La Planète des Singes et autres origines... le prequel a la banane !
La Planète des singes : les origines s'inscrit dans une tendance de plus en plus courante à Hollywood consistant à s'intéresser à ce qui a précédé. Il ne s'agit en effet pas d'un remake ou d'une suite, mais d'un prequel (ou une préquelle) aux précédentes adaptations du livre de Pierre Boulle. Ces dernières années ont de nombreuses fois été l'occasion d'un retour aux sources : Batman Begins, X-Men : Le Commencement, Hannibal Lecter : Les Origines du Mal, sans oublier la nouvelle trilogie Star Wars ou encore Casino Royale. Alors pourquoi cet appétit insatiable pour les prequels ?
Origines de quoi ?
Pour qu'il y ait origine il faut qu'il y ait saga, mais dans le cas de La Planète des Singes, on ne sait plus trop où donner de la tête. Petit point simiesque :
Le premier film date de 1968 avec La Planète des Singes de Franklin J.Schaffner, porté par le charismatique Charlton Heston. S'ensuivra une série de suites à un rythme très régulier dont la dernière sera La Bataille de la Planète des Singes en 1973, puis c'est le black out. Lessivée par cinq films aux qualités très discutables l'histoire originelle est oubliée pendant un peu plus de trente ans et son réveil ne sera pas fameux. En 2001, Tim Burton dépoussière la saga dans La Planète des Singes mais le film n'insuffle aucune nouveauté à l'original et se perd dans un discours évolutionniste et pseudo-religieux très barbant. Comble du mauvais goût, la relation quasi zoophilique entre l'homme et le singe. De plus, le film ne donne que peu de nouveautés formelles à la version de 68 et le public renie très vite cet accident de parcours. Reste donc la question essentielle : qui attend ce nouvel opus ?
Vendre les origines
La création d'une mythologie fictive joue très subtilement sur le pacte noué dans les salles obscures entre le public et le film. Si rien n'est vrai de Batman à James Bond, le public se nourrit d'un culte pour les personnages qui dépasse largement l'expérience vécue dans la salle. Ainsi, lorsque la suite d'épisodes essouffle plus qu'elle n'abreuve la passion des foules, le retour en arrière devient l'occasion de redonner de la profondeur à une histoire en perte d'inspiration, comme c'est le cas pour La Planète des Singes : Les Origines et consoeurs. Échanger Pierce Brosnan contre Daniel Craig, oublier Georges Clooney pour Christian Bale, donner une nouvelle jeunesse à Anthony Hopkins, tout cela est rendu possible par le commencement, car quoi de plus arrangeant qu'un petit retour dans le temps pour rafraîchir son casting ? Le prequel arrive ainsi souvent "à point" scénaristiquement parlant : Casino Royale était la promesse de faire table rase du passé et de Pierce Brosnan dont les aventures prenaient des airs de surenchères technologiques complètement surréalistes. Mais le retour dans le passé du mythe vient aussi poser de nouveaux problèmes.
Le prequel appartient tout d'abord à plusieurs temporalités. Car le but non dissimulé est bien d'attirer à nouveau l'attention sur un mythe. Et cet intérêt passe aussi par une remise à jour intensive : James Bond dans Casino Royale évolue déjà avec des gadgets derniers cris qui feraient rougir le professionnalisme de Bond aka Sean Connery des années 70 (alors que le film est sensé se passer avant). Batman Begins se situe dans une ville moderne qui fait plus penser à nos mégalopoles contemporaines qu'au Gotham City de Tim Burton. Ces films se réclamant de "commencement' sont ainsi de façon paradoxale à la fois des assises aux mythes et des ruptures avec leurs modèles. Des ruptures temporelles qui s'allient aussi avec des libertés scénaristiques. Car quoi de plus créatif que la construction d'une histoire qui n'existe pas ?
Les origines font appel à deux niveaux de construction du film. Tout d'abord d'un point de vue diégétique il s'agit de construire la genèse d'un mythe, de donner les raisons de la transformation des personnages en héros, ou bien les facteurs historiques ou scientifiques de l'occurrence d'un monde parallèle au notre. Le deuxième niveau de lecture touche au métaphysique par une réelle interrogation morale et philosophique. Le héros d'une saga n'échappe ainsi pas à ce questionnement originel : serais-je le Bien ou le Mal ? Et chaque action, chaque plan, chaque couleur et ambiance du film ne seront dictés que par ces intentions. Dans ce cadre, on n'échappe pas à une vision manichéenne, car l'enjeu du film est de capter les hésitations du héros et son cheminement vers ce qu'il deviendra. Batman Begins offrait enfin au héros ailé un début digne de ce nom, avec en toile de fond le côté "sensible" du super-héros de par sa jeunesse marquée par la mort de ses parents et aussi marquée par le traumatisme des chauves-souris, ce qui va le pousser à prendre cette forme pour inspirer la peur. Car ce que le public attend également du prequel est de voir la face cachée du ou des héros. On attend le moment qui fait basculer l'homme ordinaire, ce petit déclic qui nous fait penser "ah d'accord !". Le retour aux sources redonne ainsi aux (super) héros une qualité essentielle qui les rapproche de nous : l'humanité. Ce moment de faiblesse dévoilée, c'est l'adhésion totale. Ce n'est donc pas une coïncidence s'il est souvent question d'enfance, comme dans le tête à tête des jeunes mutants de X-Men : Le Commencement où l'on comprend que l'innocence se termine la où commence la prise de conscience. La plupart des personnages ont ainsi un passé qui à la fois les coupe de l'humanité et les en rapproche.
Who are you? extrait de X-Men: Le Commencement
Casser pour mieux rebâtir
Le prequel permet ainsi, par la déconstruction du mythe, de mieux pouvoir le rebâtir et également le légitimer. Il apporte en plus une satisfaction à notre esprit cartésien qui souhaite toujours donner une explication rationnelle aux choses, et permet ainsi de se débarrasser de toutes interrogations pour pouvoir adhérer complètement aux personnages. Mais par ce processus de remise à neuf et donc d'oubli de l'original, le prequel ne marque t-il pas en fait la fin de la saga ? Car revenir aux origines après une longue suite d'épisodes apparaît presque comme un point final qui permet ensuite à la série de films de fonctionner en parfaite autonomie. Le prequel est donc paradoxalement aussi la fin d'une longue histoire.
A contrario, la pratique suscite aussi de nouvelles vocations et ce qui s'annonce comme le point final d'un cycle se transforme parfois en boulimie filmique : X-Men le Commencement est pour l'instant annoncé sur trois films et Batman Begins devient le prequel de la propre saga de Christopher Nolan avec les deux épisodes suivants : The Dark Knight et The Dark Knight Rises. Alors faut-il savoir dire adieux à nos sagas ?
L'apéro du néophyte et le dessert des aficionados
En attendant ce déchirement, le prequel est aussi une affaire juteuse permettant de jouer sur deux tableaux : les fans de la saga et les novices. La promotion de ce genre de film prend alors soin de travailler une accroche à la fois suggestive et référentielle. La Planète des singes : les origines est gratifié d'un sentencieux « La révolution commence » tandis que X-Men: Le Commencement du très original « Découvrez les origines de la saga ». Car le prequel, loin de de cultiver une notoriété réduite, tente en fait de convertir le public le plus large possible à une légende en créant une mythologie fictive qui remet tout le monde sur un pied d'égalité face aux personnages ou à leurs aventures passées. Un film comme Star Wars : La Menace Fantôme permet ainsi (sur le papier) de fédérer plusieurs générations. On pourra alors s'interroger sur le risque de décevoir les fans et se demander à l'inverse si la nouvelle trilogie a réellement pu relancer l'engouement chez le jeune public pour l'originale datant de plus de 20 ans, mais ces questions sont vite balayées par les revenus pharamineux des trois récents opus et des rééditions DVD.
Car l'intérêt financier n'est évidemment pas étranger à cette pratique qui permet d'appâter un public déjà conquis par le passé. Peter Jackson revient ainsi sur le plus gros succès de sa carrière en adaptant dix ans plus tard un autre livre de Tolkien : Bilbo Le Hobbit (qui constitue un prequel pré-existant), qui sera rejoint par un casting pratiquement similaire au Seigneur des Anneaux. Double satisfaction pour le public donc, celle de retrouver la Contée avec ses petits habitants et celle de retrouver les acteurs qui incarnaient la communauté : Elijah Wood, Cate Blanchett ou Orlando Bloom. Un projet déjà annoncé comme délicieusement bankable.
On n'oubliera pas toutefois de rendre hommages à quelques échecs du genre qui ne fait pas de l'or de tout ce qu'il touche, preuve à l'appui avec Massacre à la Tronçonneuse : Le Commencement (c'est vrai finalement elle vient d'où cette tronçonneuse ?) et de Ring Zero (avant le puits, il y avait la vie), sans oublier le catastrophique Hannibal Lecter : les Origines du Mal qui à force de vouloir ancrer son récit dans la grande histoire nous fait complètement décrocher de la sienne.
Le Livre des aventures de Bilbo : l'ouverture au prequel extrait de Le Seigneur des anneaux : la communauté de l'anneau
Verdict de laboratoire
Au milieu de tout cela La Planète des singes se présente comme un produit très convaincant, tant par sa performance graphique (les singes sont saisissants de réalisme) que par son subtile mélange d'humeurs et de tons. Ainsi, si la jeunesse du singe et son intégration au sein d'une famille humaine ne manquera pas de réveiller l'émotivité de certains, le film nous guide assez vite vers la suite dans un rythme trépidant, sans jamais faire perdre de temps au mouvement du film. Un mouvement animal, qui fait fi des quelques égarements du scénario dans des histoires humaines sans grand intérêt (désolée pour le couple Franco/Pinto) pour se focaliser sur la naissance du groupe et sur la lutte contre l'Homme. Lutte d'autant plus éprouvante qu'elle paraît inégale. On retire ainsi de ce film une satisfaction assez caractéristique du prequel : celle d'avoir trouvé ce que l'on était venu chercher.
On retiendra finalement que La Planète des singes : les origines est le prequel par excellence puisqu'il fait se rencontrer les enjeux dramatiques et économiques d'une saga bien rodée avec les questionnements scientifiques et métaphysiques qui nous travaillent tous. Entre réécriture de la théorie de l'évolution et inspection des mythes fondateurs, cette planète des singes là ne travaille qu'à une chose : nous ramener aux origines.
Effectivement erratum : il s'agit bien de cinq films qui lessivent, avant l'adaptation de Burton, le mythe de Boulle. Mais j'abats un joker en invoquant la série télévisée qui fait également office d'adaptation :) Je plaisante...
Bref, pour le deuxième point, nous sommes bien d'accord que Burton a fait un reboot du premier opus. Ensuite pour La Planète des singes:les origines il s'agit d'un prequel dans le sens où les singes sont en encore non doués de paroles, ni même d'une intelligence spéciale. César, qui reste physiquement un VRAI chimpanzé, est le point de départ et tout le film consiste à partir de lui pour expliquer la mise en place du groupe de résistance. De plus, le film explique tout de même ce que nous ne savions pas, à savoir : qu'est ce qui a provoqué l'extinction de la race humaine ou du moins sa raréfaction (= le virus du laboratoire). En ce sens je me permets de penser que la naissance de Caesar est antérieure à tout événement.
Cet article vise avant tout à étudier justement ce processus de prequel qui, nous le voyons avec différents exemples, n'est ni une forme parfaite, ni complète. Ainsi, Casino Royale ou Batman Begins, peuvent dans un sens je le conçois, ne pas être vus comme prequel puisqu'ils se passent à une autre époque que les épisodes initiaux.
Cependant en offrant "une" genèse du mythe ces films ont gagné cette appellation de prequel.
La planète des singes joue subtilement de cette question en insérant un UNIQUE plan qui permet de "dater" l'action = ce plan sur la fusée qui décolle pour un vol habité vers Mars (ce qui ne correspond à aucune temporalité connue et donc la liberté est totale!).
L'article développe ainsi le dernier intérêt du prequel qui est de RE-fidéliser les foules à un mythe d'une génération antérieure. Dans le cas de La Planète des singes, il y a tout de même des connaisseurs, comme toi Elan, mais il ne faut pas oublier que le premier film date d'il y a 40 ans et, après le fiasco du reboot de Burton, l'histoire méritait une belle mise à jour, que tu as, j'espère, apprécié !
On a un peu tendance à l'oublier, mais le premier "Superman" de Richard Donner et le "Batman" de Tim Burton font un peu office de "reboot" en parlant des origines de leur personnage... pour que celui-ci soit en fasse avec leur époque : avant les opus de Donner et de Burton, les franchises existaient déjà (les séries avec Georges Reeves dans un cas, celle avec Adam West et Burt Ward dans l'autre) et les "origin movies" de Donner et Burton peuvent donc être perçu comme de simple "reboot" pour une nouvelle saga/franchise.
Le seul changement, c'est que ce soit un peu généralisée : le casting de George Lazenby, Roger Moore et Timothy Dalton (voire même Pierce Brosnan) s'inscrivent dans une continuité plus ou moins suivi (Sean Connery revient se venger de Blofeld.... suite à ses méfaits dans l'opus précédent où Bond était incarné par Lazenby, durant la période de Roger Moore on fait mention des événements de la période Connery/Lazenby, et chez Dalton, les personnages emblématiques se voyaient tués sans doute dans l'optique de partir sur de nouvelles bases) alors qu'avec Daniel Craig, on s'est juste "contentés" de redémarrer à zéro. Il en est de même pour Star Trek, il y a encore dix ans, l'opus de Abrams aurait tenté de se renouer avec la mythologie des 5 séries.
(désolé pour ma réponse tardive).
Effectivement je n'ai rien à redire sur l'analyse de la préquel en tant que procédé.
Je ne comprends simplement pas, concernant la PDS : les origines, où elle vient se rattacher. Vraiment pas. Il y a deux possibilités, PDS : les origines se substitue aux 3,4 et 5 ou vient maladroitement se caler en prequel du reboot de Burton.