La BO d'Inherent Vice, un film qui s’écoute
Inherent Vice, le dernier bébé de Paul Thomas Anderson après The Master en 2012, est enfin dans les salles. PTA (comme le surnomment les initiés) a ceci de particulier qu'il a pour habitude de porter un soin proche de la maniaquerie au son et à ses bandes originales. Ce n’est donc pas que du cinéma qui se regarde, il ne s'agit pas que de prouesses visuelles et de génie scénaristique. Et quitte à tomber dans le cliché, autant y aller gaiement : le cinéma d'Anderson, c’est aussi du cinéma qui se savoure les oreilles grandes ouvertes. Et Inherent Vice en est une nouvelle démonstration. Playlist.
On ne va pas se mentir : quasiment chaque nouvel opus du bonhomme pourrait se voir attribuer le qualificatif de "magnum". Mais rien à voir ici avec du chocolat glacé ou Tom Selleck, bien que le film soit traversé par quelques beaux spécimens de cônes et de pilosité faciale. Non, il s’agit plutôt ici d’une plongée de 2h30 dans le psychédélisme de la Californie des années 70, un récit labyrinthique embué par les volutes de fumée, porté par un Joaquin Phoenix constamment défoncé. Alors il est fort possible de ne pas rentrer dans le délire, mais ce que l’on ne peut pas retirer au film et au talent de son metteur en scène, c’est sa capacité à créer un véritable univers musical et sonore extrêmement cohérent et passionnant. On se délecte encore de la playlist/jukebox 70’s de Boogie Nights. Ou bien de l’incroyable musique de Jon Brion, ainsi que les chansons écrites par Aimee Mann, pour Magnolia. Sans oublier Jon Brion (encore lui) et la chanson "He needs me" tirée du Popeye version Robert Altman, magnifiquement utilisée dans Punch-Drunk Love. Et enfin les partitions de Jonny Greenwood (guitariste de Radiohead, rappelons-le) pour There Will Be Blood et The Master.
Douceur et fracas
Mais ce qui frappe dès l’ouverture du film, c’est une voix. Celle de Joanna Newsom, chanteuse et harpiste à l’étrange voix de chaton, qui joue ici le rôle de Sortilège (quel nom sublime), meilleure amie et guide spirituelle de Doc Sportello (joué par Joaquin Phoenix). Sa voix parlée est certes différente de sa voix chantée, mais l’utiliser en guise d’introduction n’est certainement pas anodin et participe de l’aspect étrangement apaisé (presque malickien) que le film arbore parfois. Par la suite, on a l’impression d’assister sur certaines séquences à un flot ininterrompu de dialogues, bourré de références patronymiques, temporelles et géographiques. On s’y perd, on ne sait plus trop ce qui se passe, qui parle, comment, pourquoi, notre cerveau est en ébullition. Quand soudain… ça :
Bon là forcément, il n’y a pas de son. Mais c’est le genre de moment complètement burlesque, capable de réveiller un mort et de faire naître de l’intérêt y compris chez Stevie Wonder. On pourrait également parler des missives en japonais (mais est-ce vraiment du japonais ?) qu’un Josh Brolin tout carré, aussi bien de la mâchoire que de la coupe de cheveux, hurle en rafales à un cuistot hors-champ. Sans oublier sa façon particulièrement bruyante de croquer dans son bâtonnet de glace chocolatée, sous les yeux d'un Joaquin Phoenix interloqué.
Rock psyché, folk songs et variété japonaise
Mais comme d’habitude chez Anderson, la part belle est faite à la musique. D'abord la composition originale de Jonny Greenwood, dont l'orchestration lumineuse rappelle l'école impressionniste chère à Ravel et Debussy, et qui souligne l'aspect profondément mélancolique du film. Et bien sûr, on retrouve aussi dans la BO des classiques des années 60-70, tels que « Rythm of the Rain » de The Cascades, du rock psychédélique (l’inamovible "Vitamin C" du groupe Can), du Neil Young (impossible de faire une BO 70’s sans Neil Young), de la variété japonaise à la mélodie imparable et entêtante ("Sukiyaki" de Kyu Sakamoto) ou bien le classique "Wonderful World" de Sam Cooke. Bref la recette idéale pour se mettre dans le même état que Doc Sportello, mais ici de manière totalement légale. Et ça tombe bien, nous avons compilé tout ça dans une playlist très complète pour ceux qui voudraient se replonger dans l'atmosphère délicieusement planante du film.
La tracklist dans le détail ressemble à ça :
- The Tornados – Dreamin' on a Cloud
- The Cascades – Rhythm Of The Rain
- Can – Vitamin C
- Can – Soup
- Les Baxter – Simba
- Jonny Greenwood – Shasta
- Jack Scott – Burning Bridges
- Television Heroes – Gilligan's Island Theme
- Neil Young – Harvest
- The Marketts – Here Comes the Ho-Dads
- The Association – Never My Love
- Minnie Riperton – Les Fleurs
- Neil Young with The Stray Gators – Journey Through The Past
- Kyu Sakamoto – Sukiyaki
- Sam Cooke – Wonderful World
- Jonny Greenwood – Shasta Fay
- Chuck Jackson – Any Day Now
Et ça s'écoute juste en dessous avec Spotify :
Les quelques morceaux absents de Spotify sont disponibles ci-dessous :
Bob Irwin & the Pluto Walkers – The Throwaway Age
Cliff Adams – Electricity
Frank Comstock – Adam 12
Peace tout le monde, et bonne écoute... de la musique d'Inherent Vice.
Je vais écouter le podcast de ce pas. J'aime beaucoup quand Jousse parle de son rapport avec la musique de film ou avec des compositeurs, chez BlowUp par exemple.
Quant à la BO, elle est fantastique. En particulier le boulot de Greenwood, l'écriture du mec me sidère, c'est vraiment l'héritier de l'école impressionniste française. Et j'aurais jamais cru écrire ça après avoir entendu "Karma Police".