Des films et des dieux

Le cinéma européen retrouve-t-il la foi ?

Dossier | Par Hugues Derolez | Le 14 mai 2011 à 21h00

S'il est une chose complexe à représenter au cinéma, c'est probablement la croyance. Dévotion indéfectible ou vie d'ascèse, il sera toujours question d'un large spectre d'émotions, parfois contradictoires, d'une mise en scène de l'invisible. Filmer un sentiment et le transmettre au spectateur est une chose. Mais quand il est question de s'attaquer à un sujet aussi retors que la foi, le cinéaste devra user de ses effets avec parcimonie. Revenons sur ces quelques films récents, français pour la plupart, qui s'intéressent à la vie de ceux qui ont tout sacrifié au nom de leur foi, quitte à ne plus se retrouver eux-mêmes. La foi comme l'un des vecteurs de la personnalité humaine.

Les débuts du cinéma furent marqués par une poignée de films entièrement tournés vers la foi, souvent adaptations littérales de textes bibliques. Les Dix commandements, dans ses deux versions tournées par Cecil B. DeMille, en est sûrement l'exemple le plus vibrant, films aux multiples variations et dont le souvenir reste figé dans l'histoire du cinéma. Carl Theodor Dreyer est l'un des premiers réalisateurs à s'être intéressé de près, et avec ardeur, aux communautés religieuses et à leurs dérives. Que ce soit dans Jour de colère, où un pasteur s'inquiète de la présence de sorcières dans son entourage, ou dans Ordet, divisions d'une famille religieuse, l'imagerie croyante, et principalement catholique, est retravaillée, cristallisée dans ses actes de violence et de cruauté.

Depuis plusieurs années maintenant, l'image de l'homme d'église est utilisée pour inspirer d'avantage l'inquiétude que le recueillement. Un dédain social de plus en plus important, une ère où la notion de divinité s'étiole, se dire croyant sonne aujourd'hui comme une loufoquerie que le cinéma aime à utiliser pour servir des propos très variés. De ces étranges parcours de vie, nous retenons parfois l'excès, voire la démence, une façon de questionner les trajectoires personnelles amenant à ces choix de vie extrêmes.

Dans Hadewijch, de Bruno Dumont, nous suivions le parcours d'une jeune soeur totalement habitée par la foi. Au point même de déranger ses consoeurs, voyant dans son attitude soit une possession particulièrement troublante, soit un jeu d'adolescente mal dans sa peau. Julie Sokolowski incarne avec brio la notion de divin injecté dans l'humain, une froideur, une perfection dont les seuls jaillissements sont tout entiers tournés vers Dieu.


Virée du couvent extrait de Hadewijch

Le réalisateur Dominik Moll, connu pour Harry un ami qui vous veut du bien, termine actuellement un film religieux au caractère tout aussi tragique et sulfureux. Dans Le Moine, que nous espérions voir apparaître dans la Sélection cannoise, Mathieu Kassovitz incarne un prêtre confronté à une grave affaire de pédophilie. La foi inébranlable fait alors office de sanctuaire, de regain d'énergie, dans une époque où la vie d'un prêtre doit faire avec les épreuves et les décalages d'un monde auquel il n'appartient presque plus. La réclusion, entraînant des comportements nocifs, devient alors le véritable sujet de cette nouvelle vague de films qui se posent comme très intrigués par cet objet ancien qu'est l'église.

L'incontournable succès de 2010 s'appelait Des Hommes et des dieux et cherchait à cerner la foi en posant le problème autrement. Dans le film de Xavier Beauvois, la petite communauté des moins de Tibhrine se retrouvait face à un choix cornélien : quitter leur monastère ou rester, offrant alors leurs vies aux terroristes musulmans qui sévissent en Algérie en 1996. Bousculant le schéma d'un être esseulé, presque contraint de se tourner vers la religion, Beauvois transcende ce fait divers et en fait un conte inébranlable sur la cohésion, la volonté, et les doutes qui parfois s'échappent à s'échangent. De la vie religieuse le cinéaste préfère donc montrer ce que les hommes ont pu gagner plutôt que ce qu'ils ont perdu : un courage, un resserrement des liens, amenant l'humain vers des prouesses.


Martyrs par amour extrait de Des hommes et des dieux

Le film qui secoue ce Festival de Cannes 2011, c'est assurément Habemus Papam, de Nanni Moretti, réalisateur italien déjà récompensé d'une Palme d'Or en 2001 pour La Chambre du fils. Nous y découvrons un pape nouvellement élu mais débordant de fêlures, un Michel Piccoli qui survole le film, incapable de prendre en mains ses nouvelles fonctions. Enfermé au Vatican, ne pouvant annoncer son identité au monde, il sera aidé par un psychiatre, Nanni Moretti himself, pour tenter d'y voir plus clair dans cette soudaine dépression.

Deux institutions vieillissantes, psychiatrie et religion, se rencontrent et se répondent l'une l'autre, dans un astucieux jeu de miroir où les absurdités de la première ressurgiront sur la seconde, et inversement. Habemus Papam est poignant car il s'intéresse aux hommes qui constituent ces institutions, embrigadés par conviction, mais dont la vie file jusqu'à ce qu'ils ne sachent plus tellement quelles étaient les raisons premières de leurs choix. Ce n'est pas exactement le film auquel nous étions en droit de nous attendre, clairement scindé en deux entre les atermoiements du pape, se rêvant acteur de théâtre et cherchant à se souvenir de son passé, et le quotidien qui anime le Vatican. Le ton d'Habemus Papam est insaisissable, c'est là sa plus grande force, de naviguer avec aisance entre mélancolie et hilarité, proposant d'ahurissantes séquences de tournois de volleyball entre cardinaux, tout en gardant son cap clair à l'esprit. A savoir comment réussir aujourd'hui à incarner l'église catholique aux yeux du monde. Le film ne garde finalement de l'église que l'imagerie de la soutane, déguisements et procédures avilissant l'homme, pour aller s'intéresser à autre chose.


Le pape et son psy extrait de Habemus Papam

Des Hommes est des dieux, au succès critique et public cinglant et inattendu, aurait-il ouvert une brèche dans le cinéma européen, donnant à voir à nouveau une population que le cinéma préférait oublier ? La curiosité du spectateur va-t-elle décliner rapidement, faisant de cette nouvelle discipline un effet de mode plus qu'une mouvance ? Même si nous ne sommes pas encore en mesure de répondre à ces questions, il faut bien avouer que les films précédemment cités ont tous en commun un propos courageux et une imagerie très moderne. A l'heure où tout un chacun peut parler et être entendu à l'autre bout du monde, s'intéresser aux communautés refermées sur elles-mêmes, comme les communautés religieuses, donne à voir un univers qui nous semble de plus en plus lointain et âgé. Tout en questionnant la foi, ces films évoquent tour à tour le terrorisme, la pédophilie, ou la simple envie d'aspirer à une vie que nous n'avons pas eu le temps de connaître. Des problèmes modernes qui viennent constamment remettre en question la vacuité de ses institutions et leur côté profondément aliénant. Les cinéastes semblent vouloir profiter de cette époque charnière pour filmer les dernières traces d'une espèce en voie de disparition, s'en forcément s'en réjouir, mais en visant tout de même à dresser un constat amer de l'une des plus anciennes créations humaines.

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