C'était peut-être pas très difficile...

Shia LaBeouf réalise-t-il son meilleur film en regardant ses propres films ?

Sur le web | Par Chris Beney | Le 12 novembre 2015 à 15h55

Depuis le 10 novembre à midi heure de la côte est américaine, Shia LaBeouf s’est enfermé dans une salle de cinéma du Angelika Film Center pour y regarder toute sa filmographie, dans l’ordre antéchronologique. Il en a pour 3 jours, 3 jours pendant lesquels il est filmé en continu, face caméra, et visible en direct via newhive. Après plusieurs tentatives douteuses, l’acteur américain livre cette fois une performance d’art contemporain digne d’intérêt. Les uns crient au génie, ou pas loin, les autres, à la fumisterie. On a choisi notre camp.

Indiewire n’aura même pas attendu la fin du film et un improbable twist. Le site cinéphile américain a recensé les premiers avis critiques et d’après eux, c’est sûr, Shia LaBeouf est en train de réaliser sa meilleure prestation, dans son propre rôle, celui d’un acteur s’obligeant à se coltiner toute sa carrière en images. Le meilleur pote d’Optimus Prime et le fils d’Indiana Jones n’avait jusqu’ici pas fait que du bon en matière de happening. Il a d’abord été accusé, à raison, de plagiat à cause de son court-métrage HowardCantour.com, avant de s’amener à la Berlinale 2014 avec un sac en papier sur la tête, puis de faire #IAMSORRY, nouveau plagiat, revendiqué cette fois, d’une performance de Marina Abramovic, qui lui aura valu d'être harcelé sexuellement (les visiteurs de la Los Angeles Gallery pouvaient interagir avec lui, comme ils le voulaient, sans que celui-ci ne se lève de sa chaise ni ne parle). Quand sa vidéo de motivation, Just Do It, fut mise en ligne cet été, on pensait que l’impossible et paradoxale quête de notoriété et d’anonymat de LaBeouf touchait le fond, et on ne vous parle pas de son dernier long en date, Man Down, l'une des pires daubes de la dernière Mostra...

Shia LaBeouf, le Forrest Gump assis

Comme le disait si bien Pierre Mortez dans Le Père Noël est une ordure, quand on touche le fond, un bon coup de pied et hop !, on remonte ; Shia s’est trouvé une nouvelle marotte et elle fonctionne : 72 heures consécutives à regarder ses films, en compagnie d’une cinquantaine de spectateurs qui peuvent l’accompagner gratuitement dans son défi. Compte-tenu des files décrites sur Twitter – hier, il fallait attendre au moins 3 heures pour espérer avoir un siège et l’opération ne faisait pas le buzz qu’elle fait maintenant – la décision de LaBeouf est aussi absurde et profonde que celle de Forrest Gump de courir d’un océan à l’autre dans le film de Zemeckis (elle est moins gratuite par contre, car Forrest n’avait prévenu personne avant de chausser ses Nike, et toute aussi désolante ou enthousiasmante, c'est selon, dans sa capacité à nous transformer en moutons ou en adeptes).

Shia se découvre des supporters qui le suivent et l’encouragent dans son défi physique hors-norme et réel, nécessitant que l’on fasse comme lui, non pas courir, mais rester assis nous aussi devant un écran. On intellectualise ? Si on considère ce que fait actuellement Shia comme de l’art contemporain, il serait idiot de nous le reprocher, l’œuvre se découvrant une valeur supplémentaire justement parce qu’on prend la peine d’y réfléchir. Sans esquiver une nouvelle fois le plagiat qui décidément lui colle à la peau – il a de l’audace, mais peut-être pas d’originalité – LaBeouf nous fait la version longue du plus beau plan-séquence de Birth, celui qui préférait le visage de Nicole Kidman à l'opéra qu'elle avait devant elle. En plus radical, car il n’y a pas de son dans #AllMyMovies, aussi bien par choix (le son aurait été l’équivalent d’une barre de défilement, on aurait pu savoir où en était Shia de son défi) que contraint par les copyrights.

Il refait aussi, toujours en plus radical – et c’est pas donné à tout le monde d’être plus radical qu’Abbas KiarostamiShirin, film dans lequel la caméra du cinéaste iranien s’attardait longuement sur les visages d’actrices regardant un film, dans une salle de cinéma. En ajoutant des morceaux de Sleep d’Andy Warhol, puisque Shia s’endort régulièrement et – les habitués des festivals de cinéma pourront le confirmer – cela va aller crescendo quand son éponge de cerveau sera gorgée d’images et n’en pourra plus. Warholien, il l'est aussi dans sa possibilité de donner leur fameux quart d'heure de gloire aux anonymes, car ils sont quelques-uns à avoir profité de ses assoupissements pour s'incruster dans le cadre et se montrer au monde (dans la nuit de mercredi à jeudi, un sosie de Kurt Cobain a fait parler de lui)... Shia s’est déjà roulé en boule dans l’allée de la salle pour pioncer, sans sortir du cadre puisqu’il n’en sort que pour aller aux toilettes entre deux projections, et il recommencera, en détenu volontaire trouvant dans le sommeil le seul moyen de s’évader.

On ne peut pas faire ce que fait LaBeouf sans être narcissique, de la même manière qu’on ne peut pas faire carrière à Hollywood en ne s'aimant pas énormément, mais le narcissisme de Shia est ici discutable. Il regarde en entier les films dans lesquels il a joué, pas seulement ses scènes, et en remontant le temps, donc en revenant à ses premiers rôles, secondaires. Sa présence sur son écran est donc limitée, elle va même se raréfiant, mais l’ironie de la chose et que nous ne verrons rien de cet effacement, parce que LaBeouf est là devant nous - toujours cette contradiction, « je veux disparaître, mais je veux que vous me regardiez, je veux que vous me regardiez disparaîre » - et qu’il pourrait bien fixer une boite de cassoulet sur une étagère, ce serait la même chose. Vraiment ? Non, et c’est là que nait le spectacle.

Kiarostami et Secret Story, comme à la belle époque

Il y a de la fatigue sur le visage de l’acteur, mais surtout des éléments qui lui échappent, des réactions négatives, positives, enthousiastes, émues - belle suggestion sur Twitter de remplacer le Ulysse de Télérama par Shia -, à ce qu’il voit et que nous ignorons, sauf à suivre précisément le programme des projections et à ne pas se planter dans le décalage horaire et les AM/PM. Un visage habitué au contrôle, à fonctionner comme un masque, finit par se laisser aller, par devenir une attraction émouvante. Emouvante, oui, parce que quand l’acteur se réveille soudain, écarquille les yeux et esquisse un sourire benoît, nait quelque chose d’une innocence retrouvée face à l’image, comme revoir Cinema Paradiso avec un supplément d'authenticité, comme si le visage de Shia était un miroir ne réflétant des films que ce qui vaut la peine d'en être retenu (on rappelle qu'il regarde notamment Dumb & Dumberer, pas Citizen Kane).

On se tire la nouille, là ? Si Les Cahiers du Cinéma de l’époque folle du début des années 2000 étaient en vie, ceux qui mettaient dans le même sac révolutionnaire Ten de Kiarostami, Loft Story et la captation vidéo des attentats new-yorkais de 2001, ils feraient leur couverture avec #AllMyMovies, parce que ce live de 72 heures doit autant à la lecture la plus réfléchie des médias d’aujourd’hui qu’à la plus bassement voyeuriste télé-réalité. Sauf que Shia n’est pas feue Loana, qu’il a interdiction de parler (mais il vous sert la main si vous lui tendez), qu’il sait où est la caméra même s’il l’oublie forcément et que le cadre fixe, l’absence de profondeur de champ qui ajoute du flou dès qu’il s’avance un peu trop de son fauteuil (c’est joli comme ce flou lui sert parfois de refuge, pour rester là, sans être visible) et les variations de lumière sur sa face donnent une indéniable plus-value plastique.

En notre absence, le cinéma reste ouvert

On ne peut pas dire ce qu’aurait pensé Chantal Akerman de ces images, peut-être les auraient-elles ignorées, mais peut-être aurait-elle vu en Shia LaBeouf le fils cinéphile de Jeanne Dielman, celle dont on pouvait reproduire les recettes de cuisine parce qu’elles étaient exécutées en temps réel et devant nous. #AllMyMovies n’est pourtant pas une expérience de la durée, beaucoup plus du zapping. On doute que nombreux soient les internautes à passer 72 h à regarder Shia et que s’ils le sont, ils ne seront jamais autant que ceux qui viennent simplement lui rendre visite de temps à autre. Pour se moquer ou pour se réconforter, en sachant qu’à New York, un type est là pour continuer à regarder des films - on se fiche que ce soit les siens, on ne les voit pas de toute manière - dans un cinéma pendant que nous sommes occupés à faire autre chose, un type qui surveille que la lumière du projecteur ne s’éteint pas en notre absence. Un type qui, bientôt, se montrera probablement sur le web pendant 72 h consécutives en train de regarder les 72 h le montrant en train de regarder ses films. Après Ten, Kiarostami a bien fait Five, où il fallait se farcir un plan-séquence sur des piafs au bord de l'eau, alors... Là, on dira probablement que la blague a assez duré, mais en attendant…

 

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18 commentaires
  • Joe_Shelby
    commentaire modéré Le pauvre vieux, il a vraiment sombré dans la dépression cette fois.
    12 novembre 2015 Voir la discussion...
  • torukmato
    commentaire modéré @itachi changez la photo de sa fiche d'acteur avec une photo de lui pendant le #allmymovies s'il vous plaît.
    12 novembre 2015 Voir la discussion...
  • Sleeper
    commentaire modéré @Torrebenn le second degré peut aussi être une forme de collaboration (mais je ne t'apprends rien avec ton avatar) :P
    13 novembre 2015 Voir la discussion...
  • Metaju
    commentaire modéré Shia chia sa merde puis la bouffa. (honteux)...(non, même pas en fait).
    13 novembre 2015 Voir la discussion...
  • itachi
    commentaire modéré @Metaju : très bonne vanne.
    13 novembre 2015 Voir la discussion...
  • ChrisBeney
    commentaire modéré Belle fin, simple, sans twist final
    13 novembre 2015 Voir la discussion...
  • hendicaise
    commentaire modéré J'y pense que maintenant mais ALL MY MOVIES c'était aussi un peu "Fantasma" de Lisandro Alonso
    13 novembre 2015 Voir la discussion...
  • ChrisBeney
    commentaire modéré @hendiike Bien vu http://www.vodkaster.com/films/fantasma/162050
    13 novembre 2015 Voir la discussion...
  • ChrisBeney
    commentaire modéré @hendiike (j'en ai pas un très bon souvenir de "Fantasma" d'ailleurs)
    13 novembre 2015 Voir la discussion...
  • TJ_McFly
    commentaire modéré Moi je trouve ça assez fascinant de voir un artiste contempler son art. C'est peut-être vain comme exercice, mais il y a une certaine audace dans le geste parce que c'est tout de même très personnel.
    13 novembre 2015 Voir la discussion...
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