Pourquoi Marion Cotillard ne saura jamais mourir
Elle a remplacé Mélanie Laurent dans les barbelés de ce que les haters ont à la place du coeur. Une pointe de déclaration malheureuse concernant le 11 septembre dans Paris Dernière en 2008, une grosse louche de jalousie et de défiance à l'égard de ses indéniables succès, et un large saupoudrage de bashing concernant son agonie dans The Dark Night Rises : Marion Cotillard valide l'adage christique selon lequel nul n'est prophète en son pays. Les personnages interprétés par l'actrice et Jésus ont même un autre point commun : leur incapacité à mourir. Pourquoi ? The Immigrant apporte de nouveaux éléments de réponses, mais mine de rien, la question se pose depuis longtemps.
Fin juillet 2012, le monde entier découvre le dernier volet de la trilogie Batman réalisée par Christopher Nolan. A la célébration anticipée totalement démesurée succède un retour de bâton tout aussi vivace, avec sa horde brandissant, tel un étendard, cette image : la tête de Talia alias Miranda alias Marion Cotillard, retombant sur son dernier souffle. Avec la demi-mesure qui les caractérise, les réseaux sociaux s'emparent de cette preuve irréfutable de la nullité du film et de l'actrice française, la réinventant à l'envi, brûlant les idoles de la veille grâce à une amnésie qui force le respect, prouvant par A + B avec force parodies que non, décidément, rien ne va plus à Gotham City, il était temps que ça se termine.
Fin janvier 2013, Cotillard prouve qu'on peut lui reprocher bien des choses, mais pas son absence totale d'humour. Récompensée du prix annuel de l'université d'Harvard pour sa contribution à la culture (l'histoire ne dit pas si c'est pour tous les gifs et toutes les vidéos que sa prestation batmanienne a engendrés), l'actrice profite de son passage à la fac pour rejouer sur la scène d'un théâtre certaines de ses prestations, dont la fameuse - pas Edith Piaf, non - Talia passant de vie à trépas. Applaudissements, rires, pied de nez aux haters et récupération in extremis du phénomène : l'opération de communication n'est pas seulement bienvenue, elle est parfaite, même si l'on peut supposer qu'elle reste une minuscule péripétie dans la vie de Marion Cotillard. Car cette dernière, outre-Atlantique, a déjà tourné sous la direction de Nolan (deux fois), Tim Burton, Ridley Scott, Michael Mann, Woody Allen, Steven Soderbergh et James Gray. Aucune actrice au monde ne peut se vanter d'un tel palmarès américain ces dix dernières années. Mieux : elle fait visiblement des choix - ou elle est choisie pour les mêmes raisons à chaque fois, tout dépend du crédit qu'on lui porte - puisqu'une cohérence s'est dessinée entre ses personnages, que ce soit en France ou aux Etats-Unis. Marion n'interprète en effet que des mortes ou presque.
Soeur jumelle morte, chanteuse morte, mari mort
Arnaud Desplechin est un visionnaire. Quand il rhabille l'étudiante jouée par une Marion Cotillard alors toute jeune dans Comment je me suis disputé? (ma vie sexuelle), l'homme qui l'observe pense « elle en culotte qui dansait, c'était l'image la plus exacte de l'Esprit saint ». Nous sommes en 1996, Marion a 21 ans à peine, mais déjà un cinéaste l'utilise pour incarner un être dépassant potentiellement la condition humaine.
Tout commence véritablement en 2001 avec Les Jolies choses, de Gilles Paquet-Brenner, d'après le roman de Virginie Despentes. Cotillard y joue deux rôles, Lucie et Marie, des jumelles en compétition et que tout oppose mais qui doivent faire avec, pour une simple raison : l'une a du sex-appeal, l'autre a une voix, alors à elle deux, il y a une carrière de chanteuse à faire... Jusqu'à ce que Lucie se suicide et que Marie prenne sa place.
Le stratagème nous vaut une scène amusante avec Titoff, où ce dernier se jette sur Lucie parce qu'il la prend pour Marie, car il est en même temps le boyfriend de la chiante Lucie et l'amant de la volcanique Marie, ce qui fait bien peut rire l'intéressée (Lucie donc, pas Marie... la scène fonctionne mieux en la voyant qu'en la lisant). Le plus important reste que Marion interprète Marie qui interprète Lucie qui est morte. Déjà.
Une dame en noir qui passe sa vie à mourir
En 2004, Un long dimanche de fiançailles de Jean-Pierre Jeunet se veut moins explicite à ce sujet, et pourtant.
Cotillard est Tina Lombardi, une veuve noire, un fantôme vengeur et récalcitrant décidé à assassiner les officiers responsables de la mort de son mari, au front. L'actrice reste le plus souvent dans la pénombre, la brume, garde les traits creusés, incarnant une Première Guerre mondiale terminée sur le terrain des opérations, mais pas dans les esprits ni les coeurs. Premier César - celui du second rôle - avant l'autre, pour la grande interprétation de sa carrière jusqu'à présent, celle d'Edith Piaf dans La Môme d'Olivier Dahan. Marion Cotillard y joue donc une nouvelle fois une morte, non pas un personnage mort à l'intérieur d'un film, mais une célébrité disparue, dans un biopic où le montage alterné lie les moments forts de la chanteuse à sa longue agonie, comme si cette dame en noir avait passé sa vie à mourir.
La Môme revendique le mimétisme entre son interprète principale et celle qui l'inspire, d'où un paradoxe pour Cotillard, qui joue la plupart du temps une Piaf de son âge (32 ans au moment du tournage), mais qui en fait vingt de plus, comme son modèle. Il y a du mort-vivant en elle et Inception capitalise là-dessus.
Et quand il est minuit à Paris dans Inception?
Pour son premier film avec Christopher Nolan, elle est une image que le protagoniste ne peut littéralement pas se sortir de la tête. Cobb (Leonardo DiCaprio) et Mal (Marion Cotillard) s'aimaient au point de préférer passer davantage de temps dans leurs rêves partagés, que dans le réel. Mal a confondu les deux et en est morte, sans pour autant cesser d'obséder Cobb, susceptible de la croiser à chaque expédition onirique. A l'occasion d'un flashback, nous assistons au suicide de Mal, par défénestration. Compte-tenu de l'ampleur de sa chute, il est impossible de juger si Cotillard joue bien ou pas son embrassade avec le bitume, mais aucune importance : nous découvrons un personnage en fait mort depuis le début du film, dont la persistance rappelle indirectement celle de l'héroïne janusienne des Jolies Choses.
Est-cela qui décide Woody Allen à la choisir pour son film made in France, en dehors de la nécessité de faire couleur locale ? Minuit à Paris s'apparente à un prolongement possible d'Inception. Le cadre est le même (Paris éternel), la logique est semblable (un héros insatisfait de sa réalité, au point de s'échapper dans des univers parallèles), et surtout, celle qui sert de guide est la même : Marion Cotillard. Adriana, son personnage, est une muse des années 1920, groupie et conquête des plus grands artistes.
Elle aimante le protagoniste, Gil (Owen Wilson), un auteur américain d'aujourd'hui, au risque de causer sa perte à lui. De la même manière que Mal aspire Cobb dans sa soif de rêve dans le rêve, Adriana affiche clairement sa volonté d'amener Gil toujours plus loin, à un niveau antérieur du temps, l'attirant vers la Belle époque, lui qui n'est déjà rien de plus qu'un visiteur dans ce musée Grévin vivant que sont ses années 1920. Dommage que Woody Allen n'ait pas eu l'audace ou la folie de faire se croiser Adriana et une Edith Piaf alors enfant, mais l'essentiel est là : le personnage cotillardien, c'est la non-morte, celle qui ne peut pas savoir comment on meurt parce qu'elle est déjà morte et n'en a même pas conscience.
« We never go back »
Si l'on se tire sur les cheveux avec force, on peut même trouver de ça dans Blood Ties de Guillaume Canet. Cotillard joue le rôle de Monica, une italo-américaine prostituée et junkie, jamais maquillée ou presque (non seulement Canet semble ne pas vouloir filmer sa compagne autrement que de manière délavée et déplaisante, mais en plus, il la met en concurrence avec Mila Kunis, son clone rajeunie), faisant une entrée remarquée dans le bar où elle tapine sur fond de Bad Girl de Lee Moses (Canet est un homme tautologique : Bad Girl sur une scène de prostituée, Heroin du Velvet Underground sur une scène de drogue). Bad Girl, les cinéphiles le savent, c'est l'hymne de L'Apollonide, souvenirs de la maison closede Bertrand Bonello, dans la bande-annonce, mais surtout à la fin du film, quand la fille de joie pas joyeuse interprétée par Céline Sallette se retrouve, un siècle après ses débuts, sur le trottoir.
L'épilogue de L'Apollonide laisse un souvenir magnifique, étourdissant, grâce à cette prostituée errante, condamnée pour l'éternité à faire des passes, jamais libérée par la mort. Alors forcément, quand on a l'esprit aussi tordu que le nôtre et qu'on entend Bad Girl en voyant Cotillard en prostituée, on pense à Sallette et à son personnage prisonnier de sa condition, immortel et maudit, donc on en conclut par syllogisme que la Monica de Blood Ties est de la même trempe, elle aussi tapineuse un jour et tapineuse toujours venue des temps anciens et pour toujours imperméable à la fin.
Si cette vision sera laissée à la discrétion du lecteur, il en est une qui devrait être moins sujette à caution, concernant The Immigrant.
James Gray fait de l'arrivée d'Ewa (Cotillard, avec un accent autrement plus convaincant que celui de Blood Ties), venue de Pologne, une entrée au purgatoire. Son Amérique n'a rien d'un rêve, elle est un enfer où il va falloir expier les pêchés d'une vie antérieure désormais oubliée. Ewa est sincère quand elle répond à un employé n'avoir rien à se reprocher, rien sur la conscience. Elle est neuve, amnésique, mais tout son environnement semble savoir pour elle qu'elle a quelque chose à expier. La deuxième vie qu'elle recherche n'a rien de symbolique, elle est religieuse et concrète. The Immigrant est une histoire de morte, celle d'une pauvre âme qui croit débarquer au paradis alors qu'elle est au purgatoire, celle d'une femme qui découvre stupéfaite qu'elle n'a pas mené une vie aussi vertueuse qu'elle le croit. Et de ce territoire des morts, on ne repart pas comme on est venu. « We never go back », « on ne revient jamais en arrière » martèle Ewa. Le personnage cotillardien a trouvé sa réplique. Il n'a pas à mourir, c'est fait depuis longtemps, et il n'en reviendra jamais, surtout pas si c'est pour re-mourir, refaire en moins bien, moins crédible ce qui a déjà été fait, hors-champ, et dont tout a été oublié.
Merci de rectifier au plus vite. Ca fait 2 jours que je ne trouve pas le sommeil à cause de ça.
Cordialement.
De plus, elle est belle, donc je me lasserai jamais de la regarder (sauf quand elle aura 70 ans, peut-être).