Footloose d'Herbert Ross, la danse de l'adolescence
Depuis Grease, les films musicaux semblent avoir opéré un virage à 180° au sein de l'économie hollywoodienne. Après l'âge d'or de la comédie musicale à claquettes, portée par les Fred Astaire, Gene Kelly et autres Frank Sinatra, les films musicaux ont pris un tournant clairement générationnel et sont devenus des guilty pleasures adolescents qui, s'ils ne prennent pas pour théâtre principal un lycée, mettent de toute façon en scène des adolescents, leur éveil à leur corps et à la contestation. Avec l'avènement du rock n'roll, les numéros de claquettes ont laissé la place à des chorégraphies plus sensuelles et plus empathiques.
A partir des années 80, c'est l'explosion adolescente (j'allais dire « high school musical », puis quelque chose m'a retenu) : Grease, sorti en 1978, est rapidement suivi de Fame, suivi à son tour d'entreprises plus ou moins familiales, comme Footloose, Girls Just Want To Have Fun, voire Dirty Dancing, jusqu'au déjanté Hairspray de John Waters. Il est de moins en moins question de proposer des numéros de chant d'une virtuosité inégalée - on préfère au contraire s'appuyer sur une bande son apte à alimenter les hit-parade de MTV en boucle : bref, un produit adolescent complet.
Plus que le chant, la danse est au centre de ces teen movies musicaux. Quoi de mieux, en effet, que la danse pour mettre en scène la génération adolescente ? Si l'on y réfléchit, il n'est peut-être pas si innocent que le climax des teen movies intervienne si souvent lors de « la » soirée dansante (la prom night ou le homecoming, ou la soirée privée déchirée) : la danse apparaît comme un exutoire, comme le moment où la rage, la haine, l'amour et les pulsions sexuelles peuvent s'exprimer sans entrave et sans tabou. Alors un film s'adressant aux adolescents par la danse, pourquoi pas, après tout. D'une certaine manière, c'est comme si la danse rendait la rébellion adolescente plus acceptable, ou du moins plus cinégénique. Il n'y a qu'à voir Footloose pour s'en convaincre.
Guess what ? Footloose, c'est l'histoire d'un outsider qui a du mal à se faire accepter de la nouvelle communauté dans laquelle il a été transposé, pris dans un conflit générationnel et une incompréhension générale. En somme, c'est LA rengaine teen dont on nous rebat les oreilles depuis, voyons, la Fureur de Vivre ? Variation sur le même thème, on a dit? James Dean a été remplacé par Kevin Bacon, et, au lieu de pleurer la mort de Plato, on trépigne sur son fauteuil d'envie de se déhancher en diable.
Never extrait de Footloose
S'agit-il d'un ultime geste rebelle ou s'agit-il plus simplement d'un défoulement pur ? Sorti en 1984, Footloose raconte l'histoire d'une communauté tétra-redneck, Bomont, dans un État non-identifié de type Idaho ou Wyoming, où danser est interdit par la loi. Portée par la morale puritaine et conservatrice de son pasteur (John Lightgow), la ville a stigmatisé la danse comme le facteur de dépravation qui a conduit la jeunesse à sa perte. Lorsque Ren (Kevin Bacon) emménage à Bomont depuis Chicago, il se prend cette réalité en plein visage. Ça et les caïds ruraux qui roulent en pick-up et le challengent en course de tracteur, la fille du pasteur pétasse-rebelle qui le prend de haut (Lori Singer), et l'ensemble de la ville qui voit en lui l'antéchrist parce qu'il s'habille comme David Bowie.
Plutôt qu'essayer de suivre les règles de Bomont, Ren cherchera à les transformer, à les refaçonner. D'une communauté bâillonnée par ses peurs bigotes et conservatrices, il va réveiller les pulsions dansantes bien enfouies. Son combat à lui, c'est de permettre à la Senior Class du Lycée de Bomont d'organiser une prom, mais derrière ça, il y a bien plus : il y a là une génération qui demande le droit de donner libre cours à ses pulsions physiques.
Pourquoi danse-t-on? extrait de Footloose
Présenté ainsi, le scénario paraît plutôt alléchant. Adaptant librement une anecdote réelle - celle d'Elmore City, en Oklahoma, où danser a été interdit par la loi jusqu'en 1980, lorsqu'une Senior Class a réussi à défendre son droit à obtenir un bal de promo - le film s'installe sur un terrain a priori sulfureux. Au premier regard, voici un film qui conspue le conservatisme outrancier d'une certaine Amérique. Le personnage de Lori Singer, prête à tous les affronts les plus stupides à l'autorité, semble incarner une génération muselée, hurlant à l'intérieur, éteinte à l'extérieur, jusqu'à l'arrivée de Ren, tel un Messie en jean 501 délavé. Mais dans le fond, si on cherchait à voir dans Footloose le cri d'une génération rebelle, on serait assez déçu.
En vérité, soyons honnêtes : les dialogues veulent rarement dire quelque chose, le jeu des acteurs est relativement plat et l'intrigue est convenue. Mettre la rébellion en musique la rend plus acceptable ; Ren nous convainc en effet assez bien que danser est un vice inoffensif. Mais mettre la rébellion en musique la rend aussi plus facile, plus gentillette. Pourtant, ça ne gâche rien au plaisir qu'il y a à les voir se déhancher sur des accords de synthé qui font mal aux oreilles (Bonnie Tyler, bon sang !)
Bref, c'est typiquement le film qui brille avant tout par sa superficialité génialissime. Beauté plastique des acteurs, sens esthétique des scènes de danse, acteurs lookés à mort (ils ne sont pas ringards, ils sont rétro), c'est indéniablement là que réside le truc en plus de ce film, à commencer par ce générique d'ouverture, une relative claque visuelle qui situe tout de suite le programme.
Footloose - Opening extrait de Footloose
Footloose est littéralement un film pour les pieds, programmé pour donner envie de ne plus réfléchir et de danser. A ce titre, le film a une efficacité performative délirante. En le voyant, on se retrouve un peu pris dans la problématique du héros : il suffit qu'on nous interdise de danser pour n'avoir qu'une envie, et avoir les semelles qui démangent jusqu'au dernier instant. Les scènes de danse sont follement communicatives et nous rendent ainsi follement rebelles nous-mêmes, pour comprendre que cette rébellion n'est peut-être pas si subversive, après tout.
Finalement, ce que montre Footloose, ce n'est plus tant la rébellion adolescente ; Footloose montre que danser est inoffensif, et qu'être adolescent, c'est aussi vouloir, le plus bêtement du monde, s'amuser.
Certes, danser, c'est découvrir et affirmer sa sexualité (oh hai, Dirty Dancing), c'est s'animer sur une musique détestée et conspuée par ses parents, mais c'est avant tout un pur divertissement. L'idée est reprise un an plus tard dans ce film adoptant la même démarche et la même profondeur de scénario : Girls Just Want to Have Fun. Pour l'anecdote, Girls Just Want To Have Fun repose sur les frêles épaules d'une adolescente qui avait eu son premier rôle significatif dans Footloose et qui devra attendre une bonne quinzaine d'année pour voir sa carrière vraiment exploser lorsqu'elle incarnera Carrie Bradshaw (Sarah Jessica Parker). Et si le message central de Footloose n'était pas la « teen angst » mais, plus modestement « teens just want to have fun » ? Après tout, pourquoi pas.
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Kidalys31 janvier 2011 Voir la discussion...
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