Skyfall : un James Bond de transition
Après un épisode calamiteux, dont on explique pudiquement qu'il a souffert de la grève des scénaristes en 2007, la saga James Bond devait s'imposer un sévère recadrage. La remise en cause, c'est justement le sujet principal de Skyfall...
Les déboires financiers de la MGM en 2010 avaient mis un sérieux coup de frein à la production de ce 23ème James Bond. L'inoxydable espion anglais ne pouvait pour autant rester trop longtemps éloigné des écrans de cinéma, le voici donc de retour dans Skyfall, réalisé, c'est une première, par un "auteur reconnu". Sam Mendes a en effet reçu très tôt les honneurs de la critique ; en fait dès son premier film en 1999 pour lequel il reçoit même l'Oscar du meilleur réalisateur. Devenu un classique incontournable de la "mid-life crisis" qui hante les suburbs américains, American Beauty confrontait son personnage principal à d'étouffantes frustrations. Il se trouve que la franchise James Bond fête cette année ses 50 ans. L'espion jouissant d'une vie sexuelle sans plis (et, vous le verrez, sans tabou), c'est toutefois à des préocupations d'un autre ordre qu'il doit faire face. En somme, il s'agit de se demander si l'ami 007 n'est pas tout simplement « too old for that shit ». Attention : le questionnement n'a rien à voir avec celui des action men grabataires de The Expendables. Il s'agit plutôt de déterminer si le concept de l'agent secret de terrain est toujours pertinent. A l'heure où les agents infiltrés de l'OTAN peuvent se faire outer en un clic sur YouTube comme un honteux wall-to-wall de 2008, que vaut donc le MI6 et le flegme de son plus célèbre double zéro ?
Les espions sont éternels ?
La légende veut que George Lazenby, James Bond éphèmere qui n'a tourné que dans un épisode (Au service secret de Sa Majesté en 1969), aurait renoncé à tourner d'autres films de la série sur les conseils de son agent, pour qui le succès des James Bond ne durerait pas. Et si la prophétie était juste en avance sur son temps ? Si, contrairement aux diamants, Bond n'était pas éternel ?
Dans une savoureuse scène à la National Gallery, une réplique du nouveau Q (le "boutonneux" Ben Wishaw) révèle à quel point Bond peut paraître inadapté à la génération WikiLeaks : « Si je puis me permettre, je peux faire plus de dégâts depuis mon laptop chez moi en pyjamas que vous n'en feriez en un an sur le terrain. ». Le jeune impudent doit le concéder, il faut quand même de temps en temps tirer quelques coups de feu. Cette ultime contrainte, empêchant la virtualisation totale des services secrets de sa Majesté, est à la fois ce qui justifie James Bond et le condamne à n'être plus qu'une fonction commandée à distance, un technicien de surface des conflits internationaux, chargé d'obéir aux ordres qui lui sont délivrés par une oreillette discrète. Or James est un artisan, un électron nécessairement libre qui, par nature, doit s'opposer à cette marche du monde. Alors que le ciel numérique lui tombe sur la tête, Bond va devoir, comme la saga, se réinventer.
Nouveau départ
Dans cette friction entre tradition et modernité, Skyfall s'attache à maintenir une constante ambiguité. Le film tient ainsi dans un équilibre précaire entre le Gin-Martini au shaker et le placement produit Heineken. L'héritage de la saga est d'ailleurs lui-même nuancé : on ressort la vieille Aston Martin DB5 avec une certaine piété, mais on flingue sans complexe les gadgets foireux de Goldeneye.
Abusant de l'auto-citation, Skyfall tourne parfois à la farce méta. Pas si étonnant quand on sait que deux des trois scénaristes sont les auteurs de Johnny English, la parodie avec Rowan Atkinson. Mais si le film s'engage un moment sur la pente débilitante consistant à faire l'inventaire de ses gloires passées, c'est aussi pour faire place nette. « A fresh new start » semble être l'objectif de cet épisode de transition qui donne surtout envie de voir la suite. Obsédé par son propre mythe, Skyfall prend finalement en charge son auto-critique (voire sa satire) et va même plus loin en faisant passer la saga devant un simili-tribunal. Le MI6 est en effet remis en cause par Mallory (Ralph Fiennes) à la tête d'un comité chargé du renseignement et de la sécurité.
C'est alors à l'agent M (Judi Dench) de défendre l'utilité du service dans un vibrant monologue. Opacité ou transparence ? Ombre ou lumière ? Dans les deux questions fondamentales pour l'espionnage moderne qu'évoquent son playdoyer, on retrouve sans surprise l'esthétique prise en charge par la mise en scène de Mendes. Ces jeux de lumière donnent d'ailleurs les deux plus belles scènes du film : dans un immeuble de Shangaï, puis dans la campagne écossaise.
En dehors de ces deux idées lumineuses, il faut bien avouer que la réalisation de Sam Mendes s'avère, dans tous les sens du terme, « empruntée ». Dans la séquence d'ouverture, une poursuite en moto à Istambul, on pense aux caméras nerveuses des aventures de Jason Bourne. Heureusement, le cinéaste ne maintient pas ce cap très longtemps. Soumettre, pour la moderniser, la saga James Bond aux codes de son ersatz des années 2000 aurait été un triste constat d'échec. Pour autant, la voie choisie par Mendes n'est pas beaucoup plus réjouissante...
Mon nom est Wayne, Bruce Wayne
S'il est une référence qui hante toute l'esthétique de Skyfall, c'est bien la trilogie Batman de Christopher Nolan. Référence absolue du reboot réussi, la saga Dark Knight plane sur ce nouveau James Bond comme si le modèle imaginé par Nolan constituait le canevas indiscutable du héros moderne. Peut-être inconsciemment [1], chacun des trois films est tour à tour convoqué (pas de spoiler, on pourra en faire le décompte dans les commentaires après la sortie du film) pour illustrer les tiraillements de 007.
En se soumettant ainsi à une idéologie du héros qui n'est pas la sienne, le Bond de Mendes fait un peu toc. Pire, le méchant est grotesque. Si la bouffonnerie nihiliste de Javier Bardem renvoie aux plus grands méchants de cinéma (quelque part entre le Joker de The Dark Knight et l'Hannibal Lecter du Silence des agneaux), la paresse et le manque d'imagination dans la composition du personnage le rendent automatiquement désuet.
Skyfall n'est alors guère plus qu'un produit lisse et bien de son temps ; à la mode. En mettant tout à plat et en faisant la synthèse de ce que Bond a été, pour le préparer au mieux à ce qu'il devra être, le film se contente de passer le témoin.
Dès l'apparition du générique de fin, on rêve des suites potentielles de cet opus de transition. Ce "teaser" de luxe parvient en effet à faire cohabiter le fétichisme de la saga avec la pratique d'un espionnage dématérialisé. On pense alors au candidat parfait pour reprendre le flambeau de ce Bond livré à l'ère numérique : David Fincher. Mais le bougre a pris les devants. En castant Daniel Craig dans son adaptation de Millénium (et ses 1000 plans aux trucages numériques invisibles) il signait déjà une version hackée et indépassable de 007.
Pour autant, Sam Mendes a rendu soluble la saga James Bond dans les années 2010. C'est finalement, au mépris de la réussite de cet épisode bien terne, le seul vrai succès du film.
Image : © Sony Pictures
[1] Mise à jour du 19 octobre 2012 : En fait, pas inconsciemment du tout. Dans une interview du 18 octobre donnée à IndieWire, Mendes avoue que l'influence de Nolan sur son film est considérable. La trilogie a par ailleurs selon lui changé la donne en prouvant qu'un film très sombre pouvait cartonner au box-office.
Concernant la mise en scène, je trouve qu'à part quelques jeux de lumière elle est assez inexistante. Mais surtout je trouve que les séquences sont complètement désincarnées. Ici par exemple, je trouve le découpage raté et le pseudo suspense complètement inefficace :
http://www.vodkaster.com/Films/Skyfall/40124
Mais c'est plus le manque général d'originalité que je trouve pénible.
Ce que j'aime dans ta séquence c'est surtout le plan de chute où le son se coupe, je trouve ça saisissant. Le film est bourré de détails, c'est dommage de minimiser leur impact.
Comme le sous-texte homo lors de l'introduction du personnage de Bardem, complètement zappé ensuite. Quant à la séquence dans la chapelle à la fin, j'ai pensé au Da Vinci Code...
Skyfall fait d'une franchise qui assumait son coté "plaisir coupable" quelque chose de plus assumable. Et c'est bien dommage. Sur ce je vais revoir les vrais James Bond, ceux du début, des James Bond Girl, des gadgets et des martinis !