La cinéphilie caviar

Luc Besson a-t-il réinventé le multiplexe ?

Business | Par KLeM | Le 28 novembre 2013 à 15h59
Tags : marketing, cinéma

Inauguré le 16 octobre dernier puis ouvert (avec un peu de retard) à la mi-novembre, le nouveau cinéma d'EuropaCorp (le premier ouvert par la société de Luc Besson) s'est donné comme objectif de proposer «une expérience cinématographique à nulle autre pareille». Luc Besson est-il en train de réenchanter le multiplexe ? KLeM, notre expert LOL-marketing s'étend sur la question...

Coup de tonnerre dans le milieu du cinéma : non content d'écrire, de réaliser, et de produire des films, Luc Besson s'en prend également à l'univers impitoyable des multiplexes. Sa société, EuropaCorp, vient d'ouvrir ses premières salles dans le centre commercial Aéroville à Roissy. L'idée : booster la fréquentation en pimpant son cinéma comme il a pimpé son taxi.

«Aujourd'hui l'offre de cinéma à domicile a fait de tels progrès qu'il faut convaincre les gens de sortir de chez eux» explique Christophe Lambert (non pas lui, l'autre), le directeur général d'EuropaCorp. Fort de ce constat, et sans jamais remettre en question ni la qualité des films, ni le prix du billet, la firme française a décidé de tenter de relancer les ventes de places en ouvrant un multiplexe d'un nouveau genre : salle live, pour la retransmissions de concerts ou d'évènements sportifs, dernière technologie dans toutes les salles... Mais un concept en particulier m'a intéressé : l'offre premium. Places numérotées, méridiennes pour s'allonger au premier rang, et salle First, dans laquelle pour 24,90 euros, on vous offre le champagne, les macarons, et un fauteuil tout confort. Luc Besson a-t-il inventé le multiplexe de luxe ? Enquête, investigation, reportage.

Ceux qui aiment prendront l'avion

Je suis donc allé à Aéroville pour me faire une toile à 25 euros, et surtout tester ces fameuses salles First. Après un RER, un mauvais bus dans un sens, et le bon bus dans l'autre, j'arrive enfin dans le centre commercial. Je remarque qu'il faut une énorme motivation pour le rejoindre depuis l'aéroport, car il n'y a absolument aucune indication pour s'y rendre, à part les directions données par des chauffeurs de bus excédés. C'est plutôt dommage, le cinéma cible en partie les voyageurs en long transit.

La galerie marchande est bondée, ce qui est prévisible pour un dimanche gris et froid de novembre. Une partie des lieux résiste pourtant à l'envahisseur consommateur : le multiplexe EuropaCorp, furieusement peu fréquenté.

Prix-mium

Un des objectifs de ce nouveau cinéma est d'annihiler complètement le concept de file d'attente. Pour Christophe Lambert : «Le temps d'attente ne sera plus subi. Ce sera un temps de plaisir». Au moment d'acheter mon billet, nous étions au total 8 à vouloir faire la même chose. Bon. J'ai fait la queue.

Le prochain film à être projeté dans une des salles First est Malavita dont les produits dérivés sont mis en avant dans la boutique. Comment se fait-il que le film réalisé par Luc Besson, et produit par Virginie Besson-Silla et EuropaCorp dispose d'une telle visibilité dans les cinémas EuropaCorp ? C'est un mystère.

Quoiqu'il en soit, ayant déjà vu Malavita lors de l'inauguration ici-même, j'ai préféré attendre la séance suivante et le film des frères Coen. Le guichet automatique me permet donc de choisir mon film, VOST ou VF, et la salle First si le film y est diffusé. Une fois la séance sélectionnée, il ne reste plus qu'à choisir son fauteuil dans la salle, pour m'assurer une bonne place, face à l'écran et, comme le veut la tradition, de laisser un fauteuil vide de sécurité entre soi et autrui lorsque c'est possible.

Le film commençait dans 2 heures. J'ai donc dû errer comme une âme en peine entre toutes sortes de boutiques de vêtements et de chaussures en attendant ma séance. J'en ai profité pour me promener dans la boutique du cinéma, absolument seul, et suivi des yeux par un vigile zélé qui avait sans doute peur que je vole un clap EuropaCorp, une coque d'iPhone EuropaCorp, ou un t-shirt «Staff» EuropaCorp (idées cadeaux de Noël pour les fans).

L'heure du film approchant, je rejoins le lobby d'accueil en libre accès, où une série de canapés lounge sont entourés par 4 grands écrans de cinéma qui diffusent des bandes-annonces très forts (les mêmes qui seront diffusées avant votre film, comme ça vous êtes sûrs de les avoir bien vues). On peut également y acheter entre autres, du pop-corn à la truffe, des mini hot-dogs ou des mini-burgers.

La grande bouffe

Je me dirige vers l'accueil First, où l'on m'accompagne vers le bar privatif, derrière de grands rideaux noirs. Une petite dizaine de personnes sont installées sur de jolis fauteuils disposés autour de belles tables basses. On m'installe, et on vient prendre ma commande, offerte gracieusement avec ma place à 24,90 euros dont 14 euros de confiserie. On peut choisir entre saumon et tarama, ou des macarons Pierre Hermé, accompagnés par une coupe de champagne. C'est donc ça la vie de VIP.

Je m'installe enfin dans la salle de projection, avec mon plateau dégustation et ma coupe que je manque de vider sur les escaliers plusieurs fois. La salle est vide, je suis manifestement le seul spectateur. Les fauteuils ressemblent à ce qu'on trouve en classe Affaires en avion, enfin c'est ce que j'imagine. Ils sont réglables par commande électriques, le dossier se baisse, les pieds se lèvent, ce qui permet de pratiquement s'allonger, et de réaliser l'incroyable fantasme de regarder un film dans la position «détartrage chez le dentiste».

J'aurais aimé voir ce qu'il se passe lorsque la salle est pleine et que 30 personnes jouent avec leurs fauteuils en même temps pendant 2 heures de film, avec le bruit du cuir qui craque, mais comme je suis le seul à avoir les moyens d'en profiter...

Des écrans tactiles sont intégrés dans les accoudoirs de chaque siège pour passer commande au bar, mais ils ne fonctionnaient pas, peut-être volontairement pour ne pas déranger les autres spectateurs dans la salle.

J'ai donc pu profiter de mon film, en jouant avec mon fauteuil, en buvant du champagne, en mangeant des macarons, et en ayant froid, parce qu'à 24,90 euros la place tu veux pas non plus du chauffage, non mais tu te crois où ? Il est à noter que malgré le traitement VIP de la salle First, le contenu du film reste le même.

Retour en bus et d'expérience

Une fois mon film terminé, j'ai rejoint un arrêt de bus en bord de piste d'atterrissage. Pendant que j'attendais un bus 30 minutes dans la nuit, le froid, et le vacarme des moteurs d'avions, je me demandais si pour 25 euros je pouvais me payer le DVD ou la VOD, une coupe de champagne, et 4 macarons, pour regarder le film dans le coin VIP de chez moi, mon lit.

L'objectif économique est le suivant : un seuil de rentabilité fixé à 700.000 entrées, espéré dès la deuxième année. Selon mon expérience sur le terrain et mes projections, ce n'est pas gagné. Voici mon analyse (Source : décompte manuel de l'auteur projeté à partir d'un échantillon de 7 personnes) :

L'offre premium est une idée plutôt intéressante, mais pas pour Roissy, plutôt pour le Qatar. Les gens qui ont les moyens de mettre 25 euros dans une place de cinéma habitent rarement autour des aéroports. Les voyageurs en transit sont également ciblés, mais une fois encore, aller de son terminal au centre commercial est une vraie petite aventure en soi.

Peut-être en fait que le concept ne va pas assez loin. Pourquoi pas quelqu'un, assis à coté de chaque spectateur, pour vous chuchoter «c'est la fille qui joue dans Glee ! Mais si la série où ils chantent tout le temps, non pas elle, la blonde, mais non ça c'est Michelle Pfeiffer, elle là», ou bien un sommelier qui vous conseille sur le mariage entre les vins et les films pour vous servir pendant la séance : «avec un Guillaume Canet je vous recommande un blanc sucré», ou encore un suivi psychologique personnalisé pour revenir doucement à la réalité après le générique de fin.

Si le multiplexe n'est donc pas encore totalement réenchanté, Luc a eu le mérite de mettre sur la table deux visions diamétralement opposées du confort : face à la VOD qui permet à moindre frais de ne pas sortir de son lit, EuropaCorp propose à peu près la même expérience, mais plus loin et plus cher. Le confort EuropaCorp, ça se mérite.

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24 commentaires
  • Maho
    commentaire modéré Ou alors plus simple : certaines personnes sont capables de payer plus cher pour voir un film peinard. Comme ça pas d'enfants qui pleurent, pas de commentaires désobligeants pendant toute la durée du film et j'en passe ...
    1 décembre 2013 Voir la discussion...
  • zephsk
    commentaire modéré Je ne sais pas. Ces réflexions m'indiffèrent totalement.
    1 décembre 2013 Voir la discussion...
  • FilmsdeLover
    commentaire modéré La logique commerciale qui tient à se dire "Hé les mecs, on va faire un ciné premium-luxe-champagne à destination des voyageurs en transit" m'échappe complètement. Ils font des études de marché ou ils ont juste trop de temps, trop de thunes et trop d'espace ?
    1 décembre 2013 Voir la discussion...
  • Sushi_Overdose
    commentaire modéré Merci et bravo pour ce récit immersif dans cette véritable révolution pour les salles de cinéma. Dommage qu'un service de joaillerie ait été oublié au cahier des charges mais je suis certain que des améliorations viendront.
    3 décembre 2013 Voir la discussion...
  • IMtheRookie
    commentaire modéré @Sushi_Overdose tu vois ça comment l'intégration du service de joaillerie ?
    3 décembre 2013 Voir la discussion...
  • Sushi_Overdose
    commentaire modéré @IMtheRookie : grâce à l'écran tactile, tu es en relation avec un joaillier pour créer le bijou idéal. Très pratique pendant les temps morts des films - quand il n'y a pas de course-poursuite et que les acteurs discutent. Le produit terminé est livré à la fin de la projection, ce qui évite aussi de se retrouver chez un bijoutier au cours d'un braquage.
    3 décembre 2013 Voir la discussion...
  • shadowkillering
    commentaire modéré Tant qu'à faire ils peuvent faire un partenariat avec Amazon aussi.
    3 décembre 2013 Voir la discussion...
  • themroc
    commentaire modéré Vive le cinéma de proximité, qu'il soit de campagne où de quartier !( et bravo aux projectionnistes itinérant qui affrontent tous les temps sur tous les chemins!).
    9 décembre 2013 Voir la discussion...
  • johnlepecheur21
    commentaire modéré Habitant à Roissy en France à mi-temps près du centre commercial Aéroville et travaillant dans l'aéroport, je vous confirme que s'y rendre est en soit un peu le parcours du combattant. Et ne comptez pas sur les chauffeurs de bus pour vous renseigner, vous avez 3 chances sur 4 que ça les gonfle de vous répondre :)
    9 décembre 2013 Voir la discussion...
  • hooka
    commentaire modéré Article très intéressant mais il me semble avoir lu qu'il avait repris le concept d'une chaîne de cinéma ultra chic américaine, non ? J'ai du mal à croire que Besson ait eu une idée.
    15 janvier 2014 Voir la discussion...
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