cinéaste ou zombie ?

Le style de Tim Burton a-t-il survécu aux années 2000 ?

Dossier | Par Thomas Jalili | Le 14 mai 2012 à 11h42

Posons les faits : Tim Burton est, pour beaucoup de cinéphiles, un génie. Il offre du rêve à une myriade d'enfants, de la nostalgie heureuse à une pléiade d'adultes, des clins d'oeil à l'histoire du cinéma aux personnes âgées. En somme, son cinéma s'adresse à toutes les générations. Mais à force de s'adresser à tout le monde, le cinéaste ne risque-t-il pas de ne plus parler à personne ? A-t-il survécu aux années 2000 ? La réponse est oui.

D'où sa popularité, tout aussi importante, voire même plus, que celle de Steven Spielberg. Mais si le style Tim Burton a longtemps été adulé, il subit depuis quelques années, plus précisément depuis la sortie de La Planète des singes en 2001, de vives critiques. Ainsi fans et journalistes reprochent au cinéaste américain de réaliser des longs-métrages peu inspirés, qui ont perdu de leur superbe, de leur aspect magique. Burton se repose-t-il donc sur ses acquis ? Qu'en est-t-il vraiment ?

Le style Tim Burton

La première question à se poser est élémentaire : Comment définir le style de Tim Burton ?

Il n'est un secret pour personne, le cinéaste américain, natif de Burbank en Californie, est le digne héritier de l'expressionnisme allemand. Ce courant cinématographique, qui compte dans ses rangs des films comme Le Cabinet du Docteur Caligari, Metropolis ou encore Nosferatu, est né en Allemagne entre les années 1920 et 1930. Vous pouvez d'ailleurs tester vos connaissances sur ce sujet avec ce quiz ! De l'expressionnisme, Tim Burton en a tiré le décorum : des paysages ténébreux, des décors aux perspectives alambiquées et aux angles aigus, des ombres qui sont mises en avant tout autant que les personnages qu'elles suivent.

De la sorte, tous les films de Burton possèdent un aspect cadavérique. C'est un point mis en lumière par des décors soignés à la perfection et des costumes gothiques élaborés et faits sur mesure par Colleen Atwood, l'une des plus proches collaboratrices du cinéaste. Le cinéma de Tim Burton cultive aussi des thèmes récurrents. D'abord et avant tout, celui de la mort. Tous les films de Burton, sans exception, discutent de la mort : Edward aux mains d'argent, Big Fish et aujourd'hui Dark Shadows. Mais la mort n'est pas traitée comme une fatalité ; plus comme un passage d'un monde à un autre. Tim Burton arrive ainsi à nous faire joyeusement rêver avec des zombies, des monstres, des squelettes? etc. Par le burlesque, il désacralise la mort et le surnaturel en lui conférant une dimension humaine, plus proche de nous. C'est là toute la force de Burton.


Dans un cercueil depuis une eternité, extrait de Dark Shadows

Enfin, Tim Burton, c'est aussi Johnny Depp. Dark Shadows est d'ailleurs leur huitième collaboration. L'acteur est considéré comme le double du cinéaste à l'écran. Il comprend son univers, son ambition, sa réflexion artistique. Toutefois, si Tim Burton est tant décrié depuis des années, c'est aussi et en grande partie à cause de Depp. L'on reproche effectivement au cinéaste de ne pas pouvoir créer sans son acteur fétiche - d'ailleurs devenu aujourd'hui producteur pour les besoins de Dark Shadows. Tâchons alors de vérifier cette critique au travers de la filmographie de Burton depuis le début des années 2000.

Une filmographie protéiforme

Depuis 2001, Johnny Depp a participé à cinq des sept films de Tim Burton. Ainsi, d'un point de vue purement mathématique, il est clair que Johnny Depp a joué un rôle prépondérant dans la filmographie de Burton depuis 2000. Cependant, l'univers du cinéaste n'a jamais été aussi protéiforme : du conte de fée à la comédie musicale américaine en passant par le cinéma d'animation, Tim Burton a utilisé de son pouvoir de séduction cinématographique sur de nombreuses facettes du septième art. Un atout incontestable et incontesté.

Néanmoins, comme nous le disions plus haut, cette variété n'a été rendue possible que par la notoriété acquise par le cinéaste ces dernières années : plusieurs livres écrits à son sujet ou encore des prix spéciaux pour l'ensemble de sa carrière au festival d'Annecy et de Venise en 2006 et 2007. Il a également été fait Chevalier des Arts et des lettres en 2010, a officié en tant que président du jury du Festival de Cannes en 2010 et est actuellement le sujet principal d'une exposition à la Cinémathèque Française. C'est une notoriété qui s'est donc accrue depuis quelques années, surtout après le succès critique et économique de Big Fish. Du coup, les sujets affluent sur son bureau et les budgets alloués par les studios augmentent. L'exemple le plus probant est Alice aux pays des merveilles dont le budget a atteint la bagatelle de 200 000 000$. La première conséquence de cette abondance se voit très rapidement à l'écran. Tim Burton a délaissé le carton-pâte de Beetlejuice pour un fond vert dans tous ses derniers films. C'est un élément qui se voit et qui gêne un grand nombre de fans car la mise en scène est différente, de par les couleurs utilisées, la lumière, la plasticité des décors. Pour certains la poésie sonne creux. Pour d'autres, les nouvelles technologies subliment la vision du cinéaste.


Tea party, extrait de Alice au Pays des Merveilles

Toutefois, même si les procédés de réalisation ont évolué vers le-tout-numérique, la question à se poser est capitale : est-ce que les films de Tim Burton sont toujours des films de Tim Burton ? Est-ce que Burton est fidèle à sa marque de fabrique ? Dark Shadows nous émerveille-t-il autant que tous les autres films de Tim Burton ?

Dark Shadows : un sujet burtonien ?

Dark Shadows est à l'origine une série TV américaine, diffusée entre 1966 et 1971 par la chaine ABC, mais qui est totalement inédite en France. Cette série raconte les péripéties des Collins, une famille habitant un château un peu sinistre, qui du jour au lendemain voit débarquer un vampire qui se présente comme leur aïeul.

Dès le premier plan, le spectateur est plongé dans l'univers de Tim Burton. Nous débutons cette nouvelle aventure, à la manière d'un Sweeney Todd, dans un port marécageux. Une voix grave et sinistre introduit le propos du film. Nous rencontrons une sorcière amère et vengeresse, prête à tuer pour se faire aimer. Un homme blanchi par la mort, le héros de cette histoire, est obligé de vivre sans son amour de jeunesse car il a été transformé en vampire il y a de cela deux siècles. Le sujet est posé, et tout indique qu'il est bien burtonien.

Le générique de fin apparaît et une sensation étrange nous a envahi. Que l'on ai aimé ou détesté, le constat est le même : Dark Shadows est un film de Burton qui parle des films de Tim Burton. C'est une photographie de l'univers de Tim Burton par son propre créateur. J'ai retrouvé le château d'Edward, mon collègue a retrouvé la loufoquerie de Beetlejuice. Un autre a retrouvé les couleurs de Charlie et la chocolaterie ; j'y ai vu la mariée des Noces Funèbres. Une agrégation que certains pourraient trouver froide quand d'autres y verront un mélange savamment dosé.

La patte de Tim Burton est bien là mais elle a clairement évolué. La question n'est pas tant d'aimer ou de ne pas aimer Dark Shadows. La véritable question à se poser est de savoir si oui ou non le virage artistico-économique pris par Tim Burton au début des années 2000 vous plaît. La vision de Dark Shadows m'a aidé dans cette réflexion : je préfère les films de Tim Burton dont les proportions économiques n'ont pas explosé après 2000, comme Big Fish ou Sweeney Todd. Et vous ?

Images : © Warner Bros. France

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3 commentaires
  • Cypri3n
    commentaire modéré Le style Burton ? Johnny Depp + maquillage blanc + style gothique + ambiance colorée + personnages fantastiques le tout en Ctrl C / Ctrl V pour faire l'intégral de sa carrière.
    15 mai 2012 Voir la discussion...
  • Tanji
    commentaire modéré J'ai réagi comme toi a la vision de son dernier: et pour moi Burton a perdu son identité visuelle avec le tout numerique. Je regretterais toujours Sleepy Hollow et sa foret en carton pâte, ses arbres biscornus, ses branches un peu cheap (idem pour les arbustes de Edward aux mains d argent )car ces décors avaient le mérite de sortir directement de son imagination (en passant par une équipe de sculpteurs et décorateurs et non une armée d'informaticiens). Je supporte de moins en moins son utilisation abusive de l ecran vert et pour moi Tim a touché le fond en sortant Alice...
    20 mai 2012 Voir la discussion...
  • ProfilSupprime
    commentaire modéré Bon article qui décrit bien les thématiques chères à Burton. Néanmoins, j'aimerais dire que le sujet importe peu, de même que les inspirations.

    Certes, l'exemple de l'expressionnisme allemand est toujours pertinent, certes, Burton est toujours hanté par la mort, mais cette ligne directrice thématique n'est pas gage de qualité.

    Pour moi, Burton n'a pas survécu aux années 2000, et il en est le premier responsable. Ses collaboration permanentes avec Depp ont gâché leur talent mutuel en les enfermant dans une routine vraiment néfaste à la création. Les deux sont devenus profondément paresseux, et il est amusant de constater que le meilleur film de Burton lors de cette décennie (de très loin) est un film sans Johnny Depp (Big Fish). De même, Helena Bonham Carter (qui joue TOUT LE TEMPS le même rôle) a sa part de responsabilité.

    Mais ce que je supporte le moins, avec Burton, et ce qui me rend fou de rage, c'est qu'il a trahi son cinéma bric-à-brac fait de marionnettes et de maquillages. Son recours au 100% numérique (sur Sweeney Todd notamment) marque la mort de sa pâte esthétique si particulière. Ce révisionnisme artistique se retrouve jusque dans ses futurs projets, vu qu'il a apparemment refait son Frankenweenie. ça me fait exactement le même effet que George Lucas qui viole les premiers Star Wars. Je tremble en imaginant un remake de "Vincent" avec Johnny Depp dans le rôle du marmot.
    16 janvier 2019 Voir la discussion...
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