on the road (again)

Walk Away Renée, road movie dans la psyché américaine

Dossier | Par Hugues Derolez | Le 3 mai 2012 à 16h35

Huit ans après Tarnation, le journal filmé que tenait Jonathan Caouette depuis sa plus tendre enfance, le cinéaste revient avec Walk Away Renée. Il s'intéresse à nouveau aux troubles psychiques qui affligent sa mère dans un road movie radieux et inquiétant.

Portrait d'une famille américaine

Jonathan Caouette instaure l'intime, et le paradigme du film de famille, comme ébauche d'un portrait de l'Amérique de son époque. Dans son premier long-métrage, nous découvrions l'audace d'un homme qui a passé sa vie à se filmer, comme pour se protéger des traumatismes du quotidien, entre super 8 et numérique, disputes, déclamations et confessions face caméra. Trente ans de souvenirs, comme une vie charcutée au montage, une mise en exergue des difficultés familiales et de leur inéluctable pendant : un amour inconditionnel des uns pour les autres.

Dans ce second film, Jonathan Caouette retravaille la destinée familiale, celle de sa mère également, superbe jeune femme traitée pour dépression à grands coups d'électrochocs, et ruinée mentalement depuis. Il s'attarde aussi sur ses grands-parents, qui se sont occupés de lui du mieux qu'ils ont pu, et sur l'avenir de cette famille, représenté par son jeune fils adolescent. Le réalisateur ne triture plus l'image protéiforme du passé mais essaie de sauvegarder au mieux celle du présent, en l'homogénéisant, en en conservant une trace en la filmant. Quelques jours de la vie de ce jeune homme qui a maintenant bien grandi alors qu'il doit encore une fois conduire sa mère d'un hôpital psychiatrique à un autre, espérant un repos qui ne viendra pas. Nous traversons à leurs côtés les pluvieux paysages américains. Cette histoire de fils prêt à tout pour sauver sa mère abîmée se rapproche d'un tableau de l'Amérique elle-même, brisée, mais soutenue par le courage de ses enfants. Comme un road movie qui n'arriverait plus à avancer.


Conversation dans la voiture, extrait de Walk away Renée

Sauvegarder la vie, en conserver une trace

Vivre et filmer semble alors se confondre, le second étant dans la continuation du premier, mêmes gestes, même pulsion de vie. Si on sent Jonathan Caouette plus enragé que jamais face au mur que représente l'institution américaine (et le peu d'aide et de soutien qu'il trouvera) nous comprenons qu'il escompte faire de Walk Away Renée plus qu'un simple film à message. Excroissance de sa mémoire, la matière filmique, son quotidien, ses proches, sont offerts en offrande aux spectateurs avec une incroyable vaillance. Comme un moyen d'enregistrer les souvenirs, de les maintenir en vie.

Les régimes d'images se confondent, le format se réduit, pour capter l'instant, le détail, livrer une autobiographie d'une acuité confondante, émouvante parce qu'elle déborde de tendresse et d'abnégation. La narration se déploie et le fil du film s'installe sur cette mince et insondable frontière qui sépare la réalité de la fiction, le documentaire de la confession, la subjectivité de l'universel. En nous racontant une petite part de sa vie, Jonathan Caouette nous permet d'en découvrir le sens, le chemin et les turpitudes. Si a pris de l'âge depuis Tarnation le réalisateur n'a pas tellement changé : il s'agit toujours d'un jeune garçon romanesque et affectueux, qui se débat pour survivre et protéger les siens face à la folie d'un système qui menace de nous broyer à chaque instant.


Jonathan age 11, extrait de Tarnation

Le film s'interroge : qui filme, et par là même qui vit ? Si Jonathan Caouette apparaissait face caméra pour nous livrer ses réflexions et son ressentiment dans Tarnation, il n'est plus celui qui tient la caméra dans Walk Away Renée, même s'il est toujours au centre de l'attention. De là, nous pouvons nous interroger : qui tient la caméra ? Est-ce son compagnon, son fils, un tiers qui nous serait inconnu ? En deux films seulement le jeune réalisateur aura donc créé une continuité, et promis la transmission de son dispositif à d'autres. Plus encore que son nom et son visage, quelque chose de sa démarche perdurera peut-être. S'il n'est pas le premier cinéaste a consacrer sa carrière à l'autobiographie, Jonathan Caouette en propose une perspective intéressante, à l'image de ce décrochage, entre souvenir et fantasme, irréelle séquence où le réalisateur se souvient de la vie qu'il aurait pu avoir avec sa mère si les circonstances leur avaient été plus favorables. La fiction devient alors le prolongement de l'autobiographie, un rêve, un refuge ; et finalement une part de la vie comme une autre.

Image : © UFO Distribution

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