Et si les blockbusters de l'été 2013 étaient des tableaux de maitres ?
Si la qualité des superproductions sorties en cet été 2013 suscite le débat nous aurions tort de ne pas saluer l'étonnante diversité picturale offerte cette saison à nos petits yeux - chaussés ou non de lunettes 3D. Nous tenterons ici d'illustrer cette variété plastique en comparant ces coûteux blockbusters à des peintures célèbres.
«J'ai vu un film de Rohmer une fois. C'était un peu comme regarder la peinture sécher.» Pour détourner la fameuse réplique de Gene Hackman dans La Fugue d'Arthur Penn, on pourrait dire des blockbusters de l'été qu'ils sont des peintures déjà sèches. S'il est commun chez les nouveaux beaufs de la critique cinéma de tomber à bras raccourcis sur ces opus monstrueux qui, chaque année, inondent les écrans à coups de millions de dollars, il est plus rare de les voir pris au sérieux. A ce sujet, la belle série d'Independencia : L'Été des studios (AKA 100.000.000$ minimum) vaut vraiment le détour. Ne soyons pas dupes pour autant, les blockbusters sont avant tout des produits dont la fonction est le divertissement de masse et dont la valeur se mesure aux résultats au box-office. Mais le cadre économique dans lequel ces films sont produits ne doit pas remettre en cause leur valeur picturale.
Car si le déluge d'effets spéciaux décriés par certains est incontestable, il présente l'avantage d'offrir chaque année une grande variété de propositions plastiques. Il est d'ailleurs courant que les artistes numériques à l'oeuvre sur ces grosses machines travaillent littéralement comme des peintres. On peut ainsi admirer le travail du studio Mirada pour Pacific Rim, celui de Marcos Shih pour After Earth et Star Trek Into Darkness, ou encore les travaux de matte painting réalisés par le studio Cinesite pour World War Z.
Pour faire état de cette impressionnante diversité visuelle, mettons l'été des studios en perspective et tentons de rapprocher chaque film d'une toile de maître...
After Earth, 5 juin
Forêt vierge au soleil couchant, par Henri Rousseau (1907, Bâle, Kunstmuseum)
La forêt luxuriante traversée par le fils Smith dans After Earth n'est pas sans rappeler les paysages touffus du Douanier Rousseau. Shyamalan qui livre ici un condensé des thématiques de ses films précédents (l'angoisse, le deuil, la paternité...) s'approche de la naïveté du trait caractéristique du peintre.
Star Trek Into Darkness, 12 juin
Formes circulaires, par Robert Delaunay (1930, New York, Guggenheim Museum)
Les décors épurés de Star Trek et la palette de couleur vives et lumineuses employée par J.J. Abrams sont en adéquation complète avec la limpidité du récit. Le film, qui alterne mouvement permanent dans l'action et inertie dans la négociation, emploie un schéma circulaire qui assure sa dynamique. L'acte de réinitialisation, de reboot ou de révolution qui caractérise l'approche d'Abrams rejoint ainsi les figures de Delaunay qui évoquent à la fois les halos lumineux chers au cinéaste ainsi que l'enchevêtrement narratif qui permet l'extrême fluidité des meilleures séquences du film. Reposant sur une structure simple en apparence mais particulièrement élaborée, Star Trek Into Darkness touche à une certaine forme d'abstraction.
Man of Steel, 19 juin
La résurrection du Christ, par Pierre Paul Rubens (1611-1612, Anvers, Cathédrale Notre-Dame d'Anvers)
Une fois n'est pas coutume, Zack Snyder a ici relativement bien résisté aux sirènes du pompiérisme qui accablait l'esthétique de ses précédent films. Pour autant, il signe avec Man of Steel un opus obsédé par la figure du Christ qui emprunte du même coup à certaines de ses pompeuses représentations. Si le réalisateur précise qu'il n'a rien inventé : «Les parallèles avec le Christ, je ne les ai pas inventés [...] Tout ça était là, dans la mythologie du personnage.» le lien est cette fois lourdement souligné. On peut ainsi raccrocher son superman de 33 ans aux représentations musculeuses du XVIIème siècle. Bien que le chromatisme grisâtre emprunté à Nolan n'évoque pas vraiment la peinture flamande, la composition du triptyque de Rubens reflète mieux l'héroïsme viril du personnage que les oeuvres antérieures de Giotto et Botticelli ou même que l'interprétation plus vaporeuse d'El Greco à la même période.
World War Z, 3 juillet
Le Triomphe de la Mort, par Pieter Bruegel l'Ancien (1562, Madrid, Musée du Prado)
Le cinéma hollywoodien nous avait habitués aux apocalypses cosmiques, aux déchainements des océans ou autres bouleversements climatiques, mais World War Z apporte une représentation plus conforme à celles d'un Jerome Bosch ou, comme dans l'exemple ci-dessus, de Bruegel l'Ancien. Cette vision de la fin du monde par (ou dans) la foule avait, malgré son effet saisissant pour le spectateur, encore assez peu été explorée par le cinéma de genre qui ne s'était jamais permis d'attaques de zombies aussi massives. Si ses plans larges sont réellement impressionnants, le film n'est jamais à la hauteur de ses illustres références dès qu'il s'agit de s'intéresser aux détails.
Pacific Rim, 17 juillet
Nuit étoilée sur le Rhône, par Vincent Van Gogh (1888, Paris, Musée d'Orsay)
Dans la luxueuse galerie des films de l'été, Pacific Rim est sans aucun doute la pièce maîtresse. Des carcasses monstrueuses léchées par le tumulte de vagues gigantesques et, sur la chair et la tôle, qui se déchirent et s'entrechoquent, les reflets grisants des lumières de la ville. L'ambition esthétique affichée par Del Toro est là sans d'ambiguité, puisqu'il revendique lui-même des inspirations picturales comme Le Colosse de Francisco Goya (qui est l'une des premières images qu'il a eu en tête au moment de préparer le film) ou encore La Grande vague de Kanagawa. La très célèbre estampe de Katsushika Hokusai était pour le cinéaste la principale référence donnée aux équipes chargées des effets spéciaux : «Je leur disais 'Donnez moi une vague à la Hokusai'...». Le parallèle avec Van Gogh, dont on sait l'oeuvre très inspirée par les estampes japonaises est ainsi tout trouvé, tant sa peinture est capable de saisir à la fois le tumulte et le gigantisme.
Wolverine : le combat de l'immortel, 24 juillet
Le conte des 8 chiens de Satomi, par Toyokuni III (1855)
Particulièrement inconsistant visuellement, Wolverine : le combat de l'immortel s'accroche tant bien que mal à l'esthétique traditionnelle de son décor japonais. Confronté à un samouraï métallique extrêmement laid, Logan finit même par en perdre les griffes.
Lone Ranger, 7 aout
I am crow © Kirby Sattler
Gore Verbinsky est allé chercher l'inspiration de son nouveau personnage dans l'oeuvre d'un artiste américain contemporain "non-natif" qui avoue lui-même tirer ses représentations d'indiens d'Amérique de son imagination. Evidemment le résultat énerve beaucoup les principaux concernés qui reprochent depuis des années à Hollywood de façonner des stéréotypes insultants pour leur peuple. Contrairement à Verbinsky, Sattler a toutefois eu la décence de ne pas mobiliser 215 millions de $ et un Johnny Depp cinématographiquement agonisant pour réaliser sa croûte.
S'il n'est pas dit que tous les blockbusters sortis cette été traverseront les âges aussi bien que les oeuvres mentionnées ci-dessus, il est intéressant de constater qu'en dépit de la tendance à l'uniformisation qu'on pourrait paresseusement associer à la quête de profit, la direction artistique hollywoodienne reste encore aujourd'hui particulièrement active et diversifiée.
Je n'aurais pas dû généraliser, il s'agit ici précisément des journalistes de Studio Ciné Live à qui le qualificatif de nouveaux beaufs convient très bien, ils arrivent à être à la fois bêtes et pédants.
En revanche les vidéos produites par la presse pour le net sont en général assez horribles, ici le son est dégueulasse et c'est cadré avec les pieds et sur le fond ça tient souvent plus de l'horrible "crash test" du Grand Journal avec son avalanche d'adjectifs, que du Cercle qui est une très bonne émission cinéma réalisée par des professionnels et non des stagiaires sous-payés.
Il y a bien sûr des exceptions sur le net, notamment "Après la séance" réalisée (très bien) par des jeunes avec des intervenants blogueurs, avec j'imagine encore moins de moyens que la presse.