Les ciné-concerts, mode ou véritable avenir pour la musique de film ?
Le ciné-concert, c'est un concert de musique de film, accompagnée des images du film diffusées à l’écran en même temps : on est donc ici dans une forme de spectacle hybride, ni tout à fait cinéma, ni tout à fait concert. Une hybridation qui a de plus en plus de succès auprès du public, comme en témoigne l’explosion de ces événements dont les places s'écoulent à vitesse grand V. Sur les prochains mois, le public français aura ainsi le choix entre Retour vers le futur, Titanic, Le Parrain et Pirates des Caraïbes en ciné-concerts. Un phénomène, mais aussi une nouvelle source de revenus pour les ayant-droits, afin de compenser en partie les pertes conséquentes au piratage.
Il fut un temps le ciné-concert n'existait quasiment pas. Cette appellation concernait alors principalement quelques films muets diffusés en salles, accompagnés d'une musique jouée en direct devant les spectateurs. Le plus souvent il s'agissait de films de Charlie Chaplin période Charlot, quand ce n'était pas Nosferatu et L'Aurore de Murnau ou Dracula de Tod Browning. Des projections qui permettaient notamment à nos chères têtes blondes de se familiariser au cinéma et à son rapport à la musique... Aujourd’hui, ce terme s’est élargi à tout spectacle scénique mêlant la musique d'un film et ses images projetées en même temps sur grand écran. Et de la même manière que les comédies musicales se multiplient depuis des années (même Roman Polanski s'y est mis avec avec son adaptation du Bal des Vampires), il semble y avoir un nouveau ciné-concert chaque semaine. On a donc pu voir et entendre ces dernières années des ciné-concerts consacrés à Star Wars, Matrix (un petit aperçu ici), Gladiator (ce qui donne ça), ou bien encore Le Seigneur des Anneaux (exemple là). Et ce n'était que le début.
No Céline Dion ? No problem !
Ce phénomène en pleine expansion permet de mettre en avant la musique, parent pauvre du cinéma et élément bien trop ignoré par le grand public. Même si ce dernier peut avoir tendance à associer un film à sa musique pour de mauvaises raisons. On ne va pas se mentir : un paquet de gens qui iront assister au concert de Titanic espère secrètement voir Céline Dion débarquer sur scène dans sa plus belle robe satinée pour hurler « You’re heeeeeeere ! There’s nothing I feeeeeeaaaar !!! ». Certes, la chanson a elle aussi été composée par James Horner, mais ce fameux grand public a parfois tendance à oublier la grande qualité de la composition du musicien, toute noyée qu'elle est par la tornade venue du Québec. On peut également penser que nombre de spectateurs qui iront assister au concert de la trilogie Retour vers le futur attendront vainement le fameux tube de Huey Lewis & The News, Power of Love, alors que le thème d'Alan Silvestri est désormais lui aussi passé à la postérité, mais si ce type de concerts peut permettre de faire découvrir la richesse d'une bande originale trop souvent oubliée, ce sera déjà ça de gagné. ... Et là n'est pas l'essentiel. Ces spectacles vivants sont avant tout l'occasion pour les spectateurs de vivre ensemble une sorte de grand-messe, de se replonger pleinement dans l'univers des films qu'ils aiment tant. Une messe durant laquelle les fans d'une même œuvre peuvent enfin fredonner à tue-tête les morceaux phares d'une BO. Et le thème de Star Wars entièrement interprété à la bouche par 10 000 personnes, ça vaut son pesant de Jawas.
Un spectacle son et lumière et Kleenex
Ces ciné-concerts sont aussi et surtout l'occasion pour les fans de décupler l'émotion ressentie à l'écoute ou à la vision d'un film. Et pour tout bon cinéphile qui se respecte, donc qui sait également écouter un film en plus de le regarder, c'est une sacrée expérience. Imaginez le tourbillon d'émotions ressenti en 2002 pendant le concert événement fêtant les 20 ans d'E.T. l'extra-terreste. Redécouvrir la séquence finale du film de Spielberg sur grand écran, accompagnée de sa musique dirigée en direct par John Williams en personne au pupitre, c'est la garantie de se retrouver la gorge nouée et les yeux baignés de larmes. Evidemment, ces ciné-concerts sont couteux. Logique de les voir se focaliser sur des gros succès du box-office, aux thèmes musicaux aisément reconnaissables, afin de s'assurer des salles pleines au maximum. Alors ayons toutes et tous une petite pensée pour ces pauvres musiciens que l'on obligera dès janvier 2016 à jouer la musique de Pirates des Caraïbes: la Malédiction du Black Pearl signée Hans Zimmer (un peu) et Klaus Badelt (beaucoup).
Un peu d'hommages, avant le dessert ?
Pour aller au-delà du ciné-concert stricto sensu, il faut également mentionner ces concerts de musique de film consacrés à des compositeurs stars, et qui ont eux aussi tendance à se multiplier. On ne compte plus les concerts en hommage à John Williams (qui se porte encore très bien), Ennio Morricone, Nino Rota ou bien Maurice Jarre. Sont également prévus à la rentrée 2015 un concert autour de l'œuvre d'Alexandre Desplat (le nouveau compositeur star d'Hollywood, oscarisé pour The Grand Budapest Hotel, et fleuron national), ainsi qu'un concert événement consacré à la collaboration entre Tim Burton et son compositeur attitré (excepté sur deux films) Danny Elfman qui se tiendra à la rentrée 2015 au Grand Rex. Concert qui s'est déjà tenu en octobre 2013 au Royal Albert Hall de Londres, et qui fut l'une des plus belles expériences vécues par l'auteur de ces lignes (voir Elfman chanter sur scène - oui, chanter - L'Etrange Noël de Monsieur Jack, ça n'a pas de prix).
Plus globalement, comme l'a souligné le sociologue en cinéma Emmanuel Ethis dans un entretien accordé en juin 2014 au Figaro, ce nouvel attrait du public pour les ciné-concerts montre une volonté de « réinventer le désir d'aller en salle. Face à la numérisation massive des cinémas qui homogénéise la programmation, les exploitants recherchent des événements qui ne se produisent qu'à un moment donné et uniquement dans leurs salles ». C'est également un moyen de renflouer les caisses, que de faire venir des foules entières prêtes à consommer du film et de la musique, alors que le piratage augmente et que les industries du disque et de la vidéo s'effondrent. Mais restons mélomanes et positifs, en se focalisant sur le fait que ces ciné-concerts sont aussi et avant tout une façon de mettre en avant un art aujourd'hui totalement laissé pour compte dans le milieu cinématographique. Et ce, alors que les budgets alloués à la musique de film dans le cinéma français ne cessent de baisser et que les conditions de travail des compositeurs hexagonaux se détériorent de plus en plus.
Je pense sincèrement que ce serait une bonne chose que ces événements se multiplient. Ce serait l'occasion de présenter le cinéma autrement, reconquérir des spectateurs (la salle était comble) attirer un public plus âgé et même faire découvrir l'opéra aux plus jeunes. Par contre je me pose la question, d'un point de vue financier, à qui cela profite ?
En tout cas super article @Flol ! ;)
Déjà que j'ai failli chialer en voyant Elfman à 3 mètres de moi...