l'Amérique se brise

Jeff Nichols, portrait d'un cinéaste (déjà) incontournable

Dossier | Par Couleurs Toile, Hugues Derolez | Le 29 novembre 2011 à 18h50

D'une immense dextérité et d'une intuition déjà récompensée, le très jeune Jeff Nichols, 33 ans, combine un savoir faire traditionaliste à un désespoir tranquille. Son tableau de l'Amérique est toujours celui d'une chute inexorable vers le désespoir, le passage à l'acte, le moment fécond ou mortifère, et ce choix capital resurgira sur les intentions de ses personnages, et donc sur ses films. Apprenons à connaître celui qui risque, d'ici quelques années, de devenir la nouvelle coqueluche du cinéphile avisé.

Un fulgurant succès d'estime

Originaire de l'Arkansas, Jeff Nichols est diplômé en cinéma de la North Carolina School of Arts en 2001. Durant ses études, le jeune cinéaste fait ses armes en tournant plusieurs courts-métrages et travaille sur quelques longs. Outre une apparition dans le film Come Early Morning de Lee Young, il participe en 2003 et 2004 à la production du film documentaire Be Here to Love Me : A Film About Townes Van Zandt. Il se lance alors dans l'écriture de son premier long métrage, Shotgun Stories, qu'il tourne en 2006 avec peu de moyens. Le film sort sur les écrans français en janvier 2008. Drame familial, histoire de vengeance autant que réflexion sur l'impossibilité de se satisfaire dans la violence, métaphore du mythe américain et variation sur de grands thèmes bibliques, Shotgun Stories permet au cinéaste à peine âgé de trente ans de se faire immédiatement remarquer. Là où certains seraient tombés dans le piège d'un premier film tape-à-l'oeil, Jeff Nichols opte pour un classicisme humble et parfaitement maîtrisé, construisant une mise en scène fine et implacable. Shotgun Stories fait le tour des festivals (Berlin, Tribeca ou encore Paris Cinéma), reçoit un bon accueil critique et un écho public relativement encourageant pour un premier film indépendant.

A peine remis de cette première expérience, Jeff Nichols réfléchit déjà à un deuxième film, Take Shelter, dont il signe le scénario et qu'il tourne en 2010. Le cinéaste propose à nouveau un drame familial autour d'un personnage central en proie à des visions apocalyptiques. Take Shelter va plus loin dans la recherche cinématographique. Jeff Nichols mêle le drame intimiste, un décor de western et de fortes influences fantastiques sans oublier de construire un film dense. Tour à tour thriller psychologique, image d'une Amérique en crise et relecture biblique, ce deuxième long-métrage est un coup de maître qui enthousiasme le festival de Sundance 2011 avant de remporter en mai le Grand Prix de Semaine de la Critique à Cannes puis le Grand Prix au Festival de Deauville. Autant dire que sa sortie, prévue pour le 4 janvier 2012, est extrêmement attendue.


Seul dans la nuit extrait de Take Shelter

Retrouver son foyer

Nichols met en lumière une Amérique rurale dont on prenait de moins en moins le pouls. Le cercle familial y est souvent hanté par des souvenirs dont on ne peut se dépêtrer, des figures génitrices destructrices que nous ne pouvons que respecter mais dont nous espérerions la chute. Le paradigme dépeint est retors mais proprement fascinant : renouveler le schéma de nos aînés, trouver un sens à l'existence en créant une nouvelle famille, en s'affranchissant du terrible modèle de nos parents en faisant tout pour ne pas reproduire leurs erreurs. Se venger avec leurs armes, en somme.

Le mal ronge ces familles oubliées de l'Amérique, toujours prêtes à sombrer dans la folie, dans la déliquescence, dans l'affrontement brutal. Ce que suggère Nichols avec brio ce sont ces électrochocs, ces moments de stase qui ramènent ses protagonistes sur le droit chemin, dans un milieu d'une tension extrême, alors que tout semble prêt à basculer. Soutenus par leurs familles, leurs convictions, ses personnages préféreront baisser leurs armes, se retourner, et prendre le chemin du pardon et de l'oubli. Une calme apathie, un renfermement sur soi, à l'heure où les Etats-Unis n'ont plus peur du reste du monde mais peur du mal qu'ils pourraient y faire s'ils s'y manifestaient.


Des funérailles très tendues extrait de Shotgun Stories

Shotgun Stories le 1er décembre au Studio des Ursulines

Humble, exigeant et déterminé dans son travail, Jeff Nichols construit une filmographie solide, sans esbroufe ni facilité. Son troisième long-métrage, Mud, dont il signe à nouveau le scénario, devrait lui permettre de poursuivre sur cette lancée. Le drame est ici centré sur la rencontre de deux adolescents avec un fugitif. Le film pourrait toucher un public plus étendu en optant pour un casting prestigieux, dont Reese Witherspoon, Matthew McConaughey et Sam Shepard. Il y retrouvera également son partenaire Michael Shannon, figure ombragée, comme sculptée dans le roc, qu'il dirigea dans ses deux premiers longs-métrages. Jeff Nichols offre une voix à part sous couvert d'un classicisme révérencieux et référencé qui contribue à redynamiser le cinéma indépendant américain et laisse envisager d'autres moments épiques.

Après une sortie relativement discrète, Shotgun Stories sera projeté en salle et ce le jeudi 1er décembre à 20h30 au Studio des Ursulines, à Paris, dans le cadre du ciné-club Les Couleurs de la Toile. Rendez-vous directement sur la page de l'événement pour en apprendre plus !

En attendant la séance, jouez au quiz Shotgun Stories !

Image : © International Film Circuit

Cet article fut réalisé en collaboration avec Les Couleurs de la Toile.

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3 commentaires
  • Arlem
    commentaire modéré Bon portrait, mais qui oublie de mentionner David Gordon Green avec qui il a fait ses études, qui a produit en partie Shotgun Stories et qui est son mentor revendiqué, notamment en termes de style. Heureusement d'ailleurs que Nichols est là pour reprendre le flambeau de DGG qui se vautre dans la comédie potache depuis 2-3 films.
    1 décembre 2011 Voir la discussion...
  • bonnemort
    commentaire modéré Absolument. Une première mouture mentionnait DGG, notamment L'Autre rive (Undertow), sa seule grande réussite pour moi. Et comme tu le dis si bien, malheureusement, ses films récents sont infâmes.
    1 décembre 2011 Voir la discussion...
  • WeOwnTheNight
    commentaire modéré Un des meilleurs réalisateurs indépendants du moment!
    26 août 2013 Voir la discussion...
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