Dans quelle mesure les affiches de films nous mentent-elles ?
Le 24 avril sort enfin dans les salles la dernière réalisation de Gus Van Sant, cinéaste qui fait par ailleurs l’objet d’une rétrospective à la Cinémathèque française, du 13 avril au 31 juillet. « Enfin » ? Ce n’est pas que film soit particulièrement attendu, mais plutôt qu’on craignait ne jamais le voir au cinéma. La faute à une réception cannoise désastreuse au point d’avoir fait de La Forêt des songes, retitré Nos souvenirs, un objet honteux à cacher d’urgence sous un tapis. Le temps de laisser les médias se calmer et l'oublier, le temps surtout de trouver un moyen de promouvoir cette patate chaude. Les distributeurs ont l’habitude de ça, la preuve.
Les journalistes présents lors de la première projection de presse de Nos Souvenirs à Cannes s’en souviennent forcément puisqu’ils sont à l’origine de toute l’affaire. A peine le film terminé, des huées d’une intensité folle retentissent partout dans la salle, comme si chacun avait passé son temps à retenir sa frustration et lâchait enfin les chevaux. Ce cri de rage, hargneux – injuste ou pas, à vous de voir le film pour en décider – retentit bien au-delà de la Croisette, minant par avance la future exploitation du film. Comment se relever d’une telle bronca ? On peut insister sur la standing ovation à la fin de projection de gala – on trouve toujours des gens debout à la fin de la séance officielle, c’est le principe des séances officielles – mais on ne peut pas effacer des tablettes les critiques assassines et la note moyenne désastreuse dans Variety ou Screen International, les deux quotidiens anglophones du bon festivalier, certifiant que le film est pire qu’un Brillante Mendoza, un Bertrand Bonello ou un Bruno Dumont ; ce qui constitue l'insulte suprême aux yeux de la presse étrangère.
Vous vous trompez, ce film n'a jamais été à Cannes
Distributeur en France de la patate chaude, SND a décalé la sortie de La Forêt des songes, l’a retitré en Nos souvenirs – jusque là rien d’extraordinaire – mais a surtout tenu à promouvoir ce Nos souvenirs comme s’il était un autre film que La Forêt des songes. Impossible de leur reprocher.
Y a-t-il eu un remontage du film, comme pour The Search, lui aussi fraîchement accueilli sur la Croisette en son temps ? Non, seulement du marketing. Regardez l’affiche, vous ne remarquez rien ? Le logo de la Palme d’Or devrait y figurer, comme pour tout film en Compétition dans le plus grand festival du monde. Une place en Sélection Officielle, ça ne se cache pas en général, c'est une fierté, l'équivalent pour les films de la Légion d'honneur, mais là, si, on ne le fait pas remarquer. La Forêt des songes était peut-être en Compétition à Cannes, mais Nos souvenirs, non, sûrement pas, vous devez confondre. Sur le plan purement visuel, Matthew McConaughey reste la tête d’affiche, mais c’est Naomi Watts qui se retrouve à son niveau, à la place du pauvre Ken Watanabe, plus fin qu’un arbre, dans la bande inférieure. Oui parce qu’apparemment, le film ne se déroule plus dans la fameuse forêt des suicidés, c’est tout juste si ce n’est pas une suite masculine à Lost in Translation, décor tokyoïte oblige, en plein milieu. Le meilleur reste toutefois le changement de synopsis. Et là encore, il s'agit de constater, bien plus que de jeter la pierre à un distributeur qui a entre les mains un film sur lequel la presse braque son fusil.
Dans La Forêt des songes, il n’était question que de suicide : un Américain vient mettre fin à ses jours là où des Japonais ont fait de même avant lui, et repousse soudain son plan morbide pour venir en aide à un homme. Pas d’épouse, pas de Naomi Watts. Dans Nos souvenirs, une épouse apparaît, elle a même un prénom, Joanie, et c’est à elle que pense notre héros, tout le temps, davantage qu’à l’homme qu’il devait sauver en tous cas, vu que dans le nouveau pitch il n’en est plus question.
La Forêt des songes racontait l’histoire d’une rencontre entre deux suicidaires dont l’un décidait d’aider l’autre. Nos souvenirs raconte l’histoire d’un Américain assis le cul dans les ronces qui se dit que, quand même, c’était super cool d’aimer sa femme. On vous laisse juge de ce type d’ajustement qui n’est pas du tout rare, évidemment.
Remplacer le chat par un enfant et le flingue par un ballon
Celles et ceux qui ont vu Manglehorn en salles, sur la foi de son affiche, doivent être aujourd'hui plutôt dubitatifs. Dans ce film de David Gordon Green, Al Pacino joue le rôle-titre : un serrurier acariatre qui écrit à une femme qu'il n'a pas vu depuis vingt ans, un solitaire préférant la compagnie de son chat à celle de son fils. Sa vie est morne, la photo du film est verdâtre, Pacino monologue souvent, etc. Pas vraiment le programme annoncée par le visuel de l'affiche : à l'avant-plan d'une photographie champêtre, Al Pacino marche accompagné d'une fillette tenant un ballon de baudruche. A l'écran, le héros est misanthrope et grincheux. Aux arrêts de bus, il s'affiche en papi gâteau.
Si on se fie au visuel de Manglehorn, on a l'impression que Tony Montana s'est transformé en Michel Serrault dans Le Papillon, tant les affiches des deux films se ressemblent. Sauf que le personnage de Serrault emmène effectivement la petite Elsa à la chasse aux papillons, alors que les minutes passées par Pacino avec la fillette de Manglehorn - dont l'interprète n'est même pas créditée en bas de l'affiche - se compte sur les doigts d'une seule main.
De l'autre côté de l'Atlantique, la première affiche de Manglehorn montrait des jambes attribuées à Al Pacino, et un chat, l'être vivant avec qui le héros passe le plus de temps dans le film. Mais comme en France, même souci : les graphistes en mal d’inspiration ont allégrement pompé un modèle des années 1970, l'affiche française (et même européenne) du Privé de Robert Altman.
De cette 1ère affiche américaine, jusqu'à l'affiche française - il ne s'agit pas d'études ni de versions de travail, mais bien de produits diffusés - on est passé d'un chat examinant un calibre sur fond jaune, à une image de grand-père aimant. Le slogan a bien changé, lui aussi. De l'esprit Far West de « You get one shot at life. Try not to miss », il ne reste rien. Le ton n'est plus le même, place à l'optimisme avec « La vie avant tout ». Une évolution qui correspond bien à l'autre changement flagrant : le remplacement du revolver des débuts par un ballon et celui du chat - dont on apprécie le transformisme entre la 1ère et la 2ème affiche US - par une enfant, preuve que ni arme à feu ni griffes n'ont leur place dans le Manglehorn en VF.
Iranien, égyptien, transexuel, femme : seul le voile compte
Quelles soient françaises ou américaines, les affiches de cinéma correspondent à des normes susceptibles d'indiquer rapidement à quel registre ou quel genre le film appartient. Dans le cas du documentaire animalier, par exemple, la couleur bleue semble indispensable. Alors que pour vanter les mérites un film d'action doublé d'un thriller, les distributeurs privilégient des affiches en mouvement, qui consistent à exposer un homme en pleine course dans une rue pavée. Tout cela tient désormais de la convention : en un coup d'oeil, on se fait une idée du contenu du film en associant instinctivement l'affiche que l'on voit à d'autres vues par le passé, donc en associant inconsciemment le contenu des films (si ça a le même look, c'est que c'est la même chose). Nouveauté : désormais, on n'uniformise plus seulement par le genre, mais par la nationalité. En France, c'est le cas des films iraniens (et même au-delà, tant qu'il y a des femmes voilées, puisque Les femmes du bus 678 a droit au même visuel alors qu'il vient d'Egypte). Avec le succès de son film Une séparation, Asghar Farhadi a eu droit a des redites en matière d'affiches, même pour ses oeuvres antérieures à celle qui lui a valu l'Ours d'Or et le César du meilleur film étranger. On jette un oeil au visuel d'A propos d'Elly et on se dit que c'est du même réalisateur que Une séparation. Mais ça ne s'arrête pas là. La charte graphique Farhadi vaut maintenant pour tous les films iraniens, histoire que l'on soupçonne chacun d'eux d'être de la trempe de Farhadi, donc d'Une séparation.
Problème : cette norme gomme les spécificités des histoires et affaiblit leur portée. C'est flagrant dans le cas d'Une femme iranienne, dont l'affiche française a valu a son distributeur d'être accusé de transphobie. Pourquoi ? Parce qu'en vendant son film comme un nouveau portrait de femme dans la veine d'autres réalisations iraniennes, celle-ci faisait complètement oublier qu'il était en fait question d'un garçon trans female to male. Chacun est libre de voir là une forme de trahison ou une volonté d'ouvrir le sujet à l'audience la plus large possible, compréhensible du point de vue de distributeurs, même si cela flirte parfois avec le mensonge par omission. Sur la seule foi de son affiche française, comment savoir que Windfighters est un film coréen et non américain ? C'est impossible, mais il n'y a rien de faux sur l'affiche : le visuel met simplement la tête du héros sous un casque, ne place aucun nom en avant et laisse supposer, par association avec Top Gun ou tout autre film avec des avions de chasse, qu'il s'agit d'un film américain. C'est plus vendeur que coréen et c'est de bonne guerre.
Parfois, certains spectateurs se sentent trahis. Ceux pour qui Drive s'annonçait comme un film d'action bourré d'adrénaline, parce que son affiche leur rappelait des films avec des courses-poursuites automobiles comme Bullitt ou Fast & Furious. Quant au dragon sur l'affiche du dernier Hobbit, des vodkastos ont hurlé en constatant que son importance dans le film était inversement proportionnelle à sa présence sur l'affiche. Ce n'est rien à côté du cheval de l'affiche du Grand soir, chevauché par un Dupontel habillé en cowboy, à côté d'un Poelvoorde grimé en indien, que nous ne verrons jamais dans le film.
Et il n'y a pas que les bêtes invisibles, il y a les acteurs peu visibles, mis en valeur sur le visuel de promotion alors même qu'ils ne font qu'une apparition furtive dans le film ou jouent un second voire troisième rôle. On frise l'arnaque quand c'est le cas de Willem Dafoe, présent sur l'affiche du 1er chapitre de Nymphomaniac alors qu'il n'apparait que dans le second volume. On se sent un peu grugé face à Sherif Jackson, retitré pour donner le beau rôle à Ed Harris plutôt qu'à l'héroïne jouée par January Jones, comme en témoigne le passage de l'affiche américaine à l'affiche française.
Heureusement face à cette avalanche de petits arrangements avec les films, les internautes s'en donnent à coeur joie pour se moquer des manies des distributeurs. Entre le tumblr On s'tape l'affiche, qui prend un malin plaisir à détourner les affiches en y incrustant les citations critiques les plus assassines, nos affiches honnêtes de candidats aux César ou celles de College Humor aux Oscars, le réseau veille.
Ça, c'est tout de même un peu exagéré. Et j'ai la preuve !
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