Mario Bava raconté par son fils et son producteur
Arte consacre actuellement un cycle à Mario Bava, avec les diffusions de cinq de ses longs-métrages : Danger : Diabolik !, Le Baron vampire, Opération peur, L'espion qui venait du surgelé et La Planète des vampires. C'est lors de la reprise de ce dernier, en copie restaurée à Cannes Classics en 2016, qu'Aurélien Ferenczi a rencontré pour Télérama Lamberto Bava, fils du maître italien et réalisateur, et Fulvio Lucisano, producteur, pour évoquer tout ce que le cinéma de genre doit à ce grand réalisateur.
Sur la terrasse d'un palace cannois, l'équipe vétéran du cinéma italien d'avant : Fulvio Lucisano, 87 ans, que l'air romain a parfaitement conservé, a produit il y a 51 ans La Planète des vampires, de Mario Bava (1914-1980), dont la copie restaurée vient d'être montrée à Cannes Classics. A ses côtés, Lamberto Bava, 72 ans, fils du cinéaste, mais aussi second assistant, son premier job, sur le film en question. « Hier soir, raconte le rejeton « baviste », en revoyant le film dans des couleurs éclatantes, j'ai eu l'impression de comprendre enfin ce qu'avait voulu mon père : permettre aux spectateurs de feuilleter une bande dessinée. Mon père était un homme très lettré, avec une immense bibilothèque, et une prédilection pour les écrivains russes, Tolstoï, Dostoïevski, Tchekhov, mais il lisait aussi des polars, les fameux gialli de l'éditeur Mondadori, et il ne manquait jamais aucun de ses fumetti préférés [les BD sur le modèle des comics américains]. »
"Tu te souviens de certains décors d'Hercule contre les vampires ? Il avait utilisé de la polenta !"
Lamberto Bava égrène ses souvenirs : « Je revois le tournage comme si c'était hier : le grand plateau 5 de Cinecitta, celui où tournait aussi Fellini, du sable par terre, de fausses roches qu'on déplaçait pour changer le décor, certaines qui s'illuminaient de l'intérieur. Mon père adorait inventer : je me rappelle avoir déniché un bout d'aspirateur qui a fini par faire, en miniature, le couloir du vaisseau ! Et directement à la caméra, sans aucune des techniques que l'on possède aujourd'hui, mon père créait des perspectives, des jeux de surimpression. Tout cela était courant en noir et blanc, mais je pense qu'il était le premier à le faire en couleurs... » Fulvio Lucisano se tourne vers lui : « Et tu te souviens de certains décors d'Hercule contre les vampires ? Il avait utilisé de la polenta...! »
Avant de passer à la réalisation, Mario Bava avait été chef-opérateur, y compris de films « sérieux » (comme Gendarmes et Voleurs, de Monicelli et Steno, en 1951). Il était lui-même fils de chef-opérateur, puisque son père, Eugenio Bava (1886-1966) avait été l'un des directeurs de la photo de Cabiria (1914), le premier « kolossal » du cinéma italien. « C'est au laboratoire d'Eugenio que j'ai rencontré son fils pour la première fois, se souvient Fulvio Lucisano. Eugenio inventait des trucages pour des documentaires : par exemple, la vie d'une fleur en accéléré, etc... Il était techniquement à l'avant-garde. »
"Mon père a inventé le cinéma gothique italien, le giallo puis le splatter"
C'est cet héritage – le goût du bricolage artisanal – et un penchant pour le fantastique – « l'un des premiers livres qu'il m'a donné à lire était Le Horla, de Maupassant » , raconte Bava junior – qui le poussent vers le cinéma de genre. Premier essai, succès mondial : Le Masque du démon, avec Barbara Steele, 1960. « Avec ce film, mon père a inventé le cinéma gothique italien. Puis avec Six femmes pour l'assassin, en 1964, le giallo. Puis avec La Baie sanglante, en 1971, le splatter. Joe Dante a dit un jour que pour comprendre le cinéma de Mario Bava, il ne fallait pas voir un film en particulier mais toute son oeuvre. Je suis assez d'accord. » Chez Bava, il y a, c'est vrai, une vision du monde, violemment désespérée, qui traverse une filmographie disparate, et longtemps boudée par la critique sérieuse.
Pourtant, ce que racontent Lucisano et le fils Bava, c'est une époque « plus amicale » du cinéma italien, où l'auteur reconnu et l'artisan du cinéma de genre font bon ménage. « Je me souviens qu'on tournait Danger : Diabolik ! dans un studio de Dino de Laurentiis où Fellini préparait le film qu'il n'a jamais réalisé, Le Voyage de Mastorna. Mon père et lui s'amusaient avec une petite voiture télécommandée qu'ils se renvoyaient d'un plateau à l'autre ! Tout le monde se connaissait dans le cinéma italien : par exemple, Lucio Fulci, qui a aussi fait beaucoup de films d'horreur, avait été l'assistant de Steno, et on le croisait, mon père et moi, chez Rosati, le célèbre café romain. La seule blessure de mon père, c'est que, dans les années 50, quand on n'avait pas tourné un film sur la résistance, la presse vous soupçonnait d'avoir été fasciste. Ce n'était absolument pas le cas... »
Une autre polémique, heureusement, est aujourd'hui réglée : Ridley Scott a finalement reconnu la dette qu'Alien avait envers La Planète des vampires. « Mais ce n'est pas un plagiat, plutôt un hommage, explique Lamberto Bava. Un peu comme quand Fellini avait repris dans son sketch d'Histoires extraordinaires la petite fille au ballon rouge d'Opération peur. » Partiellement tourné avec les dollars d'AIP (les producteurs de Roger Corman), La Planète des vampires aurait-il pu emmener Mario Bava sur la planète Hollywood ? « Il en a été question, raconte Fulvio Lucisano. Mais Mario me disait : qu'est-ce que j'airais faire en Amérique ? Je suis Italien, je suis bien chez moi, avec mes livres et mon chien. Ça ne l'intéressait absolument pas. »
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