Hayao Miyazaki et le cinéma dans le ciel
Petits ou démesurés, en papier, bois ou métal, en rêve ou bien réels, dans Le Vent se lève les avions sont omniprésents. Et pour cause, Jiro, le héros, a pour métier et pour passion de concevoir ces machines défiant la gravité et les limites humaines. Pour ce qu'il a annoncé être son ultime film, Miyazaki a créé là l'avatar qui lui ressemble le plus fidèlement, puisque lui-même a passé sa carrière à remplir les cieux de ses longs-métrages en créatures et engins volants de toutes sortes. Tentons ici une régulation de cet espace aérien très densément peuplé...
Le château de Cagliostro
Que voit-on apparaître à l'écran, à peine passé le premier quart d'heure de ce premier long-métrage d'Hayao Miyazaki ?
Un avion que les héros vont s'empresser d'emprunter...
... et de faire tomber en flammes.
Nausicaä de la vallée du vent
Dans le deuxième film de Miyazaki, et le premier pour lequel il est seul maître à bord du récit, il ne faut même pas patienter plus loin que le générique pour que surgisse une machine volante imaginaire - et superbe dans la pureté de ses lignes.
Laquelle est vite rejointe par d'autres arpenteurs du ciel, produits de la nature (les insectes) ou de la main de l'homme (les énormes vaisseaux aériens Tolmekians) qui se rejoignent sur deux funestes points communs : ils se déplacent le plus souvent en nuées, et leurs intentions sont rarement pacifiques. L'un des motifs fondateurs de l'oeuvre à venir du cinéaste est en place, au-dessus de nos têtes.
Et avec trois parties en présence, puis quatre en ajoutant Asbel, pilote aussi émérite et téméraire que Nausicaä, Miyazaki peut d'ores et déjà s'en donner à coeur-joie dans le ballet des combats et abordages aériens.
Le Château dans le ciel
Rebelote en ouverture du Château dans le ciel, et plus promptement encore : c'est dès la première image du film que nous nous retrouvons propulsés dans les nuages.
Aussi soudainement qu'il nous a été présenté, cet espace qui semble pouvoir abriter la vie de manière autonome, sans lien avec la terre (voir le dirigeable avec son restaurant, ses chambres), est transformé en paradis perdu, qu'il s'agit désormais de rallier. Sentiment renforcé par la première mention faite de l'île volante de Laputa, sous la forme d'une photo et d'une légende.
Et pour y parvenir, que fait Pazu, le jeune héros du film ? Il dessine et conçoit des avions, évidemment. Comme Miyazaki, comme Jiro du Vent se lève.
Cependant, pour la première fois chez le cinéaste s'ouvre une autre voie vers les airs que celle de la technologie. La magie permet elle aussi de voler, et son pouvoir ira grandissant à mesure que le film avance : après les jeunes héros flottant grâce à un pendentif enchanté, ce sont des robots titanesques que l'on verra échapper à la gravité, puis la mythique Laputa toute entière.
Les humains ne sont pas en reste ; militaires comme pirates se sont constitués tout un arsenal visant à conquérir les cieux. La façon dont Miyazaki en profite pour revisiter le motif du bateau pirate est savoureuse.
Mon voisin Totoro
Retour apparent sur la terre ferme. Enfin, pour les humains. Et encore, seulement pour ceux qui ne voient pas les Totoros et leur ami le Chat-bus. Les autres, petits et grands, sont priés de se tenir prêts pour un décollage magique pouvant survenir à tout instant.
Certes, techniquement le Chat-bus ne vole pas. Mais on a tout de même envie de l'intégrer à la liste, pour ses bonds de géant et sa tenue en équilibre en courant à pleine vitesse sur les lignes à haute tension.
Kiki la petite sorcière
Comme Mon voisin Totoro, Kiki la petite sorcière nous entraîne dans un monde similaire au nôtre et où pourtant la magie existe. Cette fois elle est « officielle », tout le monde la voit s'accomplir au quotidien dans les actions de sorcières telles que Kiki. Et quel est l'un des signes distinctifs essentiels d'une sorcière ? Elle vole sur son balai, bien sûr.
Et Miyazaki ne s'arrête pas là. Il instaure autant d'animation dans les airs au-dessus de la ville que dans les rues de celle-ci, en associant à Kiki d'autres sorcières, des avions, un dirigeable (qui ne vole pas toujours très droit), et... encore un garçon qui rêve de construire des avions.
Porco Rosso
Dernière étape du mouvement initié avec Mon voisin Totoro (où l'on vole un peu pour échapper à un univers réaliste) et poursuivi avec Kiki la petite sorcière (où l'on vole beaucoup pour la même raison), on vole à la folie dans Porco Rosso. Film dont le héros est un pilote, ce qui conduit le plus naturellement du monde à faire de ses amis des pilotes, et de ses ennemis également.
Il se trouve que Porco a beaucoup d'ennemis, pirates de l'air de leur état, ce qui est l'occasion rêvée de dessiner quantité d'avions différents - et encore plus de batailles entre ces avions.
Et ce n'est pas tout. Les souvenirs des personnages sont également remplis d'avions, à la manière de ce que l'on retrouve dans Le vent se lève (dans Porco Rosso Miyazaki invente même le paradis des pilotes et avions morts dans les airs)...
... et lorsqu'ils se retrouvent cloués au sol, c'est car ils sont occupés à... reconstruire un avion. Là encore, l'effet de préambule au Vent se lève est très fort : on retrouve dans Porco Rosso, sous une forme artisanale, l'usine aéronautique et ses planches à dessin, ses ateliers de construction, ses bancs d'essais.
Et même un moteur estampillé Ghibli.
Princesse Mononoké
Une pause dans l'oeuvre du cinéaste, la première des deux fois (la seconde sera Ponyo sur la falaise) où il ne déploie pas ses ailes. La corruption démoniaque qui agresse le sanglier dans la première scène a bien une consistance quelque peu aérienne, visible quand elle s'en prend au héros Ashitaka, mais même elle se range à une forme cohérente de l'essence du film, foncièrement terrestre. Pour cette fois ce sont des arbres, des loups, des chevaux et des sangliers qui peuplent le récit, et non des objets volants - identifiés ou non - ou des créatures fendant les airs.
Le Voyage de Chihiro
Dans le monde parallèle entièrement régi par la magie où Chihiro se retrouve piégée, la cohérence narrative commande à nouveau aux inspirations aériennes. Chihiro part de rien et doit tout apprendre, afin de gravir un à un les échelons depuis le plus bas niveau. Miyazaki transcrit cela à l'écran de façon directe, en faisant débuter son héroïne au sous-sol, donc le plus loin possible du ciel. Voler et faire voler sont alors des symboles de pouvoir, réservés aux plus forts et dont l'on ne voit que de fugitives démonstrations : la directrice des bains Yubaba, sa soeur jumelle et ennemie Zeniba, l'esprit de la rivière polluée lavé par Chihiro et qui se révèle être un magnifique dragon.
Puis ce symbole est progressivement remplacé par un autre, celui d'une émancipation dont l'espoir se fait de plus en plus net à mesure que Chihiro progresse dans son parcours initiatique. Une fois celui-ci mené à son terme, l'héroïne pourra elle aussi s'envoler sur le dos d'un dragon.
Le Château ambulant
Dans Le Château ambulant s'opère la synthèse monumentale entre technologie et magie : les deux pratiques y donnent leur pleine mesure dans l'art de voler. Art merveilleux voire miraculeux dans sa réalisation, mais immanquablement maudit dans son usage. Dans Le château ambulant, tout ce qui vole sert à des fins de destruction, générant des visions de cauchemar en cascade et qui semblent ne jamais devoir s'endiguer.
Tout ? Non, une exception résiste. La bonté irréductible qui habite le personnage de Sophie lui permet de renverser le cours des choses, et que des machines fendent les airs en faisant le bien : l'aéronef qui les ramène elle et deux autres à bon port au château de Howl, et le château lui-même en conclusion du film, une fois la paix retrouvée.
Ponyo sur la falaise
Pour finir, coincé entre les deux gros attelages aériens que sont Le château ambulant et Le vent se lève, Ponyo sur la falaise fait office de nouvelle pause en la matière. Mais cette fois, contrairement au cas de Princesse Mononoké, l'acte de voler n'est jamais très loin, toujours à l'orée des pensées de Miyazaki. Il n'y a qu'à voir l'embarcation sous-marine du père de Ponyo, dotée d'ailes semblables à celle d'un avion ; et la manière qu'a Ponyo de chevaucher les vagues dans la séquence du tsunami, qui donne l'impression qu'elle va s'envoler à chaque saut.
Et d'ailleurs, l'image finale du film la fait s'envoler pour de bon. Le bonheur, c'est de ne plus toucher terre.
ça m'a fait pensé à un autre que Le Monde avait publié
http://www.lemonde.f...ki_4349944_3246.html