Toulouse et La Désintégration, chroniques du cinéma prémonitoire
Une poignée de semaines avant les événements de Toulouse, Philippe Faucon sortait La Désintégration, film prémonitoire sur un groupe de jeunes formés au terrorisme. Ce n'est pas la première fois que le cinéma anticipe la réalité. Et si tout n'était qu'une question de temps ?
On le sait, le cinéma est une histoire de fantômes. Un truc de magicien qui fait vivre pour l'éternité ce qui a été. Mais ce qui fut est aussi parfois ce qui sera. Banalité de la fiction, de l'imaginaire ? Peut-être. Pourtant quand un film révèle ou anticipe la réalité, la force évènementielle qui se dégage alors est plus forte qu'avec n'importe quelle oeuvre. D'où vient qu'aucun essai, commentaire, rien, ne puisse se mesurer au cinéma lorsqu'il devient prémonitoire ? Il n'y a pas que sa popularité, mais une coïncidence, troublante, presque irrationnelle : ce qui n'est pas encore aurait été déjà filmé ? Rien ne peut dépasser la preuve quasi matérielle du futur. C'est de la sorcellerie. Et plus les images sont proches de la réalité, plus l'évènement auquel on les associe devient une faille temporelle. Personne n'aurait donc su lire la boule de cristal prédisant l'assassinat de Kennedy, l'attentat du 11 septembre ou le carnage de Toulouse ? Lorsque la réalité bascule dans la fiction et inversement, on se rassure en disant qu'il ne s'agit que de mise en scène, du hasard, de science fiction, d'un faisceau de circonstances. Pourtant ces images remontent, intriguent, on voudrait qu'elles nous déculpabilisent, mais aussi les faire témoigner à la barre pour pointer du doigt les coupables.
Futur immédiat
Longtemps avant les évènements de Toulouse qui ont ravivé le souvenir récent de La Désintégration, le cinéma avait eu quelques coups d'avances sur l'Histoire. C'est le cas de l'un des plus célèbres, Un crime dans la tête. Sorti quelques mois avant les évènements de Dallas et l'assassinat de John Fitzgerald Kennedy, le film de John Frankenheimer imaginait le destin d'un ex soldat de la guerre de Corée qui, après un lavage de cerveau, est transformé à son insu en tueur formaté pour éliminer le président américain. Matrice d'un cinéma paranoïaque, Un crime dans la tête prophétise non seulement la réalité mais l'illustre de manière conformément troublante. Au point qu'après la mort de JFK, Frankenheimer sera pointé du doigt pour avoir servi de probable source d'inspiration à Lee Harvey Oswald. Conspiration, cible, arme (qui rendra mythique le fusil à lunette), tout est là pour dire que le cinéma avait un étrange coup d'avance. D'autant plus qu'il fourni une quasi explication à un évènement qui encore aujourd'hui reste pavé de mystères. Même le film de Zapruder, que JB Thoret a décortiqué dans son essai 26 secondes, L'Amérique éclaboussée en montrant comment il est devenu une matrice du cinéma des 70's, sera une pièce maîtresse d'un puzzle impossible.
La théorie des catastrophes
Un crime dans la tête aurait-il vu l'assassinat de JFK, a-t-il servi de référence, ou bien est-ce simplement un concours de circonstances ? L'époque, énigmatique, angoissante, où toutes les certitudes vacillent en même temps qu'on veut bâtir de nouvelles utopies, n'aidera pas les foisonnantes théories qui en sortiront. La prophétie hollywoodienne se poursuivra plus récemment avec Couvre feu, film qui restera seulement dans les mémoires pour avoir anticipé les évènements du 11 septembre en imaginant une attaque terroriste sur New York. Ce n'était pourtant pas la première fois que la ville était prise pour cible. Die Hard 3 l'avait déjà mise dans son collimateur, mais pour de faux (le terrorisme y est un leurre). Le film d'Edward Zwick sera lui plus proche de la réalité. Mais il n'avait pas besoin d'aller chercher loin dans sa boule de cristal pour imaginer la Big Apple sous le feu du terrorisme. Le World Trace Center lui-même avait déjà été pris pour cible à la voiture piégée en 1993 par des islamistes. Depuis la guerre froide l'Amérique se construit des images pour parer à ses angoisses. De film catastrophe (Deep Impact, Armageddon, Independance Day, qui tous détruiront les plus grands symboles du pays, y compris les Twin Towers) en films paranoïaques, il s'agit toujours d'imaginer le pire pour espérer qu'il ne surgisse jamais. Pourtant ça lui arrive et il n'y a pas de hasard. On se retrouve alors déboussolé devant des images qui font coïncider le spectacle hollywoodien et la réalité. Le 11 septembre restera à jamais gravé comme un basculement, l'évènement vu cent fois qui soudain se réalise, en images.
Présumé coupable
Ce n'est pas Hollywood, mais ça compte autant et nous rapproche de l'actualité. Peu de temps avant l'affaire Merah de Toulouse, Philippe Faucon sortait son dernier film, La Désintégration, récit de trois jeunes manipulés par une cellule islamiste les poussant à un attentat contre des militaires. Les similitudes entre le film et la réalité sont troublantes. Le parcours des personnages n'est pas identique à celui de Merah, mais on retrouve un même cheminement dans le processus de désocialisation radicale. Pour Nadim Cheikhrouha, producteur du film ayant travaillé avec le cinéaste dès la conception du film, les deux cas rappellent ce qui fut aussi la source d'inspiration de La Désintégration : « la menace intérieure », de la même manière qu'elle s'était illustrée à Londres et Madrid. On pense aussi aux attentats 1995, comme le souligne Philippe Faucon dans un entretien paru dans Le Monde : « J'ai été ramené brutalement à la période où je travaillais sur l'écriture de La Désintégration. En particulier, à propos de la tuerie de l'école Ozar-Hatorah. Cet acte monstrueux a eu un précédent en 1995 (...) Une bombe artisanale a explosé devant une école juive de Villeurbanne, dix minutes avant la sortie des enfants. » Face à l'effroyable coïncidence entre la réalité et la fiction, Nadim Cheikhroua, le producteur du film nous confie trouver « malheureux qu'on reparle du film dans ces circonstances ». Encore une fois la triste coïncidence, pain béni de la médiasphère, voudrait prendre le cinéma à témoin, quand celui-ci amenait en amont une réflexion que certains ont négligé. Le producteur allant jusqu'à témoigner son étonnement devant des profs jugeant que le film ne peut être montré à tous les élèves, sinon ceux prétendus intelligents.
Savoir et voir
« Le système fait qu'il faut quelque chose d'incroyable. » Nadim Cheikhroua ne pouvait mieux définir ces films qui soudainement apparaissent prophétiques et que l'on récupère. C'est quand la réalité devient aussi effroyable que l'imaginaire, sinon plus encore, qu'on reconsidère des oeuvres à l'aune du présent. Mais que peut finalement le cinéma face à ce type d'évènement ? Comme l'exprime le producteur, il permet « une réflexion plus apaisée et sereine » que le déchaînement du flux télévisuel ou Internet, qui à vouloir du live à tout prix, finit par ne rien montrer : Toulouse, à l'inverse du 11 septembre, n'a été qu'un direct aveugle, montrant un siège sans images, à distance, une sorte de Blow Out plus qu'un Blow Up (de l'affrontement on n'entendra qu'une lointaine fusillade) dont on ne verra jamais rien sauf en piquant les bobines du Raid.
Ironiquement, tragiquement aussi, La Désintégration a fait le travail dont la médiasphère est incapable : montrer un processus de l'intérieur. Telle est la supériorité du cinéma qui peut, non seulement anticiper la réalité parce qu'il découle comme ici d'une minutieuse étude des choses, mais aussi traiter par avance ce qui, pour l'info, sera hors champ. Ainsi, La Désintégration fait le récit plausible et didactique de ce qui a pu se jouer entre les images du jeune homme jovial dévoilé par France 2, qui passées en boucle par toutes les chaines d'info ont offert au monde un visage ordinaire (et donc plus effroyable). Celles des tueries que Merah a réalisé lui-même, tel un archange à la caméra en phase avec une société du spectacle qu'il devrait haïr. Et celles enfin, insondables, des 32 heures de siège, devant lesquels les news sont restés les bras croisés, impuissant, sans savoir que le film de Philippe Faucon les avait précédé. À l'heure où le live report est une obsession que rien ne veut remettre en cause, il est possible qu'on oublie que le temps n'est pas linéaire. L'évènement est un processus dont la crête peut être vu avant son surgissement, pourvu qu'on prenne le temps de voir. La Désintégration n'a fait que montrer ce qui était là.
Il y aurait un article, en complément, à écrire, non pas sur l'hypothèse d'un cinéma prémonitoire (vieille lune historique et fantasme cinéphile qui institue la prédominance du cinéma sur la réalité), mais sur la façon dont les films situés à notre époque sont des sources profondes, des clichés à la révélation lente, et la façon dont la télévision, par d'autres formes, dans une autre temporalité, dialogue avec ces films préexistants.
Quand JD écrit : "32 heures de siège, devant lesquels les news sont restés les bras croisés, impuissants, sans savoir que le film de Philippe Faucon les avait précédées.", il prétend que la télé a eu tort et le cinéma, vainqueur devant l'éternel, a vu juste (C'est pas complètement faux, mais c'est pas aussi tranché).
Il faudrait écrire un article sur le rapport entre les formes d'expression du film de Faucon (un temps de la compréhension, de l'intelligibilité) et les formes d'expression des chaînes d'information (un temps de l'action, toute suspendue soit-elle, dans le précipice du passage à l'acte). -Là-dessus, "Breaking News" de Johnnie To est exemplaire-
C'est un article articulé sur cette dialectique qu'il faudrait écrire pour comprendre ce qui, dans "La Désintégration", résonne de "l'affaire Merah".
GVS c'est un peu une laure manaudou qui s'ignore parfois.
J'adore ^^
Mettre le jeu vidéo dans les mains d'un tueur en devenir, ça ne veut pas forcément dire que l'un est la cause de l'autre. Ou alors, l'homosexualité refoulée -latente dans le film- peut en être une autre, tout aussi absurde.
Toute proportion gardée, lorsque Godard réalise son célèbre fondu enchaîné entre Golda Meir et Hitler, il n'entend pas que l'un équivaut l'autre, comme il s'en défend dans "Morceaux de conversation avec JLG" ; c'est le spectateur qui se fait ce film, en réduisant l'expression cinématographique à ça.
C'est pareille dans le cas de Elephant. GVS ne pointe pas du tout le jeu vidéo comme responsable de l'esprit criminel, il le met seulement parce que les tueurs originels y jouaient aussi (par ailleurs, dans Elephant, les gamins manipulent dans le jeu nul autre que les Gerry, ce qui déplace le centre vers autre chose qu'une simple relation causale psychologique).
C'est une autre histoire, mais il y aurait un autre article à écrire (ébauché dans le bouquin de Bouquet et Lalanne) sur l'influence capitale de Kubrick dans la tétralogie de la mort de GVS.
Mais le dire malgré tout. Cela nécessite toute la morgue du cinéphile aguerri.
Dont je suis.
L'homosexualité n'est pas montré comme quelque chose de sale dans le film, mais plus comme une libération, un moment d'apaisement. Ce n'est pas le cas quand ils jouent aux jeux videos (scène limite glauque, un peu déprimante)
Évidemment que GVS ne dit pas "c'est les jeux videos la cause" (heureusement), mais il montre ça comme si le jeu video pourrait être un facteur (dans un ensemble de facteurs, de contextes) qui aurait pu amener cette tuerie.
Comme la scène où ils matent un docu sur le nazisme, c'est pas une scène très subtile, là encore même si ça n'est pas explicite, je sens toujours un cinéaste derrière qui montre un peu trop du doigt certaines choses de manière pas bien maline. C'est quand même le gros défaut du film.
Je précise malgré tout que j'aime beaucoup Elephant surtout quand la tuerie commence.