Tucker & Dale : La preuve par 5 que Shaun of the Dead fait des petits
Cette semaine est sorti Tucker & Dale fightent le mal, sympathique comédie d'horreur qui taquine les codes du slasher en forêt tout en faisant l'amour au genre. La démarche n'est pas sans rappeler celle de Shaun of the Dead, d'ailleurs en sérieuse voie de cultisation. Le film d'Edgar Wright proposait en effet un modèle gagnant sur lequel Tucker & Dale est savamment calqué. Voyons donc en 5 point comment la première oeuvre d'Eli Craig descend en droite lignée de Shaun of the Dead.
Miser sur un duo dynamique
La marque de filiation la plus évidente entre Shaun of the Dead et Tucker & Dale, c'est qu'ils ont tous les deux pour personnages principaux un duo de potes. C'est peut-être un détail pour vous, mais en réalité c'est un point qui a son importance. En effet, si on jette un rapide coup d'oeil aux classiques du film d'horreur (au hasard : Massacre..., Vendredi 13, Halloween, Scream, La Nuit...), on se rend vite compte qu'ils mettent souvent en prise un individu seul ou un groupe d'individus face à un tueur ou à un groupe d'ennemis, qu'il s'agisse d'une armée de morts-vivants ou d'une famille de paysans nazis satanistes et consanguins. Les duos de potes, c'est quelque chose qui est plus traditionnellement utilisé comme moteur d'humour (les fameux buddy movies), et l'une des bonnes idées de Shaun of the Dead était justement de mettre cette mécanique imparable au service de son humour. Car, même si l'idée paraît évidente, le film d'Edgar Wright est pour ainsi dire la première comédie d'horreur à ajouter cet élément à la reprise des codes du genre pour susciter l'hilarité. En ce sens, on peut très raisonnablement arguer que si le couple Simon Pegg/Nick Frost n'existait pas, Eli Craig n'aurait pas forcément eu l'idée de créer celui qui est au centre de son film?
The Z word ! extrait de Shaun of the Dead
Saupoudrer de romance
Les mauvaises comédies et les mauvais films d'horreur partagent parfois la même tare : ils oublient de donner du corps à leurs personnages, de les humaniser, de nous les rendre sympathiques. Or, si un personnage est creux, on ne sent pas concerné par ses aventures, on n'est pas impliqué, on se fout de ce qui lui arrive ; ni le rire ni le frisson ne peuvent s'installer, et le film est raté. C'est pourtant pas bien compliqué à faire, nom de dieu. Simon Pegg et Edgar Wrigt ne se sont pas pris la tête sur la question pendant une éternité, et ont vite compris qu'il n'y avait rien de tel qu'une jeune fille blonde et mignonne pour illuminer le coeur d'un personnage et pousser le premier venu à s'y identifier. D'autant que, au passage, cet outil (où ça une femme-objet ?) permet de tracer les grandes lignes d'un scénario. Une fois encore, la comparaison est frappante puisque, tout comme son modèle, Eli Craig traite sa romance avec humour mais sans jamais la tourner en dérision, et les rapports qu'entretiennent ses tourtereaux sont toujours plus attendrissants que ridicules. Et dans les deux cas, ça marche assez bien.
Le maître de la drague extrait de Tucker & Dale fightent le mal
Etre plus geek que teen
En humour, pour que la mayonnaise prenne, il faut que le ton soit de qualité. Notamment, la question primordiale à se poser est : à qui m'adressé-je ? Dans le cas de Scary Movie, par exemple, la cible qui se lit à travers les références exploitées dans les gags n'est pas le cinéphile averti et amateur de vieilleries, mais le grand ado ou le jeune adulte qui consomme le cinéma de son époque sans s'intéresser au reste. Une preuve ? Facile. Le film d'horreur le plus ancien auquel Scary Movie fait référence ne le précède que de 4 ans (il s'agit de Scream). Côté blagues, ça parle de bites, de cul, d'alcool et défonce. Mais, plus que tout, il s'agit pour Wayans de ridiculiser un genre qu'il ne respecte pas, plus que de lui rendre hommage. Le célèbre critique américain Roger Ebert décrivait d'ailleurs à sa sortie le film comme une « attaque satirique du slasher », et c'est bien ce dont il est question. C'est d'ailleurs aussi probablement la raison pour laquelle Scary Movie est un énorme succès publique alors que Shaun of the Dead bénéficie d'une renommée et d'une réputation d'une échelle bien plus réduite. Quoiqu'il en soit, si Tucker & Dale a du faire un choix, il a clairement préféré se ranger du côté des aficionados de bons vieux films d'horreur qu'on se repasse en boucle encore et encore et qu'on regarde toujours avec un plaisir renouvelé plutôt que de celui des adolescents qui rient de tous les codes pour peu qu'ils aient plus de 10 ans d'âge?
College kids! extrait de Tucker & Dale fightent le mal
Avoir un pied dans les 2 genres
Si Scream est un film d'horreur plein de second degré sans être à proprement parler une comédie et que Scary Movie est une comédie sur l'horreur sans être un film d'horreur à proprement parler, Shaun of the Dead parvient étrangement à être à la fois un vrai film de zombies et une vraie comédie. Après tout, la structure stricte des films de genre qui l'inspirent est respectée, les zombies se comportent (à peu près) comme sont censés les faire des bons zombies normaux, et les seuls éléments de discordance comiques ne résident que dans le comportement des personnages principaux. Or, c'est la même chose qui se produit dans Tucker et Dale. La source de l'humour est identique : 2 personnages normaux, auquel le spectateur s'identifie, sont aux prises avec un groupe de personnages directement issus d'une logique traditionnelle de film d'horreur (le groupe de jeunes, qui fuient avant de tenter une contre-attaque pour "sauver" leur amie). La logique du LOL qui régit les mécanismes de Tucker et Dale est donc directement inspirée de celle qui faisait tourner la machine Shaun of the Dead...
He's got an arm off ! extrait de Shaun of the Dead
Faire preuve d'originalité
Shaun of the Dead, c'est tout de même un film qui compte parmi ses fans Stephen King, George Romero et Quentin Tarantino (et Eli Craig, mais pour l'instant ça n'est pas aussi prestigieux). Comment s'attirer tant de louanges ? Avec un minimum de talent bien sûr, mais aussi en se démarquant de la masse avec originalité. Edgar Wright a ainsi été un des premiers à se faire la voix de l'humour ultra-référentiel et potache des geeks de salon, censés se reconnaître dans la figure d'un Simon Pegg affalé sur son divan à jouer aux jeux vidéos. On pourrait croire que Tucker et Dale, de par sa ressemblance avec Shaun of the Dead, est dénué de ce facteur originalité qui peut être un gage de qualité. En réalité, l'affaire est légèrement plus complexe, puisqu'en réalité la manière qu'il a de se placer du côté des ""tueurs"" (notez les doubles guillemets) a quelque chose d'assez inédit, et que le film se permet même le luxe de jouer avec ses propres codes tous neufs dans sa dernière partie. Eli Craig, en petit futé, tente donc de prouver à sa manière sa volonté de ne pas rester continuellement dans l'ombre de Shaun of the Dead? Même si, comme on le montre ici, il ne s'y prend pas forcément très bien.
Interrogatoire policier extrait de Tucker & Dale fightent le mal
Lors d'une interview donnée à Complex.com, Eli Craig annonçait sans surprise que sa comédie d'horreur favorite était Shaun of the Dead. On pourra alors au moins lui reconnaître une certaine bonne foi, même s'il aurait été absurde de nier une telle évidence. Mais au final, ce que nous apprend surtout Tucker et Dale, c'est que le statut de Shaun of the Dead se fait de plus en plus fort. Petit succès commercial à sa sortie, on découvre à travers ce premier émule une confirmation forte de ce que les fans pressentaient déjà : le film d'Edgar Wright est en train de devenir culte, et le fait qu'il inspire d'ores et déjà d'autres artistes en est la preuve. Zombieland pouvait déjà lui être rattaché, mais la ressemblance y était moins frappante que dans la comparaison qui nous intéresse aujourd'hui. Reste maintenant à espérer que l'influence de Shaun of the Dead ne soit pas trop étouffante pour la créativité des prochains réalisateurs qui souhaiteraient se lancer dans la comédie d'horreur.
Source : Complex | Image : ©Magnolia Pictures