Transformers 4 et The Raid 2 : quand le destruction porn vire au gonzo
Le destruction porn est à l’action ce que le porno est à l’amour : des dégâts partout, du cataclysme et rien que du cataclysme, des corps qui s’entrechoquent et une surenchère dans l’enchevêtrement dont le seul but est de faire jouir l’œil du spectateur. Les Transformers et The Raid ont bien travaillé ce style hardcore, mais leurs derniers volets respectifs semblent être passés au niveau supérieur de débauche : le gonzo, la chair à YouTube, le film dont on choisit les scènes à visionner en fonction du programme de chacune (nombre de corps, d’immeubles, positions, éclaboussures de matière organique), juste pour satisfaire l'envie du moment, sans se soucier du récit.
La mode des films de super-héros a grandement amplifié le phénomène, mais rendons à César ce qui lui appartient : Michael Bay est l’inventeur détraqué – comme l’est tout inventeur digne de ce nom – du destruction porn. Les deux Bad boys (surtout le second), Armageddon et Pearl Harbor en ont posé les bases. La première trilogie Transformers lui a fait franchir un cap, mais c’est aujourd’hui la relance de cette franchise, faisant table rase – c’est le cas de le dire – du passé, qui constitue l’offensive la plus incroyable dans ce domaine. Celle grâce à laquelle Michael Bay retrouve son trône, ridiculise ses rivaux hollywoodiens (seul l’extrême-orient avec Tsui Hark, explicitement cité dans Transformers : l'âge de l'extinction, tient encore la comparaison) et fait passer le destruction porn dans une nouvelle ère : celle du gonzo, version extrême.
Alien de Ridley Scott ou hentaï à base de tentacules ?
Pourtant, passée l’ouverture du film, plagiat du travelling arrière et en orbite sur lequel Gravity s’ouvrait déjà, on se surprend assez vite à trouver que Bay a mûri. Il ne se projette plus en jeune adulte bavant sur une pin-up adolescente en minishort, mais en père d’une pin-up adolescente en minishort. Ce changement de point de vue ouvre le film à une référence improbable : John Ford. Pas seulement pour les plans de Monument Valley, mais aussi pour ces éléments qui présentent Bay comme peut-être le dernier des Mohicans à croire sincèrement au mythe de l’Americana, avec son héros Cade (Mark Wahlberg), ses valeurs, sa famille, sa terre (voir les plans sur sa maison au soleil couchant). Ce n’est pas réac, c’est touchant, en partie parce que c’est anachronique et bien éloigné de l’esprit gonzo qui va imprégner le reste du film (pas économiquement parlant par contre, puisqu'on pourrait sûrement tourner 2 500 gonzos avec le budget d'un Transformer).
Pour tenir ce fil du gonzo, sous-genre du X qui privilégie les scènes hard au détriment de tout le reste, le plus simple est d’évoquer la durée aberrante de Transformers 4. Ses 2 h 45 ne servent aucune finalité narrative. Elles tiennent à son parti-pris d’« anthologie », de compilation de séquences motivée par le seul désir de donner au public, de la manière la plus crue, ce qu’il est venu chercher. A l'exception des regards caméra, évidemment absents, on est complètement dans le domaine du porno façon gonzo, appliqué au métal et aux explosions plutôt qu’à la chair et aux orgasmes. Les quatre films que contient Transformers 4 sont tous autant de prétextes scénaristiques à la jouissance de tout faire sauter : le sauvetage d’Optimus Prime par Cade dans son petit coin de campagne, l’usine de robots (avec une participation chinoise, qui légitime par le « méta » le plus complet la coproduction du film avec la Chine), le chasseur de primes extraterrestre qui passait par là en vaisseau spatial ; et en quatrième, le mélange de ces trois, exactement comme un film X trouve le moyen de rassembler in fine tous ses acteurs dans un même lieu, si possible spacieux et propice à la pratique collective du sexe.
La grande orgie finale de Transformers 4 se déroule à Hong Kong. La variété et la densité de ses décors en font un excellent choix de club libertin pour s’ébattre à deux ou plus, entre humains, robots ou en interracial. Climax disproportionné et immodéré du film, ce dernier segment parachève une progression menée de main de maître. En vieux briscard du destruction porn, Bay dose ses effets et monte en puissance, de l’érotique (les gentils préliminaires de la première séquence texane) au triple X (la déferlante d’acmés du final, comme autant de petites morts volcaniques qui s’enchaînent sans nous laisser reprendre notre souffle ou nos esprits), en évitant toute retombée de la tension.
Transformers 4 ressemble ainsi à une suite de mash-ups dont l’exubérance et l’ardeur ne cessent de croître, au mépris de toute décence. À bord du vaisseau spatial, ces références respectables que sont Star Wars et Alien sont priées de faire de la place à de soudaines percées vers le manga porno, le hentaï, celui à base de monstres à tentacules visiblement. Et ce n’est rien comparé à cette scène de fusillade à Hong Kong qui semble de prime abord tout emprunter au western classique (tiens, revoilà John Ford) : un quartier filmé comme une ville du Far West, et les méchants encerclant les bons qui tirent leurs dernières cartouches quand soudain la cavalerie débarque. Sauf que la cavalerie en question est constituée de Dino-Transformers, montés par des Autobots, dévalant au galop les collines autour de la cité. C’est aberrant, mais peu importe : le contrat de la jouissance cinématographique (« nous en mettre plein les yeux ») est rempli, de la plus débridée des manières.
Une action hardcore faite pour la lecture en shuffle
The Raid 2 est lui aussi pétri de références. Le nouveau film de combat de Gareth Evans doit énormément à Kill Bill (les Crazy 88), Old boy (le plan-séquence du couloir), Matrix Reloaded (la poursuite sur l’autoroute). Il n’appartient pourtant plus au cinéma majeur, mais au spectacle d’ordre pornographique : à la différence de Tarantino, Park ou des Wachowski, Evans extrait ces scènes cultes de tout contexte narratif plus global et les livre isolément à la satisfaction uniquement physique du spectateur. Laquelle satisfaction débouche sur un exutoire physique lui aussi ; la jouissance à la fin des séquences pouvant s’exprimer par des applaudissements. Puisque l’on parle de fin, celle du film est pleinement dans le registre porno gonzo. Elle ne conclut aucun récit, ne résout aucun enjeu humain : The raid 2 s'arrête parce que son protagoniste est vidé, physiquement incapable d'accomplir une scène de plus après ses deux heures et demie de performance. Cette durée excessive est d’ailleurs proche de celle de Transformers 4, c’est la même promesse : 2h30 de film, cela veut dire beaucoup d'action, beaucoup plus que dans un film standard de 1h30 ou 2h.
Le qualificatif de pornographique n’est pas péjoratif. Il traduit une mécanique résolument pragmatique, avec à sa base l’alternance binaire de scènes d'action et de transition, comme l’illustrait si bien Jean-Pierre Léaud dans Le pornographe avec ses feuilles de papier couleur épinglées au mur - chacune correspondant à un type de scène - en veillant bien à ce que deux feuilles de la même couleur ne se touchent pas. La mise en scène de l’action pure est pornographique, guidée par des motivations exclusivement fonctionnelles : rien d’autre ne compte que de mettre en valeur, d’exacerber l’acte. On se sert pour cela des extrêmes : à un bout, les plans-séquences et les plans larges (pour prouver qu’il n’y a pas tromperie sur la marchandise, que ce qui est à l’écran est la chose « vraie », montrée dans son intégralité), et à l’autre, les inserts et très gros plans (pour insister sur les parties critiques des organismes et sur les accessoires utilisés pour agrémenter les corps-à-corps). Tout ça, Evans le fait bien et l’énergie dégagée par n’importe quelle bataille (dé)rangée de The raid 2 électrise profondément. Il le fait d’autant mieux qu’à mesure que le film avance, il renonce à s’intéresser à la prétendue histoire développée dans les scènes de transition. S’il arrive au début que des personnages demandent pourquoi ils se battent (sans qu’on leur réponde), la question ne se pose plus par la suite, tandis que dans le même temps surgissent de nulle part et sans raison, de nouveaux combattants et de nouveaux décors, dont l’espérance de vie se limite à une scène, deux maximum. The raid 2 adopte ainsi une structure gonzo presque aussi bordélique et arbitraire que celle de Transformers 4.
Cet abandon assumé des liens narratifs logiques entre les séquences fait qu’en DVD et Blu-Ray, Transformers 4 et The Raid 2 seront les égaux d'une production X sans autre ambition que celle d'exciter, dont on consomme les scènes comme on l'entend ; d'un jeu vidéo que l'on a terminé et dont on refait à sa guise les niveaux qui nous ont fait le plus d'effet, sans subir les cinématiques intercalées ; d'un album chargé dans son lecteur MP3 et dont on écoute uniquement les morceaux qui nous plaisent. Comme les autres divertissement de masse, le cinéma d’action se consomme aujourd'hui en mode shuffle.
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ChrisBeney28 juillet 2014 Voir la discussion...
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jojo431906 septembre 2014 Voir la discussion...
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dr-jaws6 septembre 2014 Voir la discussion...
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jojo4319011 septembre 2014 Voir la discussion...