Comment Ridley Scott a récupéré le contrôle de Blade Runner
L’aventure Blade Runner s’étale de 1982 à 2007, avec pas moins de sept versions — voire huit, en comptant le tout premier montage d’environ quatre heures. Pour la dernière en date, finalisée en 2007, Ridley Scott a eu le contrôle artistique total, vingt-cinq ans après la première exploitation du film en salles dans une copie amendée par les producteurs. Nicolas Didier, de Télérama, revient sur ce long bras de fer dont le cinéaste a fini par sortir vainqueur.
Le montage du Final Cut, sans doute le meilleur, est le « préféré » de Scott, comme il le confie dans les bonus de l’excellente édition DVD Ultimate, qui regroupe les cinq versions principales. Un « montage final » qui n’aurait probablement jamais vu le jour sans la notoriété grandissante du réalisateur dont la filmographie, certes inégale, comporte une ou deux œuvres marquantes par décennie depuis la fin des années 1970.
L’histoire de Blade Runner est connue. En 2019, dans un Los Angeles futuriste, pluvieux et poisseux, Rick Deckard (Harrison Ford), policier chargé de traquer des androïdes à durée de vie limitée (appelés Réplicants), tombe amoureux de l’une d’entre eux, prénommée Rachel (Sean Young). Les débats passionnés sur la véritable nature de Deckard — être humain ou Réplicant qui s’ignore ? — durent depuis trente-cinq ans, et chaque version fournit son lot d’arguments en faveur de l’une ou l’autre des théories. Ce qui est sûr, c’est que l’interprétation « Deckard Réplicant » s’est renforcée au fil des années, comme si le personnage, point de cristallisation des divergences entre le cinéaste et la production, mutait d’homme à androïde à mesure que Ridley Scott reprenait le contrôle de son film.
« Deckard est un putain de Réplicant ! »
Car le réalisateur a toujours été formel, sans aucune ambiguïté : « Deckard est un putain de Réplicant ! ». Mais, en 1982, même si le scénario conservait une part d’incertitude, les producteurs préféraient qu’il soit humain, notamment pour ne pas assombrir l’image d’un Harrison Ford au sommet de sa carrière — c’est l’époque de Han Solo et d’Indiana Jones. Dès l’origine, Deckard était condamné à l’hybridation : malgré les directives de Scott, l’acteur dit l’avoir joué comme un humain et Hampton Fancher, le scénariste, affirme avoir écrit un rôle d’homme, et non d’androïde.
"This movie gets worse every screening"
— La Cinémathèque (@cinemathequefr) 3 octobre 2017
L'enthousiasme... mesuré des co-producteurs de #BladeRunner en 1982. pic.twitter.com/B8CybtG3dw
Blade Runner est la toute première adaptation au cinéma d’une œuvre de Philip K. Dick. En mars 1982, Ridley Scott, qui sort des Duellistes et d’Alien, rend une première copie – connue sous le nom de « version de travail » –, montrée lors de projections tests à Denver et Dallas par The Ladd Company, en partenariat avec la Warner (qui coproduit et distribue le film). Comme les réactions du public ne sont pas à la hauteur des espérances, la production impose, pour la sortie dans les salles américaines, une narration par Deckard – voix off qui paraît aujourd’hui démodée et un peu pataude – et, surtout, un happy end : Deckard et Rachel s’enfuient en voiture dans un paysage verdoyant (des images provenant des rushes de Shining).
La version suivante (1982), destinée au marché international, est sensiblement la même que la version américaine, à l’exception de quelques images plus violentes. Des modifications qui, mine de rien, vont déjà dans le sens de Scott : vers un film plus sombre, plus abrasif, plus pessimiste.
Licorne en origami
Quand la version de travail est exhumée au début des années 1990, elle crée l'engouement dans la perspective d’une ressortie en salles – Blade Runner était devenu culte grâce à la vidéo. Flairant une opportunité commerciale, la Warner propose à Ridley Scott de travailler sur un Director’s Cut (1992). Le cinéaste supprime alors la voix off et le happy end : Deckard et Rachel quittent leur appartement précipitamment et sont avalés par un ascenseur. Surtout, il ajoute le fameux plan de Deckard rêvant d’une licorne (le principal argument des tenants de la thèse « Deckard Réplicant »). L’image préfigure la dernière scène, lorsque le héros, juste avant de courir vers l’ascenseur, découvre une licorne en origami confectionnée par l’un de ses collègues, suggérant que ce dernier a eu accès à sa mémoire enregistrée. A cet instant, Deckard prend conscience de sa condition. Une trame reprise dans le final cut (2007) qui, hormis deux ou trois scènes rallongées, bénéficie surtout d’un magnifique travail de restauration du son et de l’image, en particulier des effets visuels.
L’identité de Deckard transforme radicalement le visage du film. S’il est humain (plutôt dans les anciennes versions distribuées en salles), la fuite « heureuse » à travers la campagne d’un homme et d’une Réplicante inscrit Blade Runner dans la catégorie peu fournie des films de science-fiction positifs (voir Enemy, réalisé par Wolfgang Petersen en 1985, avec son couple humain + extraterrestre). Un épilogue « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants » qui, aujourd’hui, paraît artificiel et détonne avec l’ambiance ténébreuse du film.
En revanche, si l’on considère que Deckard est un réplicant, on assiste à la fuite désespérée de deux androïdes amoureux. Désespérée car ils seront sans doute traqués par d’autres "Blade Runners" (les policiers chasseurs de robots) et forcément rattrapés par leur date de péremption. Lorsque les portes de l’ascenseur se ferment et que le générique défile, au son du fantastique End Theme de Vangelis, on ne peut s’empêcher d’imaginer un second film : une course folle vouée à l’échec, vaine tentative d’échapper à la fatalité. Faisant de Blade Runner (final cut) un formidable prologue de film noir, encore à inventer.
-
Metaju4 octobre 2017 Voir la discussion...
-
Metaju4 octobre 2017 Voir la discussion...
-
Sleeper4 octobre 2017 Voir la discussion...
-
Sleeper4 octobre 2017 Voir la discussion...
-
Metaju4 octobre 2017 Voir la discussion...
-
Sleeper4 octobre 2017 Voir la discussion...
-
bonnemort5 octobre 2017 Voir la discussion...
-
ChrisBeney5 octobre 2017 Voir la discussion...
-
LaKinopitheque5 octobre 2017 Voir la discussion...
-
xzerep15 octobre 2018 Voir la discussion...