Avengers Endgame : La guerre de la toile
Ce mercredi 24 avril, Avengers : Endgame signera la conclusion d’un cycle commencé il y a maintenant dix ans, entraînant avec lui des hordes de cinéphiles prêts à en découdre pour assister à l'avant-première. Aux Etats-Unis, la fièvre s’est emparée des fans et l’événement bat tous les records de préventes. Le phénomène touche-t-il aussi la France et pourquoi suscite-t-il autant d'attente ?
Ce mardi soir minuit, les badauds encore debouts croiront peut-être avoir la berlue en voyant se former de longs cortèges extatiques aux abords des cinémas de leur ville. Ce qu’ils ignorent peut-être, c’est que se tient là, en avant-première mondiale, la conclusion cinématographique d’une saga née il y a un peu plus de dix ans sous l’armure d’un marchand d'arme milliardaire et alcoolique. Qu’on se rassure, il ne s’agit pas de l’origin story de Serge Dassault, mais bien du dernier baroud d’honneur de Tony Stark et ses acolytes, les “Avengers”, dans le volet final du Marvel Cinematographic Universe (MCU), adaptation cinématographique des comics de même nom.
Avec des recettes mondiales titillant les dix-neuf milliards de dollars, le fantôme de Stan Lee règne maintenant seul sur l’empire des franchises : plus lucratif qu’Harry Potter (Warner Bros.) ou l’historique Star Wars, le MCU, à l’instar de son grand vilain Thanos, écrase tout sur son passage... Pour ce dernier opus, on s’attendait par conséquent au raz-de-marée, mais peut-être pas à ce point. Avengers : Endgame défraie déjà la chronique chez l’oncle Sam, et ce plus de deux semaines avant sa sortie : nombreuses séances “sold-out”, tickets revendus sur Ebay pour des sommes aussi fantaisistes qu’astronomiques... La chose est historique, à tel point que selon CNBC, le film a généré en 24h le double des préventes conjuguées (!!) de Star Wars VII, Aquaman, Infinity War et Captain Marvel…
En France, l’attente est un peu moins bigger than life, mais ne se se dément pas pour autant. Partout dans l’hexagone, des avant-premières sont fermées à la réservation : si du côté de la firme aux grandes oreilles il est impossible d'en savoir davantage à ce propos – la faute à une communication verrouillée –, on se rend compte assez facilement de l'ampleur du phénomène lorsqu'on essaie de réserver ses places sur le site dédié. Sarah Vuibert, directrice adjointe du Pathé Beaugrenelle (Paris 15e), confirme d'ailleurs l'engouement des spectateurs français : “les séances en salle 4DX 3D sont quasi complètes le mercredi de sortie et à moitié remplies le week-end suivant. Nous recevons énormément de messages sur nos réseaux sociaux quant à sa programmation.” Des messages pas toujours très heureux : on ne compte plus le nombre de tweets rageurs de fans qui ne pourront pas assister à l’avant-première, parce que leur ville ne la propose pas ou parce que les places sont parties en quelques heures :
MON CINÉ NE FAIT PAS D’AVP POUR AVENGERS ENDGAME. C’EST UNE BLAGUE ?! pic.twitter.com/XxsthlhHUi
— Endgame D-2 (@captainflxsh) 5 avril 2019
mais en fait c’est complet partout pour Avengers mercredi là?
— khaLEEsi (@wavinLIARS) 21 avril 2019
Twitter Universe
La peur du fameux spoiler ? Pas seulement. Nombreuses en effet sont les stratégies d’évitements des “divulgâcheurs", mais l’essentiel des spectateurs n’en peut simplement plus d’attendre. Pour @captainflxsh, étudiant près de Lens et fan un poil tardif de la franchise (il l’a découverte avec Thor, en 2011), l’absence d’avant-première dans sa ville est difficilement acceptable : “Je trouve ça quand même hallucinant et dommage, notamment vis à vis de l’événement que le film représente (en plus d’être le tournant majeur du MCU).” Pour tous ces jeunes adultes qui sont presque nés au cinéma avec Iron Man (2008), l’univers a grandi avec eux pendant une décennie entière : de quoi s’y attacher durablement. Ainsi, toujours pour @captainflxsh, “Le MCU représente un élément essentiel pour vivre heureux : une sorte de bulle où il est possible de se réfugier pour échapper au quotidien, s’évader ou se relaxer.”
Il faut dire que tout est fait pour maintenir les fans dans le bouillon : les exclusivités, sondages et autres secrets de tournages semés au gré du vent sur Twitter, Facebook et Instagram maintiennent intacte leur vigilance ; on publie les punchlines du film qu'ils ressassent comme un mantra et on organise des jeux concours pour asseoir la popularité du film. Sur le compte Twitter d’Avengers, les contenus s’enchaînent à un rythme très régulier, même en dehors des périodes de sorties : l’internaute doit toujours pouvoir se rappeler que le MCU est là et bien là, même tapi dans l'ombre. Les médias en ligne ne sont pas en reste : pour faire du clic, les articles sur le modèle "Quel héros de [insérez le titre du film] êtes-vous ?" permettent des audiences sures, qui à leur tour accentuent l'empathie des lovers, voire poussent les profanes à s'y intéresser, pour ne pas avoir le sentiment de décrocher : c'est gagnant-gagnant, pour les studios et pour la presse.
La grande toile
Toujours est-il que la stratégie n'est pas bien nouvelle et n'explique pas à elle seule l'immense succès annoncé d'Avengers : Endgame, aux USA, en France ou partout ailleurs : aujourd'hui, la plus rudimentaire communication autour d'un blockbuster s'organise de la sorte. Après tout, Le Réveil de la Force (2015), son merchandising tous azimuts et la folie suscitée par trente-deux ans d'attente n'a toujours pas été détrôné, même par le précédent volet du MCU, Infinity War. Ce que s'apprête pourtant à faire Endgame, si on se fie aux préventes records qu'il a générées. C'est qu'à l'instar des séries, Marvel fonctionne moins sur la longueur de l'attente et sa mythologie que sur l'écheveau de personnages et d'intrigues qui trouveront leur dénouement dans un grand "season finale", season finale (ici personnifié par Endgame), toujours pourvoyeur d'audiences spectaculaires : on bombarde ainsi le spectateur de longs-métrages (déjà vingt-deux en seulement dix ans pour le premier arc, qui se concluera ce soir), comme autant d'"épisodes" et dont, à la manière d'un feuilleton, chaque segment sert de pierre à l'érection d'une grande résolution, jaillisant comme un bouquet final.
L'autre raison, sans doute, sourd de la multiplication incessantes de figures auxquelles s'identifier, toutes réunies au sein d'un même finale. Ainsi les aficionados de Black Panther, Captain Marvel ou Hulk pourront-ils communier ensemble à la dernière grande messe qui signera la fin du game. Au fond, ce qu’avait tissé Stan Lee s’est naturellement fondu dans la société de l’internet, selon le principe de remediation (dont nous vous parlions ici) : de l’encre aux pixels, de Spiderman aux Gardiens de la Galaxie (2013), il s’agit toujours de sentir le “teen spirit” – ses failles – et de lui tendre autant de miroirs fantastiques qu’il est possible d’en rêver. Ca tombe bien : le bestiaire de Marvel est aussi infini que la toile compte d’âmes avides d'échappatoires. Alors, à ceux qui se lamentent déjà de l’emprise des super-héros sur l’industrie du cinéma, vous n’avez pas fini de pleurer : on annonce déjà un deuxième grand arc du MCU avec trois volets inauguraux planifiés pour 2020.
Rachel Dawes: You're not talking about justice. You're talking about revenge.
Batman/Bruce Wayne: Sometimes they're the same.
Rachel Dawes: No, they're never the same. Justice is about harmony. Revenge is about you making yourself feel better, which is why we have an impartial system.