J. Edgar : pourquoi Hollywood déguise ses stars en vieillards ?
Le J. Edgar de Clint Eastwood remet au goût du jour une vieille habitude Hollywoodienne : celle de grimer ses acteurs dans la force de l'âge pour les vieillir, et profiter de cette sagesse factice pour nous raconter l'histoire de personnes âgées revenant sur leurs parcours, dans la plus pure tradition des biopics. Habitude kitsch mais sublime, quand les acteurs en ont la carrure, on se demande tout de même d'où vient cet étrange stratagème qui pousse à accélérer le vieillissement, et non utiliser des comédiens du troisième âge.
Leonardo DiCaprio terriblement sexy en sexagénaire
De la reproduction des personnes âgées
Marre des jeunes acteurs aux dents longues qui raflent les récompenses alors qu'ils ne sont pas encore sortis de la puberté ? Vous avez raison, la jeunesse, c'est très surfait. Donner un peu d'épaisseur et de crédibilité à un personnage semble passer aujourd'hui inévitablement par le spectre du vieux, son visage serti de rides, sa calvitie brillante, ses dessous amples et son regard de poisson agonisant. Un homme vieilli et vieillissant, donc, va nous narrer sa vie et ses croyances de bout en bout, jusqu'à s'éteindre bien sagement. Et si, dans Benjamin Button par exemple, on a recours à la transformation numérique pour atteindre un résultat plus que concluant, l'ancienne tradition un peu poussiéreuse du travestissement, du grimage, reste la meilleure manière pour un acteur d'épater la foule, parce qu'elle participe de la même logique de contrainte qui a toujours rencontré un franc succès par le passé : s'enlaidir, se vieillir, jouer les handicapés, toutes ces variations sur le même spectre de jeu qui prouve qu'un acteur n'est jamais aussi bon que quand il incarne un autre. On en oublie malheureusement ce qui faisait l'aura des vedettes des années 50 : un charisme intemporel, une personnalité, transfuge qui apparaissait dans tous les rôles d'un acteur.
Leonardo DiCaprio, le spécimen du jour, s'applique à incarner un J. Edgar Hoover (célèbre directeur et créateur du FBI) maquillé et diminué pendant plus de la moitié du film. Aux côtés de Naomi Watts et d'Armie Hammer il traverse cinquante ans d'histoire des Etats-Unis, prenant de l'âge artificiellement, tout en restant dans la même position hiérarchique. C'est ce contretemps, ce creux dans la vie de J. Edgar, qui créé l'intérêt dramaturgique et bouleversant du film : forcé à vieillir pour les besoins du cinéma, Hoover tournera autour de ses rêves et ses envies sans jamais les atteindre, vieillissant trop vite, mais coincé dans une histoire dont il ne peut sortir.
Robert Kennedy congédie J. Edgar ! extrait de J. Edgar
Le goût du vieux
Les exemples sont légion et font frémir : dans Le Stratège dernièrement, ou dans Bienvenue à Gattaca (exemple sorti de nulle part, je sais), le personnage interprété par Ethan Hawke possède plusieurs versions jeunes de lui-même, toutes interprétées par différents acteurs. Une fois atteint l'âge adulte, une vingtaine d'années, l'âge terminal en somme, le vieillissement ne peut s'envisager que par maquillage, par malversation. Pourtant, de Jack Nicholson à Robert Redford en passant par l'honorable Robert Duvall, de nombreux papys acteurs sont encore suffisamment en forme pour accepter ce rôle de doublure-vieux, d'une version ultime d'un personnage, qui retracerait sa vie du commencement à son crépuscule. Sublime contre-exemple que le rôle de Robert De Niro dans Le Parrain, partie 2, en Marlon Brando rajeuni, revitalisé, qui ne partage pourtant que très peu de ressemblances physiques avec Don Corleone mais qu'importe. Si l'habitude bien sage de vouloir dérouler à l'envers la vie d'un homme perdure, autant le représenter avec ses différents stades, ses différents physiques, et donc ses différents visages.
Triste vision du futur que le vieux Marty McFly (Michael J. Fox bien entendu) dans Retour vers le futur II, quand on connaît la maladie qui l'accabla quelques temps plus tard, et ce masque dont il était affublé qui devient peu à peu réalité. Si le fantastique et le maquillage sont mieux acceptés dans les films de science-fiction, le pouvoir kitsch du costume ne décroît pas.
Tu es viré extrait de Retour vers le futur II
Sagesse et costume
On le sait, il y a de plus en plus de vieillards qui pullulent dans nos maisons de retraite, qui pillent nos économies, volent notre travail, se la coulent douce au soleil en se moquant de nous. Une tendance mondiale qui se doit d'être représentée au cinéma ? Il semble néanmoins que la fougue de la jeunesse se doit d'être contrebalancée par un nouveau standard de fiction, celui de la raison, du personnage qui, s'il n'a pu être en total contrôle de son destin, peut au moins en tirer des enseignements universels. L'habitude toute américaine d'ouvrir un film par sa fin (ou son milieu, une vision d'un futur diégétique en tout cas) pour augmenter la tension de l'intrigue à venir n'a pas cours dans ce cas là. On travestit la sagesse par l'image, par l'apparat, pour permettre une rencontre fictive et permise par le cinéma seulement : celle du jeune avec le vieux, de la fougue avec l'accalmie, de celui qui sait comment sa vie a pu se dérouler, ce qu'il a manqué, et celui qui se bat encore pour ne pas la gâcher.
Comme dans Il était une fois en Amérique, où Robert De Niro peut voir le temps passer, son reflet se modifier, sa peau flétrir. S'intéresser à la glorieuse Amérique, sa fondation, et la mettre en parallèle avec le destin d'un homme, pour inévitablement le voir prendre de l'âge, se mettre au repos. La ville est apaisée, l'homme également, et la vieillesse remplit naturellement son office.
Retrouvailles avec "Fat" Moe extrait de Il était une fois en Amérique
A l'inverse du film de Sergio Leone, celui de Clint Eastwood s'empêtre justement de cette trop grande mission, celle de traverser l'histoire et d'en récolter le témoignage. Seuls sublimes moments d'acmé qui s'échappent de ce monument inamovible, l'ambiguïté de ce vieux-jeune Leonardo DiCaprio justement. S'étirant hors de sa carapace de frustration, s'agitant face aux mêmes craintes et épreuves qu'Eastwood, le mal s'inséminant dans la nation, son J. Edgar Hoover est un véritable colosse aux pieds d'argile. La puissance combative de ce vieil homme ne pouvait être figurée que par l'audace et l'énergie d'un trentenaire pour servir au mieux la vision du cinéaste. Et si le physique est lourd, pataud, avilissant, c'est peut-être parce qu'il faut une force considérable pour, comme le disait Jean Rostand, « porter ce déguisement de vieillard ».
Image : © Warner Bros
Et vous allez arrêtez de parler en même temps que moi, à la fin ?!
allez je retourne bosser.
Mais...
Heureusement...
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