Les César récompensent-ils les succès du box-office ?
Bon, alors, en fait, dans le fond, et pour en finir une bonne fois pour toutes, entrons sans plus tarder dans le vif du sujet qui taraude tout le monde, comme ça, de but en blanc, direct : les choix des César sont-ils incompatibles avec ceux du public ?
Parmi les reproches qu'on entend parfois, le prétendu élitisme des César est un thème qui revient souvent : la cérémonie ne représenterait pas les goûts réels du public hexagonal. Pourtant, cette année, trois jolis succès du box-office (The Artist, Polisse, Intouchables) sont en course pour les prix les plus prestigieux de la cérémonie, et font d'ores et déjà mentir les râleurs. Peut-être faut-il y voir une manière pour l'Académie de se racheter quelques années après avoir snobé 20 millions de français en boudant Bienvenue chez les Ch'tis, puis en ne tenant pas sa promesse d'accorder à partir de 2010 un César aux plus gros succès du box-office?
Ce n'est un secret pour personne, mais il faut bien reconnaître que les César ne goûtent que peu les comédies, leur préférant de loin les films sérieux, dramatiques ou sociaux, en tout cas bien plombants, comme Des hommes et des dieux, Un prophète, Séraphine ou La Graine et le mulet (les 4 derniers en date). En revanche, parler d'élitisme est un réel abus de langage : sur les 17 derniers César du meilleur film, 15 ont réalisé le très joli score de plus d'un million d'entrées.
A l'inverse, une étude succincte des plus gros succès français depuis 1976 (date de création de la récompense) révèle effectivement des choses assez étonnantes, comme l'absence totale de nominations pour Le Placard, Les Petits Mouchoirs, Camping, Rien à Déclarer, La Chèvre ou Emmanuelle, qui ont chacun marqué leur année, voire même, d'une certaine manière, l'histoire du cinéma français, et dont on peut trouver étrange qu'ils n'aient pas obtenu la reconnaissance de leurs pairs.
De leur côté, Bienvenue chez les Ch'tis, l'immense Astérix d'Alain Chabat, La Cage aux folles ou Les Trois frères écopaient vaguement de lots de consolation avec des nominations ici ou là, mais échappaient malheureusement aux prestigieuses catégories « meilleur film » et « meilleur réalisateur », ce qui a quelque chose de presque dédaigneux, et revient à dire que le cinéma populaire ne vaut pas la peine qu'on s'y attarde s'il vise à faire rire son public. Sous cet angle, on peut alors bien considérer que si Intouchables a retenu l'attention des votants, ce n'est pas tant pour ses qualités de comédie que pour sa mise en scène des relations entre classes sociales et son message politique?
Allez bougez-vous un peu ! extrait de Intouchables
Alors maintenant, vous le saurez, au cas où il vous prendrait l'envie de râler, veillez à le faire correctement : il est incorrect de dire que les César ne récompensent que des films impopulaires ou d'art et d'essai, en revanche il est parfaitement vrai qu'ils n'aiment visiblement pas beaucoup les comédies. Si Intouchables est récompensé ce soir, il fera date dans l'histoire de la cérémonie, et donnera le ton à suivre pour les aspirants meilleurs réalisateurs amoureux de comédie : il faut être drôle tout en véhiculant un message politique et social fort, et donc viser plus vers Intouchables que vers Le Placard. Subtil.
Image : © A.M.L.F.
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jolafrite8 décembre 2014 Voir la discussion...