même chose dans Star Wars 7, quand un hologramme compare la taille de l’Etoile Noire avec celle d'une planète ennemie, beaucoup plus grosse forcément, comme l'était l'Indominus Rex par rapport au T-rex ; on n'est pas là pour faire plus petit qu'il y a 40 ans...
La fusion du cinéma et de l'étude de marché
Comme pour le 4ème volet de Jurassic Park (et ne parlons pas du dernier Terminator), on craint à un moment que ce 7èmeStar Wars ne soit qu’une reformulation, reboot, remake, reprise, variation – appelez ça comme vous voudrez – pour faire pareil, mais en plus gros, sans jamais arriver à se débarrasser de l’aura des films lui servant de modèles. Voilà à quoi se résumerait L’Eveil de la Force s’il avait été réalisé par Colin Trevorrow, celui à qui nous devons Jurassic World : un blockbuster lourdaud destiné à satisfaire les « nostalgeeks », avec son modèle qui lui collerait aux basques comme le sparadrap sur la main du capitaine Haddock. Voilà pourquoi il est heureux que Trevorrow réalise l’épisode 9 de Star Wars et pas le 7, même s’il aurait été préférable qu’il n’en fasse aucun… Et voilà pourquoi il est heureux que J.J. Abrams initie cette nouvelle trilogie, car lui est capable de lier cahier des charges et histoire. La réussite du Réveil de la Force est de tenir aussi bien de l’étude du marché que du cinéma. C’est un film fait par un fan pour les fans, donc, et de manière très scrupuleuse, mais c’est le film d’un réalisateur clone de Steven Spielberg, dont la grande fierté lorsqu’il était adolescent fut de monter les films 8 mm de son idole en échange de 300 dollars, et dont l’autre grande fierté en tant qu’adulte fut d’écrire et de réaliser un long, Super 8, sous bannière Amblin, la maison de Spielberg. C’est le film de quelqu’un doté d’une grande vista et d’une conscience aiguë de ce que le cinéma grand-public et grand-spectacle doit être, une conscience forgée par films de la fin des années 70 jusqu’à celle des années 80, doté d’un savoir-faire façonné par ce que fut George Lucas quand il réalisa Star Wars et que Lucas ne veut plus ou ne peut plus être aujourd’hui. George Lucas a fait la prélogie qu’il voulait faire et pas celle que les fans voulaient voir. J.J. Abrams, lui, a fait l’épisode que les fans voulaient voir et en même temps celui qu’il voulait faire parce qu’il fait partie des fans de Star Wars ; il est l’un des meilleurs même, puisqu’il a l’intelligence de ne pas avoir réduit l’énorme tâche qui lui incombait à un vulgaire fan film.
Et le thème musical de Star Wars vous sera pourri à vie dans vos petits crânes ! :D
Dark Vador tombe un peu de son piédestal !