Retour vers le futur

Wes Anderson, le dernier hipster

Dossier | Par Jérôme Dittmar | Le 10 mai 2012 à 18h01

La côte de Wes Anderson s'est-elle érodée depuis Darjeeling Limited ? Ses films étaient-ils synchrones d'une décennie obsédée par le passé, avec leurs effets rétro ? Une chose est sûre, le temps est au coeur de son cinéma. Mais pas toujours comme on pourrait le croire.

Depuis la publication de Rétromania, l'essai de Simon Reynolds qui dit tout sur la pop culture de ces quinze dernières années, on sait un peu plus que le cinéma n'a pas échappé à l'intense recyclage du passé qui désormais nous gouverne. Même Hollywood, toujours en quête de nouveaux concepts et sans cesse plus ivre de vitesse (la meilleure façon d'imposer une tyrannie du présent pour fuir cette obsession du passé), n'a lui non plus pas échappé à une impressionnante mise en chantier de remakes. Mais ce qui semble évident pour les studios, par paresse synonyme de logique commerciale, l'est moins pour le cinéma indépendant. Là où l'auteur est roi, on suppose que doit régner le style, une personnalité, gage d'une certaine authenticité qui par essence se démarque. Mais les choses ne sont pas si simples. D'une part le cinéma s'inspire de sa propre histoire depuis bien avant les années 90, de l'autre on imite rarement à l'identique - et c'est dans la réactualisation que la divergence est intéressante. Comme la musique, le cinéma est peut-être désormais hanté par son histoire, mais ça ne veut pas dire que celle-ci se soit arrêtée.

Revenge of the nerd

Si l'on se fie à la taxinomie ambiante, Wes Anderson a tout du hipster, figure clé de la rétromania qui avec ses vestes velours et ses BO vintage n'existe qu'au travers du passé. Ce n'est pas la douce mélancolie des Tenenbaum ou de La Vie aquatique qui iront contredire l'idée que le plus élégant des texans s'est construit autour d'une bibliothèque de souvenirs. La grande maison familiale des Tenenbaum n'est que ça, un lieu peuplé d'histoires que l'on vient réveiller pour leur trouver une issue au présent. Une petite cathédrale de poupées que des personnages, bloqués quelque part vers une enfance où tout s'est joué, habitent pour apprendre à grandir et se réconcilier ensemble. Dans ce monde qui paraît s'être figé quelques part vers la fin des 70's, Wes Anderson pourrait ressembler au plus rétro des cinéastes américains. De par son côté Nouvelle vague dont Hôtel Chevalier retrouve le parfum, au fantôme du commandant Cousteau qui hante La Vie aquatique (version personnelle du Yellow Submarine des Beatles), le temps chez lui semble se déployer de façon verticale. Ses héros surdoués, initiés avec génie par Jason Schwartzman dans Rushmore, ne racontent que ça : à une trop grande intelligence et un sens inné du bon goût répond un affranchissement de la modernité qui est aussi un moyen de la définir. C'est lorsqu'on voit par-delà l'immédiateté qu'on est capable de s'inventer intégralement en pliant le temps à ses désirs.


Le talkie-walkie de Cousteau mais en mieux, extrait de La Vie aquatique

Transcontinental

Ce n'est pas un hasard que les films de Wes Anderson évoquent l'image du rock band qui tente de se reformer, à une époque où les légendes de la musique renaissaient de leurs cendres. Si Tim Burton ou Tarantino ont incarné le post-modernisme hollywoodien des 90's, Anderson a été synchrone de l'explosion du vintage. Mais si en une poignée d'années tout fut disponible sur Internet (musique, films, livres), comment l'auteur de Darjeeling Limited a-t-il conservé son aura ? Les premières images de Moonrise Kingdom avec ses bambins surdoués, son affiche échappée d'une couverture de conte pour enfants, sa musique et ses costumes sixties, confirment cette tendance implacable à chiner son inspiration dans un catalogue trouvé sur un free market entre Chelsea et les berges de la Seine.

On devrait être un peu las de ces plans à quatre épingles, habillés comme à une époque où on avait de l'allure par habitude. Pourtant tout le style Anderson est là. Dans l'élégance. Un dandysme assuré, résolument américain, qui n'a pas l'arrogance de la côte Est malgré un même goût pour l'Europe. Si Anderson tient, malgré une rétromania envahissante, c'est que ce folklore n'est pas aussi celui d'un Jean-Pierre Jeunet, dégoulinant de nostalgie pépère. Transcontinental, Anderson a trouvé le ton dans la conjonction d'éléments disparates choisis avec soin, dont il est le seul dépositaire, et qui se fichent surtout de vanter toute généalogie.

Out of time

Mettre du Françoise Hardy sur le trailer de Moonrise Kingdom, ou aller dénicher Peter Sarstedt pour Hotel Chevalier, a tout du gimmick malin. Mais c'est un peu plus que ça. Après Wong Kar Wai et Tarantino, Wes Anderson transforme l'illustration sonore en personnage élargissant le champ du film à une dimension pop. Voyageant ainsi dans le temps et l'espace (les Kinks et les Ramones croisent Bowie) pour composer ses propres oeuvres qui n'auront de juke box que la B.O., Anderson s'est imposé en garant d'un cinéma non moins vintage (il n'imite rien, les époques se télescopent et se brouillent) que hors du temps. On sait désormais où sont ses points de chute, et il est difficile de l'imaginer s'élargir. Impossible néanmoins de le résumer à un passéiste se réfugiant dans un décorum filtrant. Plutôt un cinéma de la playlist qui croit religieusement au moment. Ses plans, si souvent gouvernés par cet ascétisme symétrique de la vignette (qui cristallise), ont ainsi des airs de pochette vinyle. Non moins épinglée par un collectionneur (bien que son cinéma se prête volontiers à l'esthétique, poussée jusqu'à la taxidermie de Mr Fox) que contenue dans un bac, ouverte à la quête permanente et insatiable du disque introuvable, donc jamais terminée.


Are you listening to me!?, extrait de Fantastic Mister Fox

C'est sur cette balance que tient l'équilibre de Wes Anderson : entre l'éclatement des personnages, des continents musicaux, et leur resserrement par la mise en scène, pour que le collectif, l'idée d'un tout, soit réuni. Même le plus chaotique Darjeeling Limited garde un lieu central (le train) vers où se réfugier pour se recentrer et creuser son sillon vers la plateforme familiale.

Bubble boy

Les films de Wes Anderson sont conçus comme des albums plein de tubes. Ils se répètent parfois, souvent, mais seules les mélodies intemporelles les intéressent. Alors la mode, le rétro, la hipstermania, tout ça les indiffèrent (ils en donnent plutôt le mouvement). Le monde de Wes Anderson a depuis longtemps quitté les habitudes du moment. Au risque de s'enfermer dans sa tour d'ivoire, de verrouiller ses films, petites bulles un peu autistes dans lesquelles les choses viennent se réfugier. Le seul danger qui les menace, se couper du monde et de nous, ne serait que la conséquence logique d'une oeuvre qui depuis Rushmore a dressé ses petites cathédrales personnelles. Seul Darjeeling Limited a osé les mettre en péril, pour les faire dérailler, avec prudence, timide. C'est pourquoi il est sans doute son film le plus mal aimé, et pourtant son chef-d'oeuvre. Celui où Anderson n'a pas eu peur de l'accident. Le plus free jazz.

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4 commentaires
  • Cypri3n
    commentaire modéré Vrai, Darjeeling Limited est une pure base, et son nouveau film a l'air des plus savoureux. Ses films sont des valeurs sures.
    10 mai 2012 Voir la discussion...
  • Maxim
    commentaire modéré Je ne pensais pas que le Darjeeling Limited était le plus mal aimé des films de Wes Anderson. C'est pourtant celui qui ressemble le moins didactiquement et le plus librement à la fouille d'un coffre de souvenirs et de vécus.
    10 mai 2012 Voir la discussion...
  • TheGoldRush
    commentaire modéré On me souffle dans l'oreillette "Simon Reynolds" et non pas Stéveun.
    10 mai 2012 Voir la discussion...
  • IMtheRookie
    commentaire modéré @TheGoldRush merci, c'est corrigé.
    10 mai 2012 Voir la discussion...
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