Pourquoi les Cars de Pixar ont des yeux et une bouche ?
Cars 2, le douzième long-métrage des studios Pixar sort le 27 juillet au cinéma. L'occasion pour nous de s'attarder sur la singularité de la série Cars qui use, contrairement à tous les autres films du studio, d'un anthropomorphisme morphologique. Là où la mascotte Pixar (la fameuse lampe du générique) n'a besoin de rien pour prendre vie, les Cars sont flanquées de bouches et de grands yeux peut-être superflus...
Dans l'histoire de l'animation internationale et de celle du cinéma en général, il y a toujours eu deux écoles : ceux qui décident résolument d'animer un objet en lui conférant des caractéristiques physiques humaines (l'anthropomorphisme morphologique) et ceux qui décident que la seule animation de ses attributs d'origine suffira à le rendre expressif. Petit tour d'horizon de ce qu'auraient pu être nos Cars !
It is alive !
L' objet dénué de caractéristiques humaines mais animé d'une conscience propre c'est l'angoisse réifiée ! Le cinéma regorge ainsi de ces objets, souvent meurtriers, rendus encore plus inquiétants par leur totale absence d'humanité. Dans la lignée de Christine de John Carpenter plusieurs objets se disputent ainsi la palme de l'effroi : L'ascenseur, Le vaisseau de l'angoisse, les multiples versions de maisons hantées, ou encore la présence autoritaire du robot HAL dans 2001 Odyssée de l'espace. Seulement, ces affrontements stériles avec l'homme servent souvent la nécessaire exhibition de la violence dans des films de genre et ne constituent qu'une manifestation formelle de l'angoisse. L'objet sans expression faciale ou physique semble ainsi condamné au genre de l'horreur et de la science-fiction. Mais les Cars rigolardes de Pixar doivent-elles pour autant renoncer à leur peinture métallisée d'origine ?
Même pas peur
L'objet sans apparence humaine ne se cantonne heureusement pas à faire peur ! Le cinéma plus expérimental de Svankmajer anime ainsi l'objet tel quel notamment dans Meat Love avec une danse de steaks endiablée tandis que Norman McLaren explore lui aussi la personnification de l'objet avec Il était une chaise. Sans passer encore dans un anthropomorphisme outrancier, l'objet devient l'allié du développement d'un monde imaginaire riche d'inventivité. Repenser l'objet comme corps et vice et versa donne donc lieu à des explorations plastiques qui ouvrent la voie à de nouvelles possibilités narratives. Ce type d'expérimentation cantonne hélas l'objet à une cinématographie très peu connue mais quelques élucubrations transpirent tout de même ponctuellement comme dans La Belle et la Bête de Jean Cocteau où les hommes interprètent les objets :
La découverte du château par la Belle extrait de La Belle et la Bête
Parole, parole, parole...
L'objet est très vite devenu la propriété presque exclusive du cinéma d'animation qui ne joue plus seulement sur les qualités propres de l'objet mais s'amuse à le rendre plus maniable, plus malléable et surtout plus bavard. Le génie de Walt Disney transforme ainsi sans fin chaque objet mis en scène en une personnalité à part entière. En reprenant les contes, Walt Disney insuffle aussi une humanité aux décors et aux personnages de ses histoires. Pas un animal non pourvu de paroles, pas un objet qui à la faveur d'un gag ne se mette à gesticuler, le monde de Disney se réunit sous l'hégémonie de l'Homme. Pourtant là encore, l'exploration plastique la plus aboutie et sans doute la plus personnelle qu'est Fantasia ne bénéficiera que d'un succès mitigé. Le pari d'un film sans parole devra attendre son heure...
La danse des balais extrait de Fantasia
La prise de risques Pixar
En fait ce qui dérange plus qu'autre chose dans l'allure des voitures de Cars c'est ce sentiment d'une prise de risque moindre que dans les créations Pixar habituelles. Toy Story explorait la vie cachée de nos objets du quotidien et la présence en retrait des hommes laissait place à la joyeuse vie des jouets comme on ne les avaient encore jamais envisagés. Le monde animé des objets et animaux de Pixar a en fait à la fois une emprise sur le monde normale et vit en totale indépendance par rapport à celui-ci : 1001 pattes explore la vie microscopique des insectes, Monstres et Cie invente la vie cachée des cauchemars tandis que Ratatouille raconte l'histoire du plus improbable des cuisiniers. Toujours en contre-pied de l'attendu, Pixar a donc pour marque de fabrique l'exploration de la vie cachée du non-humain. Tour de force ultime et osé dans Wall E qui débute par 30 minutes de silence où les robots s'expriment dans leur langage propre (biip et bippp ) et c'est finalement là où la magie prend.
Cours de danse supersonic extrait de WALL-E
Cars : une boîte automatique efficace
Ce qui se révèle avec les deux opus de Cars, c'est la réussite du développement d'un monde de voitures où l'humain n'existe pas tout en utilisant des décors qui nous sont parfaitement connus. Parfaitement connus ? Pas tant que ça ! John Lasseter parle lui même des multiples transpositions du monde humain au monde mécanique. La scène burlesque de Martin le dépanneur dans les toilettes reprend habilement la sur-technologie des commodités japonaises tout en l'adaptant à la mécanique des voitures. Les décors toujours aussi parfaitement maîtrisés et déployés dans l'espace laissent apparaître des architectures aux motifs de carlingues. Cette transposition humain/voiture finit par faire sens et on s'amuse à (re)découvrir nos villes sous un autre prisme. À la grande question de l'utilité de l'anthropomorphisme des voitures répond donc finalement la création d'un monde autonome et cohérent. De plus, quoi de plus fusionnel qu'un pilote et son bolide ? D'où ces gros yeux dessinés dans le pare-brise et non dans les phares ! En fait Cars 2 c'est le fantasme à 200,000,000 $ de John Lasseter qui reprend ses jouets favoris un peu oubliés dans la panoplie de Toy Story. La maîtrise de Pixar se déploie donc encore dans ce nouvel épisode sans apporter la nouveauté escomptée, c'est un beau cadeau, pas une surprise...
À vous de juger la frimousse de ces petits bolides. Sachez en attendant que le film applique par ailleurs une recette différente du premier volet en s'enrichissant d'une trame narrative james-bondienne et d'un tour du monde bien loin de Radiator Spring. Toujours rythmé par les courses de Flash McQueen et l'humour de multiples personnages secondaires, on garde du film le plaisir tout bête d'un divertissement bien huilé.
Ainsi qu'un extrait de mémoire assez intéressant : http://totichoux.inf...t39-1820.html#p34775