A la poursuite de demain : quel avenir pour notre âme d’enfant ?
Tomorrowland, ou A la poursuite de demain en français, est la dernière création originale de Disney. Dirigée par le talentueux Brad Bird - déjà réalisateur des Indestructibles, Ratatouille et avant ça du Géant de Fer - elle promet son lot d’aventures ébouriffantes à la sauce Disney, tout en se payant le luxe de n’être ni une suite, ni un film de super héros, ni une adaptation. Pas une adaptation de roman ou de jeu vidéo en tous cas, mais d'une attraction de Disneyland dont le film assume complètement le mercantilisme (ses personnages vont jusqu'à faire un petit tour dans une boutique geek remplie de produits Star Wars). Le rêve vendu par Disney à travers A la poursuite de demain n'est-il qu'un cauchemar de propagande marketing ou peut-on encore se laisser bercer, à l'image de l'héroïne optimiste du film, par cette magie qui en appelle à notre âme d'enfant ?
La mise en scène enlevée et parfaitement orchestrée de A la poursuite de demain est efficace mais, idéologiquement, le film a de quoi diviser. Aimer Disneyland - et être consommateur de produits Disney - facilite l'adhésion à Tomorrowland, équivalent cinématographique du parc d'attractions.
Mercantilisme et propagande
A la poursuite de demain raconte l’histoire de Casey Newton, jeune fille volontaire et indécrotable optimiste rêvant d’étoiles. Une sorte de Jodie Foster dans Contact qui aurait fusionné avec les petits garçons aventuriers des films des eighties, comme Les Goonies. Casey ne renonce jamais, destinée à sauver le monde de sa destruction. Pour cela, elle est aspirée dans un monde parallèle et futuriste - grâce à un pin's qu'elle trouve mystérieusement parmi ses affaires - telle une enfant attirée par le merveilleux parc Disney. Le début du film est à la gloire de Disneyland, puisque l’intrigue ne débute réellement qu'une fois entré, avec les personnages, dans It's a Small World. On ne sort jamais, finalement, de cette attraction à laquelle le film donne vie, tout en modernisant sa recette pour toucher les petits et les grands d'aujourd'hui. Détour par la boutique à l’effigie de l’univers Disney, idéologie élitiste qui semble assimiler les élus à des petits consommateurs/soldats de Disney, optimisme outré flirtant avec la niaiserie, final en forme d’explosion moralisatrice et hypocritement humaniste : tout cela, on peut le dénoncer et ne voir que les rouages de la machine Disney imposant son mercantilisme, son idéologie, son didactisme. On peut déceler, sous couvert d’action, d’aventure, de merveilleux, de féminisme et d’ode à l’imaginaire, une propagande insidieuse.
C’est bien ce que peuvent reprocher au film ses détracteurs, qui lui préféreront sans doute son alter-égo horrifique, sorti en 2013 mais dont le titre est curieusement similaire : Escape From Tomorrow (photos ci-dessus). Une version inquiétante de l’univers Disney, tournée à Disneyland et Disney World, sans autorisation. Disney n’étant pas très friand de mauvaises publicités, les membres de l'équipe du film sont entrés comme des visiteurs lambda, munis de leurs petits appareils de prise de vue. Il faut dire que le film de Randy Moore, expérimental et anxiogène, est peuplé de visions cauchemardesques en noir et blanc, à mesure que les clients du parc perdent leur santé mentale... Soyons honnêtes : la lecture méfiante et sans illusion que l'on peut avoir d'A la poursuite de demain n’est ni infondée, ni le résultat d'un délire interprétatif. Alors pourquoi, malgré ces possibles reproches, le film touche-t-il en plein coeur ?
Madeleine de Proust et terrain de jeux infini
Parce que A la poursuite de demain est probablement plus critique qu'il n'y parait, sauf que son anti-conformisme ne vient pas de là où on l’attendait. Il tient à son optimisme, qu'il pose en valeur cardinale alors que cette notion est considérée à notre époque comme bête, naïve ou dépassée. Dans ce contexte, comme l'a tweeté Brad Bird : "L'optimisme peut être un acte subversif. Touche le pin's". Il n’est plus le monopole des idéalistes béats, mais inspire aussi la combativité et la créativité.
Ca'mon. Optimism can be a subversive act. Touch the pin. TOMORROWLAND now playing. pic.twitter.com/XcG04s5GaO
— Brad Bird (@BradBirdA113) May 26, 2015
Pas si consensuel que ça A la poursuite de demain, qui aurait aussi pu s'appeler "A la poursuite d’hier". C'est une madeleine de Proust qui réactive notre émerveillement premier face aux parcs d’attractions, quand nous n’étions pas encore désenchantés, et diffuse l’essence des films d'aventures des années 80 qui ont bercé notre jeunesse au cinéma, en VHS ou en DVD.
Le film se conçoit comme un parcours ludique, jalonné de gadgets et d’idées visuelles faisant l'effet de montagnes russes. Il s’explore comme un terrain de jeux infini, une attraction cinématographique totale. En cela, c'est un voyage dans le temps que nous fait vivre Brad Bird. A la poursuite de demain ne propose rien de nouveau sous le soleil du blockbuster familial (un groupe d’élus est missionné pour combattre des méchants et rétablir l’ordre du monde dans une déflagration d'optimisme), sauf qu'il ne cherche pas l'originalité à tout prix mais d'abord à retrouver une saveur d'antan et à la remettre au goût du jour, dans un divertissement à grand spectacle. Il ne fait que nous rappeler, du début à la fin, sa parenté avec le monde de l'enfance, sa nostalgie d'un univers balisé d’actions et d’aventures où tout est possible. Un détonnant et savoureux mélange entre Les Goonies, Matrix, Terminator, avec une pincée de la série Doctor Who. C’est là que tout se joue pour le spectateur : être capable de faire fi de l'emprise presque despotique de Disney sur le film, des clichés et des bons sentiments, et se laisser porter par la magie d’une aventure grisante, hautement ludique. Car c’est bien à ça que touche le film : notre capacité d’enchantement au premier degré.
Tomorrowland, mon vieux pays natal
Les mauvaises langues prétendront que Disney nous vend un rêve aussi mensonger que cette pub qui trompe l'héroïne du film. On peut décider, en grand malin cynique, de ne pas se laisser berner, ou alors accepter d'y croire. Tout ça, c’est comme les fées : il faut y croire pour les voir. Il faut croire à Tomorrowland, pour que son incantation magique opère.
Finalement, le film divise selon le clivage qu'il met en scène : les rêveurs contre les cyniques, les optimistes contre les pessimistes. A la poursuite de demain n’est-il pas un documentaire bienveillant et optimiste sur l’entreprise et l'univers Disney, offrant un contrepoint au documentaire Disneyland, mon vieux pays natal ? Cette vision pimpante et enchantée de Disney a beau être discutable, elle fait la part belle à notre imaginaire d'enfant encore vierge de toute corruption. Si vous êtes prêts à déposer un peu de votre sens critique à l’entrée (voire une part de lucidité ?) et à réserver vos griefs contre l’empire Disney, vous pourrez voir en Tomorrowland, le temps d’une aventure étourdissante et d'un retour en enfance, votre vieux pays natal.
Surtout ça : "Il ne fait que nous rappeler, du début à la fin, sa parenté avec le monde de l'enfance, sa nostalgie d'un univers balisé d’actions et d’aventures où tout est possible."
Et ça : "Car c’est bien à ça que touche le film : notre capacité d’enchantement au premier degré."