Porky's de Bob Clark, nos premiers émois sexuels
Il est des films qui laissent leur empreinte sur plusieurs générations ; des filiations sautent aux yeux là où certains pans de l'histoire du cinéma se font plus secret. Dans un genre longtemps décrié comme celui du teen-movie l'arborescence des sous-genres et des auteurs semblent parfois moins évident. S'il y a cependant un père pour tous, un dénominateur commun, ce serait John Hughes. Bob Clark serait lui le tonton cool et un peu graveleux. Celui qui vous apprend à roter, qui vous prête vos premiers magazines érotiques. Mais surtout celui qui sera toujours là pour vous défendre s'il y a du grabuge.
Porky's, en 1982, propose de mettre en perspective l'amitié indéfectible d'une bande de copains face aux épreuves de la vie. Un schéma qu'on connaît par coeur mais qui faisait figure d'avant-garde pour l'époque. Ces adolescents californiens, jeunes hommes travaillés par leurs hormones, ont tout du souvenir doré de l'adolescence de nos parents. Certains sont costauds, d'autres victimes de brimades ; malgré tout ce qui les oppose ils se serrent les coudes face à l'adversité, ils s'apprécient et prennent soin les uns des autres.
Leurs airs sont rustres mais leurs amitiés inébranlables. Viriles et déterminantes dans la vie d'un homme, comme nous pouvions le voir il n'y a pas si longtemps dans les productions de Judd Apatow, Superbad en tête. Première originalité de Porky's : le film se passe en 1954. Il impose ainsi un discours inter-générationnel très fort sur les envies des hommes, leurs échecs sexuels cuisants rattrapés, toujours par leurs tentatives répétés. Obsédés, ils le sont.
Il faut prendre cette bande-annonce avec le recul nécessaire quand on sait par quels chemins détournés devaient passer les producteurs pour vendre ce genre de films. Certes, on y passe notre temps à reluquer les filles dans les vestiaires et à tenter de perdre sa virginité. Mais Porky's est aussi d'une grande sobriété formelle, prenant le temps de laisser déployer ses longues séquences de blagues et de discussions autour des filles : comment les séduire, où les trouver, toujours en essayant de s'en passer. Dans Porky's l'amour est libre et décomplexé. Un homme plaît à une femme et pour autant, ils ne se feront jamais de promesse. Ils prendront juste un peu de bon temps.
Porky's est évidemment un film de garçons. Pourtant il fait preuve d'un grand respect, toujours mâtiné de coquinerie, quand il est question de s'attacher de près à observer la gente féminine. Lorsque les garçons font les voyeurs et les espionnent dans les douches, les filles se jouent d'eux tout en les aguichant. Le personnage de la fille facile n'est ni malade ni misérable. C'est une bonne copine, qui aime le sexe et qui n'a aucune raison de s'en cacher. Pourtant jamais elle ne sera mise à l'écart du groupe. Kim Cattrall, fiévreuse et hurlant comme une louve lors de ses rapports sexuels, est une femme de poigne qui décide quand elle acceptera un homme ou non. Rarement, même dans les productions actuelles, on aura vu un tel respect pour la liberté de moeurs féminines. Où les femmes peuvent s'amuser à l'égal des hommes, jouer dans la même cour, et s'attendre donc aux mêmes moqueries.
On l'appelle Lassie extrait de Porky's
Outre leurs petites séances de voyeurisme et leurs virées entre potes le petit groupe d'amis rêvent de mettre les pieds au Porky's, un bar olé olé à quelques heures de chez eux Les danseuses n'y sont pas farouches et on peut espérer y boire de l'alcool même si on est mineur. L'occasion rêve pour Pee Wee Herman (Dan Monahan) de ne plus passer pour le crétin de service et, accessoirement, perdre sa virginité. Mais quand la bande du lycée rencontrera le fameux Porky, le propriétaire du bouge où ils rêvent de filles délurés et de cuites sévères, ce dernier leur fera miroiter des prostituées qui n'existent pas et les balancera dans le fleuve. Leur honneur est sali.
Toute la deuxième moitié du film sera tourné vers cette vengeance d'un groupe de jeunes gens coquins mais polis face à un groupe d'adultes rustres et corrompus. Mickey (Roger Wilson), qui ne supporte pas d'être humilié, décidera d'affronter seul Porky à plusieurs reprises. Jusqu'à ce qu'il finisse à l'hôpital. Ses amis échafauderont donc un plan implacable pour anéantir le bar de Porky et le mettre plus bas que terre. Argument narratif, humoristique (voire même dramatique) du film, les séquences au Porky's ne restent pas les plus captivantes. Pourtant l'effort d'un groupe de jeunes gens faisant front commun face à celui qui pervertit le sexe (là où dans l'esprit de l'adolescent le sexe devra rester une fête), qui le vend et le souille, a des résonances nobles et rarement aperçus dans un teen-movie. Ici on ne pense pas qu'à sa petite personne, on se bat aussi pour un idéal de vie. Remarquons pourtant que les adultes ne font pas tous figures de tortionnaires ou de marâtres (mis à part l'hilarante et coincée Miss Balbricker, soit Madame Casse-bonbons, pour rester poli). Les profs du lycée et autres surveillants, par exemple, adultes entre deux âges, n'hésiteront pas à aider les adolescents dans leur quête de vengeance. Et à faire des blagues bien en-dessous de la ceinture.
Trouver le pénis du coupable extrait de Porky's
En définitive, Porky's a fait des émules. Un second volet, intitulé Porky's II : The next day, réalisé par le même Bob Clark, sortira l'année suivante. En 1985 un troisième opus, Porky's Revenge!, viendra conclure une trilogie qui aurait mieux fait de s'en tenir à un épisode (deux tout au plus). Bob Clark réalisa quelques films encore, plus moins malheureux ; il fera notamment tourner Sylvester Stallone et signera l'exceptionnel Karaté Dog. Il nous quitta en 2007 après un terrible accident de voiture.
Mais les continuateurs de l'oeuvre de Bob Clark, et de Porky's avant tout, se multiplient depuis les deux dernières décennies. L'étendard est le même mais le résultat est très aléatoire. Regroupé sous l'idée de groupe de jeunes garçons voulant absolument perdre leur virginité, on retrouvera bien entendu les films de la constellation Apatow, mais aussi une tripotée de films contenant le mot "sexe" dans leurs titres, Sexe Intentions et autres Sex Academy, la faute parfois à des traductions françaises plus que douteuses. On pense avant tout, bien sûr, au gentillet American Pie et à l'incongrue traînée de navets qui suivit sous le même nom. Le véritable problème reste celui de l'accueil du public, un apriori galvaudé par une montagne de films très moyens tournant autour du sujet, vulgarisant la virginité et l'envie de s'en défaire, n'accordant de la poésie à ce passage obligé uniquement quand il est vécu du côté féminin.
Porky's lui, sans jamais se prendre au sérieux, réunissait pourtant, il y a presque trente ans, tous les adolescents sous la même bannière. Homme, femme, petit ou laid, coquin ou timide, tout le monde pouvait enfin reconnaître qu'il n'avait qu'une obsession en tête au moment de l'adolescence : le sexe. Et même si son fantasme et sa consommation tient plus de la compétition et de la boulimie aujourd'hui, il est, dans ces sketchs un peu prudes, gentiment grivois, déjà présent dans Porky's un rapport au sexe affranchi, une sorte de vitalité qui ferait tout pour s'extirper de son carcan répressif, le pouvoir des adultes, pour exister et s'épanouir. Soit la matrice des films de dépucelage, impossiblement vieillissant, d'un bagout et d'une audace qui se font malheureusement de plus en plus rare.