Quand Kubrick s'inspirait d'Hitchcock
L'un a commencé sa vie à Londres pour la finir aux Etats-Unis avant que l'autre ne fasse le chemin inverse. Les deux sont sans doutes parmi les cinéastes les plus iconiques qu'ait compté l'histoire du cinéma et nous vous proposons de découvrir ce qui peut les lier autour d'une comparaison de séquences...
Kubrick et Hitchcock (montage)
On sait à quel point ces deux figures majeures du cinéma, Stanley Kubrick et Sir Alfred Hitchcock, ont influencé des générations entières de réalisateurs. Ce qu'on a moins réussi à déterminer jusqu'à présent, c'est ce qui les a inspirés, eux. On a certes réussi à rapprocher certaines thématiques de Murnau ou Lang du cinéma d'Hitchcock et on sait également que les merveilleux travellings d'Ophüls ou une narration toute "wellesienne" ont fortement impressionné le jeune Stanley.
Si Hitchcock se laisse toutefois plus facilement comparer à ses contemporains, il paraît bien difficile de faire de même avec Kubrick. Son cinéma est si singulier, composé d'oeuvres si totales qu'il semble former une constellation indépendante de l'univers filmique à lui tout seul. Les deux metteurs en scène ont pourtant de nombreux points communs : une narration au cordeau, parfaitement maîtrisée, presque maniaque. Un mélange d'humour et d'effroi, tirant parfois vers la perversité, une même passion pour l'angoisse, le dérèglement et la perte d'identité.
Et puis il y a bien sûr, les métaphores sexuelles...
Lubrick Cock
L'entrée dans le Tunnel
Et le train entra dans le tunnel..., extrait de La Mort aux trousses
L'entrée dans le module.
Métaphores, extrait de 2001 : L'Odyssée de l'espace
Toutefois, au premier abord, il semble impossible de les lier stylistiquement. Hitchcock se contenterait d'introduire des innovations narratives dans un mélange d'expressionnisme allemand et de formalisme hollywoodien (excepté peut-être le travelling compensé). Kubrick aurait quant à lui tout renouvelé formellement, distillant partout la dualité : dans la narration, le cadre et jusque dans les personnages eux-mêmes. Mais faire de ce cher Stanley un météore solitaire serait aller un peu vite en besogne. Dans 2001, film métaphysique et donc, essentiellement contemplatif, une scène de suspense est pourtant à l'oeuvre. Il s'agit du retournement de H.A.L, intelligence artificielle, contre son créateur : l'homme. Pour composer cette séquence, devinez où Stanley est allé chercher son inspiration...
Analyse de séquences jumelles
Les deux réalisateurs s'attachent d'abord à introduire un sentiment d'anormalité et d'alerte (la vaisselle cassée chez Hitchcock, HAL qui se meut de façon autonome). Même si l'axe est différent, une recherche de perspective menaçante est à l'oeuvre (le couloir dans lequel s'enfonce la dame âgée des Oiseaux, l'éloignement entre HAL au premier plan et Frank filmé en plongée). Vient ensuite le regard circulaire de Lydia Brenner, parfaitement épousé par le pivotement sur son axe de H.A.L, qui intensifie encore la menace hors champ. Hitchcock crée alors une image mentale d'une rare violence : la révélation du cadavre aux yeux percés. Cette dernière crée une émotion si brutale que l'image semble se fracturer et pénétrer dans l'esprit de Lydia, comme dans celui du spectateur. Kubrick construit sa séquence de façon presque identique avec HAL, dans une succession de plans extrêmement angoissants sur l'«oeil» (auxquels il faut ajouter la suppression de la respiration comme éminemment terrifiante). La brutalité de ces deux séquences produit à peu près le même résultat : la terreur et le démembrement. Frank se débat désarticulé dans l'espace vers sa mort et Lydia Brenner s'enfuit dans le même état de frayeur mortifère. Il faut noter le timing quasi parfait entre ces deux séquences, qui laisse peu de place au doute sur leur parenté.
Par ailleurs, scénaristiquement, l'objectif est semblable : il s'agit de montrer que ces objets volants identifiés, théoriquement inoffensifs, sont à cet instant précis capables de tuer. Cela marque un tournant décisif dans la narration et l'oriente de façon plus nette vers le thriller dans les deux métrages.
La question est de savoir si l'hommage est conscient ou si Kubrick a été si fortement impressionné, quatre ans seulement avant le tournage de 2001, qu'il a construit cette scène de façon presque inconsciente. Il demeure que le grand Hitch a nécessairement imprimé sa marque, même chez les jeunes turcs comme Kubrick. Et que ce dernier, si génial soit-il, n'est pas l'auteur sorti de nulle part auquel on voudrait parfois croire.
Là c'est moi : il m'apparaît évident que tout ce que j'ai cité plus haut se retrouve dans le cinéma d'Hitchcock, dont les éclairages de nombreux films sont par ailleurs très influencés par Murnau (qui l'impressionnait beaucoup). Il y a aussi de nombreux ponts avec Lang. Tout ceci est probablement moins clair précisément parce que l'ensemble est empaqueté dans ce fameux "formalisme hollywoodien" (qu'il triture aussi d'ailleurs).
Je retourne à Zelda, bonne soirée les petits loups