Bac Philo 2013 : corrigés cinéphiles
Les sujets du bac de philo 2013 sont tombés ce matin et nous nous sommes creusé la tête pour vous. Découvrez un florilège de références cinéphiles pour illustrer les meilleures dissertations...
Les cours de philo n'ont jamais été aussi... stimulants que dans Noce blanche
Autant qu'une passion, le cinéma peut être un véritable allié lorsqu'arrivent les épreuves les plus littéraires du Baccalauréat. Il aura déjà été un précieux outil pédagogique tout au long de la scolarité de la plupart des élèves français, comme le rappelait notre sélection de films vus en classe par les membres les plus actifs de Vodkaster. Souvent apprécié des enseignants en philosophie, le cinéma est parfois le bienvenu dans une copie.
Pour aborder avec bon sens une épreuve qui demande du raisonnement, nous vous avons confectionné, chers lycéens en larmes, des réponses cinématographiques à vos préoccupations intellectuelles. A chaque sujet, et quelque soit votre parcours, voilà ce qu'aurait pu vous souffler le cinéma.
Le Bac L
Le langage n'est-il qu'un outil ?
Tout élève avisé saura reconnaître dans la formulation en «ne que» une invitation à fournir un plan dialectique. Autrement dit : à concéder dans un premier temps que oui, le langage peut être avant tout perçu comme un outil de communication, comme une manière d'articuler une pensée, mais qu'il s'agira dans un deuxième temps d'aller plus loin. On sait que toute démarche intellectuelle ayant un objet précis s'appuie sur les mots, même non dits et seulement pensés en silence. Nous pensons toujours dans une langue, avec sa grammaire et son lexique.
Mais le langage, plus que comme un outil, peut être appréhendé comme un système en soi, à même d'affecter celui à qui il s'adresse avant de l'informer ou de l'instruire. La psychanalyse, par excellence, s'est intéressée au langage et à ses codages, ses ambiguïtés, ses hiatus comme révélateurs d'un inconscient que - par définition - le patient ne parvient pas à articuler en pensée claire.
Dans Freud, Passions secrètes, John Huston a la bonne idée de ne laisser place dans les représentations des rêves qu'à la parole de celle qui les raconte tandis qu'elle est hypnotisée. Les personnages du rêve sont privées de langage, et le langage de celle qui tente de se souvenir devient une porte d'entrée débouchant directement sur son inconscient :
Cecily Koertner, extrait de Freud, passions secrètes
La science se limite-t-elle à constater les faits ?
Aussi étonnant que cela puisse paraître, les élèves de la section Littéraire ont dû s'interroger sur la science. Peut-être certains auront-ils eu l'idée de donner à la «science» un sens suffisamment large pour se permettre des parallèles avec l'art et tirer le sujet vers un terrain mieux connu. Si l'on prend le terme «faits» comme un ensemble de données simples (la réaction imparable et identifiable d'un élément chimique avec un autre, etc.), alors il apparaît clairement que la science peut dépasser la simple constatation d'événements, de caractéristiques, etc. Dans le fond, la science prise dans son ensemble ne vise-t-elle pas à livrer une vision du monde, à percevoir une organisation secrète des choses, à rendre intelligible des dynamiques qui nous dépassent ? Mais au fond constater les faits pour toucher du doigt ce qui nous dépasse, c'est aussi la démarche scientifique d'Ellie (Jodie Foster) dans Contact :
Audition finale, extrait de Contact
Le Bac ES
Que devons-nous à l'Etat ?
Cela a assez souvent été répété en classe de philo : pas de droits sans devoirs. Le fondement d'un Etat de droit suppose des devoirs civiques (vote, élection, impôt, défense...) au-delà du seul devoir d'obéissance auquel se limitent les Etats tyranniques. C'est ce service de l'Etat par ses citoyens qui permet à ceux-ci "d'être l'Etat", d'assurer un "contrat social".
Pour autant, les critiques habituellement du Contrat Social peuvent être avancées : pour que l'Etat puisse assurer la protection et la garantie des biens de ses citoyens, il doit disposer du «monopole de la violence légitime» (Weber, vous vous souvenez ?) et ainsi que les citoyens renoncent en quelque sorte à toute liberté naturelle à son profit.
L'incertitude paraît donc inséparable de l'idée de soumission à un ordre, et au cinéma, c'est souvent la science-fiction qui a représenté les dérives possibles de formes étatiques modernes. Dans THX 1138, George Lucas imagine un pouvoir qui contrôlerait les individus non seulement physiquement, mais aussi mentalement. L'anéantissement de la pensée libre : le cauchemar des philosophes qu'il semble donc judicieux de convoquer dans sa copie.
Opening scene, extrait de THX 1138 Director's Cut
Interprète-t-on à défaut de connaître ?
Interprétation/connaissance, sciences explicatives/sciences compréhensives : vous nous suivez ? Le sujet convoque deux termes dont il s'agit de questionner l'opposition et in fine de lier de manière moins évidente. Certaines disciplines, par leur objet même (en gros, les sciences humaines), peuvent difficilement prétendre à une connaissance unique et précise, et doivent souvent recourir à une démarche interprétative. Difficile, dès lors, de distinguer la plus riche, la plus pertinente, cohérente et "vraie" des interprétations.
Le sujet suggère ainsi une réflexion sur l'inaccessibilité de certaines connaissances et donc la nécessité de l'interprétation. Attention pour les cinéphiles qui se laisseraient dépasser par leur enthousiasme face au sujet : l'interprétation n'est pas ici à confondre avec celle de l'acteur, on est bien d'accord ! Mais le cinéma reste par excellence l'art pouvant donner matière à réflexion sans fournir de solution clé en main. Il suffit de citer Mulholland Drive de David Lynch pour mettre en avant la noblesse que peut acquérir le mystère d'une oeuvre quand c'est du processus même d'interprétation que vient le plaisir du film.
Le Bac S
Peut-on agir moralement sans s'intéresser à la politique ?
L'acte moral est profondément lié l'intention subjective : ma conscience sait que j'agis selon mon devoir, et peu importe le résultat. Pour autant, l'acte personnel est à mettre en perspective avec des principes plus généraux, qui définissent une société. Par exemple, je ne dois pas mentir, mais cela peut avoir des effets catastrophiques en politique de toujours dire la vérité. Car la politique est rapport de force et lutte pour le pouvoir. Elle peut donc être amenée, pour assurer la continuité de l'Etat, à s'opposer aux devoirs moraux - elle le fait souvent de fait, voir les affaires récentes. S'intéresser à la politique, c'est accepter que tous les moyens sont bons, c'est accepter cynisme et immoralité. Il semblerait alors qu'on ne puisse agir moralement que si on se désintéresse de la politique, car les moyens et les fins s'opposent. S'intéresser à la politique serait la ruine de la conscience morale ; ce serait accepter d'avoir "les mains sales " (Sartre). Le récent Exercice de l'Etat questionne tout du long ces rapports entre principes transcendants et politique comme pratique quotidienne du discours, quitte à maquiller la vérité.
Obtenir un démenti de Matignon, extrait de L'Exercice de l'Etat
Le travail permet-il de prendre conscience de soi ?
L'acte de travail, qui constitue fondamentalement la modification de son environnement par l'individu, peut permettre une affirmation de sa propre force physique et donc une prise de conscience de son impact sur le monde alentour. Pour autant, dès lors que l'on s'intéresse à un niveau plus sociopolitique, le travail peut dessiner des fractures au sein de la société, distinguer et hiérarchiser des groupes. Dès lors que l'individu a conscience d'appartenir à l'un de ces groupes, on peut parler de "conscience de classe", mais une forme d'aliénation au travail (filmée par excellence par Chaplin dans Les Temps modernes) rend la question compliquée. Le travail étant au yeux de celui qui l'effectue une nécessité vitale, l'aliénation en lien avec les marchandises et le fétichisme social peut isoler le travailleur des dynamiques sociales plus larges et entraver sa conscience donc son engagement politique ("lutte des classes"). Dans l'un des fleurons du cinéma politique engagé (enragé?) de nos voisins italiens, La Classe ouvrière va au Paradis (Palme d'Or 1971), Elio Petri pousse assez loin cette réfexion. Gian Maria Volonte incarne un travailleur à la chaîne d'abord typiquement aliéné par sa tâche et qui, suite à un accident du travail, glisse vers une forme extrémiste et dangereuse d'engagement politique, possible nouvelle aliénation.
Aujourd'hui pour vous le soleil ne brillera pas, extrait de La Classe ouvrière va au paradis
En quoi est-ce que ça rappelle de merveilleux souvenirs?