Michael Fassbender mis à nu
Voilà un titre d'article bien racoleur pour parler de l'acteur le plus attractif du moment, et pas seulement parce que celui-ci se révèle plus chaud qu'une baraque à frites dans Shame. Steve McQueen adore le livrer à la Passion christique et David Cronenberg l'encourage à fesser Keira Knightley : de Hunger à A Dangerous Method, le parcours de Michael Fassbender, acteur éveillé à la célébrité torse nu au Festival de Cannes 2008 et consacré le pénis à l'air à celui de Venise 2011. Entre les deux, un épanouissement dont il faut rendre compte par revue de presse interposée, puisque les articles dédiés au comédien en France, patrie de Molière et de Lova Moor, s'accumulent à mesure que ses vêtements disparaissent.
Eric Stoltz a fini par jouer dans l'adaptation d'un livre de Paul-Loup Sulitzer, David Caruso gagne sa vie en retirant ses lunettes de soleil sur une scène de crime, et Garfield parle français avec la voix de Cauet : certains des acteurs roux les plus prometteurs connaissent de bien tristes destins. Ce ne sera pas le cas de Michael Fassbender qui a conjuré la malédiction capillaire en faisant de sa chevelure couleur de feu un atout. Qui mieux qu'un véritable Irlandais, donc roux, pouvait jouer dans Hunger le rôle de Bobby Sands, membre de l'IRA mort en prison en 1981, au terme d'une longue grève de la faim ?
L'histoire ne dit pas si Michael Fassbender s'est présenté à l'audition du film de Steve McQueen habillé en trèfle et accompagné de la troupe de Riverdance, ni comment il s'est retrouvé sur le tournage avec les cheveux courts, alors que Sands a toujours été représenté avec une tignasse à faire pâlir les footballeurs stéphanois de la grande époque. Elle dit par contre que même pour un « demi-Irlandais », né en Allemagne d'un père allemand et d'une mère irlandaise, interpréter celui qui reste un martyr aux yeux de beaucoup de ses concitoyens n'était pas sans risque pour un acteur qui se considère comme « un enfant de Belfast », selon son expression : « Ma mère ne voulait pas que j'incarne Bobby Sands. Et pas uniquement parce qu'il fallait que je perde 20 kilos » explique Fassbender à TéléObs, fin novembre 2008 pour la sortie de Hunger, dans le premier véritable article que lui consacre entièrement la presse française. « Quand vous vous promenez en Irlande du Nord, les murs sont couverts d'immenses fresques à sa gloire. Lors du tournage à Belfast, je ne tenais vraiment pas à ce que cela se sache ». Ça ne s'est pas su pendant, mais cela s'est bien su après. Enfin, presque.
Tout le monde n'a pas la chance d'être aimé par la presse communiste
Au Festival de Cannes 2008, Hunger remporte la Caméra d'Or, récompensant le meilleur premier long-métrage. Steve McQueen, son réalisateur, est encensé par la critique, mais bizarrement, la prestation de son acteur principal ne fait l'objet d'aucun commentaire élogieux. Pire : d'aucun commentaire tout court parfois, son nom n'étant par exemple jamais mentionné dans les articles que Le Monde et Le Figaro consacrent à la présentation cannoise du film. Seule exception notable : L'Humanité, qui fonde officieusement le fan club de Michael Fassbender en réclamant pour lui des prix à tour de bras. Le quotidien regrette en 2008 que Hunger ne soit pas en compétition officielle tant il aurait été « un parfait candidat à l'interprétation masculine », et désireux de siffler prématurément la fin de la compétition cannoise en 2009, dès la présentation de Fish Tank, tant Fassbender faisait « déjà partie des candidats crédibles à l'interprétation ». Interprète dramatique, pas musical :
California Dreamin' extrait de Fish Tank
Pour tous les autres journaux, Michael Fassbender se retrouve dans cet étau que les acteurs abhorrent et dont les critiques raffolent, soient parce qu'ils ne se préoccupent que du cinéaste, soient parce que le comédien reste encore à leurs yeux une zone floue : les parenthèses. Ces maudites parenthèses dans lesquelles le nom de Fassbender fut si souvent enfermé dès qu'il était cité, ces maudites parenthèses auxquelles Hunger n'arrive bizarrement pas à l'arracher et qu'il retrouve dès Fish Tank : dans le rôle du « prince charmant (le magnétique Michael Fassbender) » pour Libération, « Puis arrive le nouveau petit ami de sa mère (le bel acteur caméléon Michael Fassbender) » décrit Marianne, « Connor (Michael Fassbender, qui nous avait stupéfiés dans Hunger) » écrit même L'Huma. Fassbender semble alors considéré comme l'homme d'un seul film.
A y regarder de plus près, c'est un compliment. C'est même le plus beau, parce qu'il se trouve entre les lignes et échappe à ses auteurs : on n'imagine pas Fassbender dans un autre rôle que celui de Bobby Sands. Précision : on n'imagine pas Fassbender dans un autre rôle que celui de Bobby Sands tant cet acteur sorti de nulle part, quasiment sans passé et n'offrant donc aucun point de comparaison - peu nombreux sont ceux qui se vantent de l'avoir admiré en soldat gambadant avec son ami ursidé dans Winnie, un ourson de légende -, semble « être » Sands plutôt que de le jouer.
Comme De Niro dans Raging Bull? mais à l'envers
Hunger ne devrait rien à Fassbender ? Steve McQueen le laisse presque entendre, à demi-mots (« je suis né pour diriger les acteurs » déclare-t-il à L'Huma), avant de lui rendre hommage dans Le Monde : « Je me souviens qu'à la fin de sa dernière journée de tournage, il était si content de laisser ce personnage derrière lui que je ne l'ai pas reconnu. Je retrouvais le Michael Fassbender dont j'avais fait la connaissance quelques mois plus tôt et que j'avais oublié. Il avait été remplacé par l'homme qui jouait Bobby Sands et le personnage de Bobby Sands ». Les vingt kilos perdus pour le rôle ne constituent pas la seule performance de Fassbender dans le rôle (il termine à 58 kg pour 1,83 m, revoir Hunger aujourd'hui est un choc maintenant que l'on s'est familiarisé avec le comédien), même si cette transformation finit par en faire à la fois une incarnation de la souffrance et une oeuvre d'art vivante, un Christ « à la Rouault » (étrange comparaison dans L'Huma) ou éclairé par la palette du Caravage.
Combat politique, souffrance extrême. extrait de Hunger
Il y a également ce plan stupéfiant et inédit, prétendant au Livre Guiness des records comme étant le plus long de l'histoire du cinéma. Ce titre honorifique n'a aucun sens aujourd'hui (en avait-il un déjà en 2008, alors que Mike Figgis avait sorti Time Code huit ans auparavant ?). Il n'en désigne pas moins un tour de force : dix-sept minutes de face-à-face entre Fassbender et Rory Mullen, dans le rôle du prêtre cherchant à dissuader Bobby de poursuivre sa grève de la faim, chacun au bout d'une table. Dix-sept minutes d'un échange tendu et intense qui épate même Les Inrockuptibles qui le considèrent comme « un moment proche du génial », le seul à sauver de cette « crucifixion enluminée, filmée avec une outrance gênante par le plasticien Steve McQueen ».
Quentin Tarantino, puis Matthew Vaughn ne se sont pas privés d'exploiter l'art de la table façon Fassbender. Le premier dans Inglourious Basterds quand, au cours d'une scène toute aussi gourmande de mots que le moment de bravoure de Hunger, Fassbender, en Anglais cinéphile déguisé en soldat de la Wehrmacht, doit exceller dans la langue de Goethe, afin d'esquiver les questions pressantes d'un zélé de la Gestapo. Ça ne finit malheureusement pas très bien pour lui?
Fusillade dans le bar extrait de Inglourious Basterds
Le second moment se trouve dans X-Men : Le commencement, quand l'acteur, pas encore devenu Magneto, se replace dans des conditions semblables à celles vues chez Tarantino, toujours face à des nazis, mais cette fois dans un bar d'Amérique du Sud.
Officier et gentleman. Ou presque
Le fait que Fassbender parle parfaitement allemand aurait d'ailleurs pu l'enfermer dans des rôles de méchants teutons, à la fois raffinés et charmeurs, cruels et sanguinaires. C'est d'ailleurs presque ce qui s'est passé, sauf que l'acteur a eu la chance et le bon goût de n'avoir à porter l'uniforme ou à fréquenter du nazi que pour la bonne cause dramatique, celle qui vous nourrit avec les meilleures répliques. En ce sens, Town Creek (ou Blood Creek suivant les pays), film de Joel Schumacher inédit dans nos salles, fut peut-être une embardée salvatrice.
Dans ce joyeux nanar, Fassbender joue le rôle d'une espèce de goule assoiffée de sang qui fut, soixante-dix ans auparavant, un chercheur nazi en sciences occultes. Survival bourrin à base de tartes dans la figure et d'hectolitres de jus de tomates, ou vraie parabole sur la déliquescence inéluctable des docteurs en sciences humaines à l'heure de la crise ? Nul ne le sait vraiment, même pas Michael qui se souvient seulement avoir joué « un monstre couvert de latex qui boit du sang toute la journée » (TéléObs), ce qui, il faut l'avouer, vaut rarement un Oscar, mais doit apporter son lot de plaisirs.
Un plaisir semblable à celui que doit procurer l'interprétation d'un sparte belliqueux dans 300, d'une bête traquée dans Eden Lake ou d'un centurion dans? Centurion, de Neil Marshall, qui aurait mérité davantage que sa sortie trop confidentielle dans les salles françaises.
Il faut dire qu'entre Hunger et Shame, Fassbender reste un plaisir pour happy few. Pas un acteur effacé, mais un acteur qui s'efface. Un acteur gentleman même ? Il aime les rôles de séducteur adultère, physiques et ambivalents, ceux qui valorisent en même temps son charisme et son sens du jeu (quoi de mieux que de jouer le rôle de quelqu'un qui joue un rôle ?), y compris dans A Dangerous Method. François Ozon avec Angel et Andrea Arnold avec Fish Tank lui permettent d'exceller dans ce registre, mais toujours avec retenue. Michael Fassbender ne vole pas la vedette à ses partenaires, surtout quand celles-ci sont des dames.
Que retient la presse française d'Angel, Eden Lake et Fish Tank ? Romola Garai, face « à un mari auquel la chance d'exister n'est jamais donnée, pas plus qu'à l'acteur (Michael Fassbender) qui l'incarne, hélas » balance Le Nouvel Obs (en omettant de préciser que c'est une constante des personnages masculins dans le cinéma d'Ozon) ; puis les actrices Kelly Reilly et Katie Jarvis (voire même Kierston Wareing, pourtant nettement moins mise en valeur que dans It's a Free World?). Trois actrices remarquables dans ces films, mais aujourd'hui un peu oubliées, maintenant que Fassbender, lui, explose. L'épilogue d'Angel était-il prémonitoire ? L'écrivaine à l'eau de rose interprétée par Romola Garai recevait un journaliste. L'objet de sa visite ? Un éloge évidemment. Pas d'elle, l'auteure autrefois adulée et maintenant abandonnée, mais de son mari, le peintre que joue Michael Fassbender, jeté hors des galeries de son vivant et désormais reconnu pour son génie. Le faire-valoir a fini par prendre le contrôle, comme le laissait présager cette scène :
Esmé va peindre Angel extrait de Angel
Steve McQueen sait que Fassbender constitue une clé de voûte plus que fiable pour un long-métrage. Celui qui apparaissait seulement à la fin du premier tiers de Hunger participe à toutes les séquences de Shame. Et comme McQueen n'aime rien tant que la performance, au sens artistique du terme (malgré la contradiction entre ce terme, impliquant l'éphémère, et le cinéma), il construit pour son comédien un plateau semé d'embûches où il pourra exprimer tour à tour chaque facette de son talent.
Promenade nocturne dans la rue ! extrait de Shame
Shame est-il l'adaptation cinématographique du CV de Michael Fassbender ? Ceux qui reprocheront au film ces afféteries plastiques qui les rebutaient déjà dans Hunger, son dolorisme ou son éventuel discours sur l'addiction sexuelle (affliction personnelle ou résultante d'un environnement décadent ?) répondront sûrement par l'affirmative. Les autres refuseront de voir ce long-métrage réduit à une suite d'exercices (Michael pleure, Michael rit, Michael séduit, Michael fait pitié), filmée sous tous les angles et de toutes les manières possibles, aussi bien exécutée soit-elle. Trop d'intensité se dégage de l'écran. L'air semble vibrer autour de la silhouette de Fassbender. Il n'est pas seulement question du seul physique, séduisant, de l'acteur, mais d'une matière plus insaisissable : un mélange enivrant d'intelligence et de charge érotique, digne d'un homo eroticus dont le sang pourrait affluer en même temps dans la verge et dans la tête.
C'est pour cela que l'on peut accepter de le voir livré aux supplices SM de Steve McQueen, jouir avec sa tête et penser avec sa queue dans Shame, redresser des antennes satellites par la seule force télékinésique dans X-Men, ou défendre le principe de synchronicité face à un Freud sceptique dans A Dangerous Method, tout en nourrissant chez une patiente les désirs les plus sauvages.
Michael Fassbender peut bien jouer tout nu ses prochains rôles : les vêtements son superflus quand on a pour doudoune une telle aura.
PS : une coquille s'est malencontreusement glissée dans le chapô de cet article : il ne faut pas lire « titre le plus racoleur du moment » mais bien « titre le plus mensonger du moment ». Il n'est pas question ici d'effeuillage de Michael Fassbender, de nudité, ou de réflexions crapuleuses sur sa nudité frontale dans Shame (il y a eu Venise pour ça). Le lecteur aura rectifié de lui-même. Toutefois, afin de satisfaire les plus lubriques, ce tweet en VO de Bret Easton Ellis, qui se devait de donner son avis sur le rôle de New-York dans Shame : « And Michael Fassbender is probably the most handsome « masculine » movie star in world cinema at this point. And he has a really big dick ». Les anglophones confirmeront que l'auteur d'American Psycho parle bien d'architecture.
PPS : Toute notre reconnaissance à la géniale @Co_SwEuphoria sur Twitter pour avoir signalé l'existence de Fuck Yeah Fassbender, Tumblr tout entier dédié à qui vous savez, et inventeur d'un néologisme anglais décoiffant : « fassboner », alliance grivoise de « Fassbender » et de « gaule » (l'érection, pas le pays d'Astérix). L'existence de ce terme suffit à elle seule à valider la thèse selon laquelle Michael Fassbender est l'acteur le plus excitant du moment.
Image : © Fox Searchlight Pictures