Martha Marcy May Marlene : le sectarisme du cinéma indépendant
Sean Durkin est jeune et plutôt cool. Diplômé de la Tisch School of the Arts de New York, il fonde sa propre compagnie de cinéma, Borderline Films, sûrement pour distribuer les films de ses amis hipsters de Williamsburg. Il réalise également quelques courts-métrages avant de se frotter au format long avec Martha Marcy May Marlene. Remarqué à Sundance, acclamé à Cannes, Sean Durkin n'est pas dénué de talent, surtout pour un jeune réalisateur. Mais il faut tout de même se rendre à l'évidence : la sombre histoire de secte qu'il décrit dans son film nous rappelle une même organisation moins secrète que pernicieuse, qu'il promeut avec son film, celle du très labellisé et pourtant insensé « cinéma indépendant américain ».
On pourrait cyniquement remarquer les tares qui touchent Martha Marcy May Marlene, subtil et incessant recyclage d'une même formule se reposant sur un(e) jeune acteur (ou actrice) qui dévoile tout son talent (souvent pour la première fois), un radicalisme revendiqué, naturalisme gentiment détraqué, des influences européennes, une envie d'éviter tout sensationnalisme, et aussi un mec qui joue de la guitare sèche au milieu du film et fait ainsi office de BO. Bon. Ce n'est pas très honnête et surtout pas très intéressant ; il y a des films qui éclosent à Sundance, de Garden State à Precious, plébiscités par les critiques américaines et qui touchent aussi le public français. Si je ne peux totalement en vouloir à un Festival qui met en avant Primer de Shane Carruth ou Crumb, c'est la vision qui s'en forge en coulisses qui m'inquiète, froide, paresseuse ai-je envie de dire, et qui amène inexorablement à l'édification d'un circuit cinématographique qui s'auto-alimente, sans prise de risque.
Eloignons-nous de la question des tendances actuelles dont le problème est toujours le même, la minceur de leurs délimitations. Intéressons-nous seulement à MMMM, nom bigarré tiré du personnage d'Elizabeth Olsen (à la beauté sauvage et fissurée) qui changera plusieurs fois de pseudonymes. Dans un récit entre instants présents, où l'héroïne retrouve le quotidien confortable et bourgeois promulguée par sa soeur aînée, et multiples retours dans ses souvenirs, MMMM déroule le fil d'une histoire complexe, et dont la complexité se trouve proportionnellement réduite par le traitement scénaristique du film, évitant ainsi tout écart de conduite, autant pour le cinéaste que pour le spectateur. Olsen fait la rencontre de John Hawkes, le gourou d'une famille qui plante des légumes, mi-accueillant mi-incrédule, et décide de passer son adolescence avec lui. On s'y déploie avec plaisir, on y retrouve les signes et les balises préhensibles qui nous pré-mâchent quelques bribes de réflexion. Un cinéma à l'image de la secte qu'elle dépeint : ouvertement baba et cool, plein de promesses, pour s'avérer finalement nuisible, chantre d'une nouvelle uniformisation de la pensée.
Il y a donc mensonge sur la marchandise : au lieu de cultiver des légumes et de répandre l'amour, le personnage de Martha va s'introduire par effraction, voler, tirer, et apprendre que se faire violer est la plus belle preuve d'amour qui soit. Dans MMMM aussi il y a manipulation, falsification. Rappelons qu'il s'agit du cinéma indépendant distribué par la Fox, qui rapporte déjà tranquillou ses deux millions de dollars sur le sol américain, comme Little Miss Sunshine en son temps. Le produit proposé est donc, sous couvert d'un sujet grave et sérieux (parce qu'il existe toujours cette vieille maladie dans le cinéma qui veut qu'il faille traiter d'un sujet grave pour être considéré comme important), aplani, délesté de tout romanesque, de toute excroissance, de prises de position, de prises de risque.
Le portrait de femme qu'on espérait est retors, allant de comportements invraisemblables en confessions, l'ambiguïté développée par la secte, bienfaisante parfois, mais qui empêche ses membres de la quitter, à peine esquissée. Si le casting est de bonne facture, impressionnant John Hawkes d'un charisme aussi imposant qu'il est frêle, on s'habitue rapidement au petit manège du film. Martha redécouvre les us et coutumes de notre bonne société, n'y comprend rien, met tout à plat, et met ainsi en exergue la vulgarité, la laideur de notre mode de vie, du système de consommation, des bonnes moeurs. Chacune de ses séquences est surlignée par l'existence de son contrepoint, où on observe les détails de l'aliénation de Martha, la liberté éperdue à laquelle elle aspirait, et donc une explication logique à son comportement étrange en société.
La question de la forme et du fond est un faux débat : les deux sont forcément inextricablement liés dans le code génétique du cinéma, où un geste de caméra figure d'une émotion, où une parole prend écho avec son cadrage. La vacuité de l'exercice de Durkin est donc malheureusement présente sur tous les fronts. Bon technicien, propret dans son (faux mais judicieux) décalage, dans la pose d'un cinéma qu'il observe, comme sur une photo instantanée, Durkin voit le film qu'il aimerait faire, et nous le saisissons aussi, masqué dans l'artificialité, sous le résultat d'un film qui aimerait avant tout avoir un propos. Le style étouffant du cinéaste finit par bâillonner tout le film, avec son image feutrée et morose, comme un long souvenir de vacances, un après-midi d'été un peu orageux, dans le plan comme dans les coeurs.
Ce que nous apercevons est noyé sous l'obsession de Durkin qui tend à se généraliser dans le cinéma américain : l'obsession pour le non-événement, l'envie de ne jamais prendre parti, donc de ne jamais prendre de risque, pour ainsi éviter tout reproche. Mais le revers est inéluctable ; c'est en refusant ardemment d'insuffler le moindre souffle romanesque dans une scène que le non-événement va forcément devenir un événement en tant que tel ; parce que les intentions narratives sont trop imposantes. En s'empêchant de grandir, le récit fait de sa petitesse son sujet. Je n'en dirais pas plus mais la fin du film ne résume que trop bien ce constat. A partir de bribes de scénario, d'esquisses de personnage, et d'une mise en scène qui tente d'articuler ces éléments, Durkin donne à voir une piste de réflexion sur ce qui aurait pu être un très beau sujet de cinéma. Trop peureux pour l'assumer il préfère néanmoins s'interdire d'aller plus loin que son petit scénario sinistre, bloque toute perspective, ne veut rendre prégnant aucun enjeu, et préfère laisser son spectateur se débrouiller avec ce qu'il a : une succession de belles images, quelques instants de bravoure d'une belle actrice, le fantôme d'un film qui n'existera jamais.
Image : © Twentieth Century Fox France
Je n'en ai pas vu d'autres.
Je citais Primer, gros succès de SF primé à Sundance (fait pour 7.000 dollars il en remporta plus de 400.000 ; @JulienDG me faisait aussi voir il y a pas longtemps The American Astronaut, de Cory McAbee, qui n'a pas dû coûter beaucoup plus). Bref, les indépendants existent bien entendu, mais par définition ils sont marginalisés, déconnectés les uns les autres ; rien à voir avec la mouvance actuelle du "cinéma indépendant" qu'on se jette au nez les uns les autres un peu tout le temps sans raison. En américain il y a aussi les frères Safdie, ou quelques autres que j'ai pas en tête là.
Le problème du cinéma indépendant, ou pire labellisé Sundance, c'est aussi notre regard à son égard. A force on a pris des réflexes de catégorisation qui sont une manière de ne pas parler des films sur le fond (ou la forme). Je n'irai pas jusqu'à dire qu'il n'y a pas eu formatage, mais le problème me semble plutôt annexe.
Les films de Sofia Coppola, eux, planent plutôt au-dessus de tout ça. Leur indolence de bonne famille leur donne une forme de détachement qu'ils sont les seuls à avoir.
Quant à MMMM, c'est juste pas très finaud (ni abouti), alors que ça voudrait être le contraire.