A quoi sert le Festival de Cannes ?
A priori, la question ne se pose pas. Tout le monde connaît la réponse : le Festival de Cannes sert « à faire naître, développer et entretenir le désir pour les films » , comme le résume Laurence Reymond, membre du comité de sélection à la Quinzaine des réalisateurs. Mais qu'en est-il aujourd'hui ? Qu'est devenu Cannes en 2012 ? En compagnie de gens du cinéma et de la critique qui connaissent le terrain, petit état des lieux.
« Cannes, c'est une espèce de grand messe d'un certain cinéma au cours de laquelle on peut faire la fête, picoler, prendre le soleil et se baigner ou voir des films le tout pour pas un rond et sous couvert d'obligation professionnelles ; depuis près de vingt ans que je pratique, j'avoue avoir testé toutes ces options et y avoir pris plutôt du plaisir ». Emmanuel Chaumet, fondateur de Ecce Films et producteur (notamment) des films de Sophie Letourneur (La Vie au ranch, Le Marin masqué) résume bien le festival, ce mélange de tourisme cinéphile et de riviera festive vers lequel l'univers entier converge durant dix jours. Cette image là, tout le monde la connaît, c'est le mythe et la réalité.
De même, chacun sait que Cannes c'est aussi ce rendez-vous professionnel immanquable : « Pour nous, c'est une semaine d'intense travail de représentation : auprès des financiers, des banques, des chaînes, des institutions et des journalistes. Pour celles et ceux qui travaillent avec l'étranger, c'est aussi le moment où l'on rencontre tous les professionnels de la planète. » Cannes serait donc un lieu d'échange ? Pas pour tous, comme le souligne encore Emmanuel : « A Cannes, on n'y rencontre aucun cinéaste, en tout cas rarement ceux que j'ai envie de rencontrer ; ou alors s'ils sont là, ce n'est juste pas le bon moment. Idem pour les distributeurs ou les vendeurs trop occupés sur leurs propres films et qu'il vaut mieux voir tranquillement à Paris. »
Pression cannoise
Voir et vendre des films, boire entre amis ou collègues, Cannes se résume à ça. Plutôt agréable, ou épuisant, vu de l'extérieur. Mais si on gratte un peu ? Sonia Bogdanovsky, ancienne élève de la Fémis et assistante monteuse (La Famille Wolberg, Le Sel de la mer), rappelle elle aussi que Cannes sert « à donner une visibilité à des films fragiles ». La contrepartie est que « sans sélection à Cannes, ou avec un mauvais passage, certains films ne trouveront pas de distributeur ou n'auront qu'une sortie sacrifiée. Ceux sur lesquels j'ai travaillé qui sont passés à Cannes ou qui ont espéré une sélection étaient dans ce cas, ils avaient un besoin vital de sélection. »
Sonia va plus loin et dresse un véritable diagnostic sur le cinéma hexagonal : « ça pose aussi des problèmes à la post-production en France. Tous les films d'auteur tentent d'avoir Cannes. Cela influence les délais pour faire ces films qui peuvent alors manquer de temps. En gros, à cause de Cannes, le calendrier d'un film d'auteur français est le suivant : tournage en été et début d'automne, post-production à l'hiver et au printemps, dans le but de présenter une sélection à Cannes en Avril. Le problème c'est que beaucoup de films auraient besoin d'un peu plus de temps. Donc on finit à toute berzingue (en avril et début mai, les audis de mix et les labos d'étalonnage sont blindés jour et nuit). Parfois (souvent) les films auraient besoin d'un temps de montage plus long, pas forcément beaucoup, mais un peu plus (quelques semaines, ça peut tout changer). »
C'est insupportable de vivre avec toi Papa, extrait de La Famille Wolberg
Petits arrangements entre amis
L'enjeu cannois est important, comme le rappelle Bernard, monteur sur plusieurs films en compétition cette année et préférant garder l'anonymat : « Ne pas être à Cannes, c'est ne pas être sur la carte. Un producteur que je connais a failli avoir une sélection cette année. Finalement non. Le distributeur qui était intéressé par le film pendant les rumeurs ne l'a pas rappelé après l'annonce officielle. Le producteur espérait sortir son film sur 150 à 200 salles. Il espère maintenant une sortie sur 5 salles. Et n'est pas sûr de l'obtenir. » Peu d'autres festivals ont un tel poids sur la carrière d'un film. Mais sont-ils tous à égalité ? Pas vraiment comme le souligne encore Bernard : « Cannes sert à ce que Vincent Maraval vende son catalogue Wild Bunch au monde entier. » Emmanuel Chaumet de relativiser : « Je ne suis pas choqué que Pascal Caucheteux de Why not ou Paolo Branco pèsent de tout leur poids politique, symbolique, pour parvenir à leurs fins. Ils ont derrière eux des succès qui légitiment qu'on leur fasse confiance désormais plus facilement, cela me semble normal - tout comme il est normal que nous - qui ne faisons pas partie de cette famille là - ne souhaitions pas participer à ce jeu là. »
Thierry Frémaux et Gilles Jacob, les tauliers du Festival de Cannes
Inutile de savoir lire entre les lignes pour comprendre que Cannes étant un business, les films en compétition ne sont pas toujours pris que pour leurs qualités. Et qu'en plus des « arrangements », il s'agit aussi de stratégies et de jeux d'équilibres, comme le rappelle le producteur : « En fonction des choix dans les sections parallèles, La Quinzaine, La Critique et l'ACID peuvent apporter des corrections à l'image donnée par la sélection du Palais - sous réserve que ces sections jouent le jeu de l'alternatif ce qui ne fut pas vraiment le cas ces deux dernières années. Toujours question de personnalité : la capacité de ces sélectionneurs à résister aux pressions des distributeurs ou vendeurs éventuellement restés bredouille en officielle et qui se reportent sur les sections parallèles - situation délicate car ces interlocuteurs économiques sont aussi ceux qui peuvent financer une soirée d'ouverture ou de clôture. »
L'amicale des auteurs
Cannes reste malgré tout le temple évènementiel du cinéma d'auteur, plus encore que Venise ou Berlin. Là encore la distribution des cartes définit la réalité : « Cannes est devenu le seul moyen d'avoir une visibilité sur le marché. Le festival a pour ainsi droit de vie ou de mort sur les films d'auteur. Take Shelter n'aurait jamais trouvé un distributeur sans Cannes, ou alors il aurait eu une sortie sur une poignée de salles. Du cinéma argentin, nous ne connaissons que Lucrecia Martel et Pablo Trapero. Il y en a pourtant d'autres, qui sont par exemple représentés à Rotterdam. Mais leurs films n'arrivent pas en France, à quelques exceptions. Cannes donne une visibilité moins au grand public (qui ne s'intéresse qu'aux grands noms) qu'au marché. Qui derrière n'a plus qu'à exploiter le travail amorcé par le festival. Sachant que bien sûr, la sélection cannoise ne suffit même plus. » Le constat de Bernard rappelle que si Cannes lance des carrières, rien n'est assuré par la suite en salles. Le cinéma est rendu ici à un prosaïsme terrestre un peu triste : le billet d'entrée.
La mission quasi-divine de Cannes : faire exister en dix jours quantité de film des quatre coins du monde qui dresseront un panorama total, serait-elle en train de s'éroder, ou bien le problème est-il ailleurs ? Emmanuel Chaumet : « Le cinéma dit "du monde" n'a pratiquement plus de marché en France depuis peu : les résultats en salles ont fondu et la logique de préfinancement en cours ici accroît les sources de financement en production mais diminue les recettes a posteriori pour la distribution : impossible donc pour les distributeurs d'investir pour la sortie puisqu'il n'y a plus de recettes possibles (sauf pour les coproducteurs / distributeurs français qui peuvent s'y retrouver dans cette logique). Les festivals deviennent ainsi les seules possibilités de diffusion de ces films, et Cannes celui par lequel on peut initier une stratégie de diffusion non commerciale en festivals (les festivals de catégorie B se calent aisément sur ce qui a déjà été montré à Cannes en exclusivité). L'enjeu de Cannes est donc énorme pour ce cinéma-là et il faut reconnaître que Cannes le lui rend bien, tant en volume qu'en termes relatifs. »
Faded pictures?
Cannes ne trahirait donc pas son objectif. Il demeure ce grand lieu festif qui célèbre ses idoles de tous horizons. Aurait-il pour autant changé ? Pas pour Nicolas Pariser, réalisateur du court métrage remarqué La République : « Cannes n'a sans doute pas tellement changé ces dix ou vingt dernières années même si c'est un passage obligé de trouver que c'était évidemment mieux avant. » Reste que son aura semble parfois s'écorner, peut-être parce que l'évènement est désormais saturé médiatiquement (trop d'images tuent le mystère) ou que le cinéma mondial change. Pour Emmanuel Chaumet, les raisons seraient toutefois plutôt internes : « En ma qualité de producteur et compte tenu de ce que je produis actuellement, Cannes n'est plus un moment aussi important, depuis, en gros, le départ d'Olivier Père de la Quinzaine et compte tenu des positions toujours plus conservatrices du Palais : on n'attend plus grand chose de Frémeaux, qui semble seulement soucieux de présenter des films qui ont dans leur ADN de se rentabiliser sur la salle (c'est spécifiquement sur le cinéma français que je le trouve mauvais : il a raté à l'époque Lady Chatterley). Un Certain Regard n'étant plus qu'une division 2 pour cinéastes reconnus opérant sur des oeuvres mineures et pour quelques distributeurs / producteurs amis qui y présentent leur line up à l'international et à la presse, (...) c'est maintenant dans d'autres places internationales que je trouve l'attention et la mise en lumière qui correspond aux films que je défends : Locarno bien sûr (où Olivier Père a élu domicile) Rotterdam et Berlin ; trois places où il est certes aussi question de "marché", mais avec de vrais publics de cinéphiles, ce qui manque tant à Cannes, où il n'est pas rare de voir le public s'endormir. »
Regards cinéphiles
Les cinéphiles : qu'ils soient critiques ou non, ce sont eux les vrais fidèles. Les croyants. Bernard : « Quand on est cinéphile, Cannes est assez grisant. Une ville qui vit au rythme des projections, des professionnels partout. Les films les plus attendus de l'année. Redevenir une midinette en montant les marches et en croisant les stars. J'y suis allé deux fois en mode cinéphile, j'ai vu 3 ou 4 films par jour, et ce sont de beaux souvenirs. » Comme nous le confie également Jean-Sébastien Chauvin, critique aux Cahiers du cinéma et cinéaste (Les Filles de feu, Et ils gravirent la montagne) : « Cannes reste une immense plateforme qui permet d'avoir un aperçu de la production mondiale de films d'auteurs. C'est même une sorte de concentré assez passionnant de ce qui se fait à une époque donnée. De ce point de vue l'existence d'un tel festival me semble essentiel. »
Mais est-ce le regard qui change : « Après la deuxième année, j'étais lassé de ce marathon de films. » (Bernard), ou bien est-ce, même pour le cinéphile, le Festival de Cannes qui a changé changé à cause des films qu'on y sélectionne ou que l'on produit pour lui ? Jean-Sébastien Chauvin : « Il me semble que le cinéma d'auteur est en crise depuis quelques années déjà. L'année dernière, à part Sur la planche de Leila Kilani, je n'ai fait aucune découverte majeure. La sélection officielle était un bon cru, mais construite seulement sur des auteurs confirmés. Et les rares films de jeunes cinéastes étaient ratés ou juste sympathiques. Les autres films ressemblent pour la plupart à des téléfilms où la psychologie et le réalisme sont presque systématiquement de mise. On doit tout comprendre, il n'y a plus d'échappée, plus de trous, de fuite d'air. Il n'y a plus de place pour la folie, l'absence d'explication, la licence poétique, le théâtre ou la pure expérience plastique. Je trouve souvent qu'il y a une prédominance du sujet dont l'esprit de sérieux plombe les films qu'on voit à Cannes. Un film d'auteur doit parler du monde avec sérieux, être social, ou alors distant (la distance étant alors la marque de l'intelligence ou supposée telle), si bien que les films finissent par tous se ressembler. Comme si le cinéaste se substituait au sociologue ou au philosophe en oubliant qu'il doit avant tout regarder le monde à travers un oeil poétique. Cela fait quelques années que le festival se fait la caisse de résonance de cet état de fait. Du coup il arrive que je m'y ennuie. »
Cannes anyway
Que tout le monde s'accorde à trouver la ville moche et horriblement chère, qu'on se sente (parfois) obligé d'y aller en sachant qu'on va mal dormir et manger de la bouffe dégueu, que des vieux beaux quinquagénaires cannois suivent les filles la nuit dans l'Audi familiale (Sonia en a fait l'expérience), que la Croisette ne soit plus tout à fait ce qu'elle était et que certains lui préfèrent Rotterdam ou Venise, que les sélections déçoivent et les stars brillent moins par leur aura que leur professionnalisme, Cannes reste un espace mythique. Un lieu d'éternité, de vérité, où tout, du cinéma, du monde, se cristallise. Les films sont peut-être beaux, ou nuls, comme le dit Nicolas Pariser « il y a pratiquement autant de festivals que de festivaliers qui chacun, selon ses propres besoins, va y faire son marché ». Festival de privilèges, élaboré sur un système similaire aux castes indiennes, Cannes est au-dessus du monde. Il faut accepter de jouer son jeu. Qui n'a pas d'autre utilité, peut-être, que rappeler à l'essentielle et profonde futilité du cinéma, la suprématie de sa mystique dont le festival entretient le règne.
Images : © Bronx/Ad Vitam/DKB Productions
Non merci ce festival c'est plus du cinéma c'est le festival du pathétique et du ridicule.... La fête du cinéma est ailleurs, .....
Désolé mais AVANT, le festival de Cannes ca voulait dire quelques choses ca parlait cinéma....