Comment se fait-on une toile dans les différents pays du monde ?
Une séance de cinéma en France, ça se passe a peu près toujours de la même manière. Les spectateurs payent en moyenne 6,40 € leur ticket (le double pour un film en 3D et dans un multiplexe). Pendant la projection, certains rient à gorge déployée en s'enfilant popcorn sur popcorn, n'en déplaise aux puristes assis devant eux, qui pensent très fort : « encore une fois et je me retourne ! ». Lorsque le générique de fin apparaît, les gens sortent en silence et débriefent le film devant l'entrée du cinéma, entre deux bouffées de cigarettes... La France aime l'art qu'elle a vu naitre et elle le chérit. Les spectateurs français, lors d'une séance, sont donc majoritairement dans une relation assez respectueuse avec l'oeuvre qu'ils découvrent (oui, ce n'est pas toujours le cas, on le sait). Mais qu'en est-il du reste du monde ? Comment se passe une séance de cinéma en Inde ? Au Brésil ? En Algérie ? En Corée du Sud ? Nous avons recueilli plus d'une vingtaine de témoignages de résidents, étrangers ou expatriés, et de voyageurs, et nous les avons réunis sur cette carte interactive.
L'Europe et le cinéma : l'union sacrée
S'il est très difficile, voire impossible, de constituer une base de données complète sur les statistiques de la cinéphilie mondiale (ce qui n'empêche pas notre carte ci-dessus de donner une idée de la place accordée au cinéma dans certains pays), les témoignages collectés permettent de prendre la mesure des différences entre les pays quant au déroulement d'une séance. Dans ce domaine, les disparités sont davantage continentales que nationales. Mimétisme européen oblige, nos voisins n'ont pas des habitudes très éloignées des nôtres. En Irlande, par exemple, c'est même sensiblement la même chose, sauf que « tu n'as pas le mec avec sa pioche et ces cibles au début du film » déclare Steph, producteur et DJ de métier, qui a longtemps vécu à Dublin.
En Espagne, la tendance générale est au doublage. « Sur 5 salles à Séville, une seule fait de la VOST » nous dit Simon, cinéphile aux cheveux bouclés. « Imagine Nymphomaniac en espagnol... c'est quand même beaucoup moins sexy ». Au Portugal, voisin ibérique, les cinémas ont intégré un « entracte pour tous les films » affirme Alexandre, journaliste aux origines portugaises. S'il s'agit d'une incitation à consommer davantage de friandises, celle-ci reste dérisoire par rapport au continent nord-américain où la bouffe est une religion. « À Austin, au Texas, dans certains cinémas, ça se passe comme dans un restaurant : on peut commander à manger et à boire pendant le film » déclare Jasmine, originaire de cette région. Elle rajoute même qu'il y a, avant le film, « un petit spot animé qui met en scène de la nourriture, des boissons, du popcorn... juste pour donner envie ». Le cinéma paraît au final intégré à un système de consommation généralisé. Adèle, une Sarthoise qui a vécu à Atlanta, confirme : « la majorité des spectateurs achète de la nourriture avant le film, mais vraiment beaucoup ! ».
Le Septième Art, un festin à célébrer ?
Cette habitude semble avoir contaminé tout le continent. Descendons jusqu'à Guadalajara, au Mexique, où Johan, un étudiant breton de 21 ans, a séjourné 1 an : « Il faut savoir que les Mexicains ont un gros problème avec la bouffe, ils mangent tout le temps ! Et ce n'est pas le fait d'être au cinéma qui va les changer ». Et à cet intérêt prononcé pour la nourriture s'ajoute un comportement général qui, au fond, n'est pas bien éloigné de ce qu'on pourrait trouver à Paris lors d'une projection des Profs 2 : « Les Mexicains aiment bien tout commenter devant un film, ce qui n'est pas forcément évident à gérer quand tu invites une mexicaine au cinéma... » ajoute Johan, dragueur. Les Brésiliens ne sont pas en reste, comme le confie Murilo, journaliste brésilien passé par la France : « Les gens ont l'habitude de parler, de faire des réflexions à voix haute du genre « je pense que quelque chose de terrible va arriver à ce personnage ! ». Ils anticipent les actions, et ils donnent également leur avis, en disant s'ils aiment ou pas, ou s'il y a quelque chose qui les dérange. ». Un film n'est pas partout une œuvre que l'on regarde passivement. Cela peut même donner lieu à davantage qu'une séance de cinéma au sens strict. Encore une fois, tout est question de culture : « Une chose m'a marqué une fois, à la fin d'un film brésilien, un très bon film. Pendant le générique de fin, il y avait une chanson, et les gens ont commencé à danser dans la salle. Même moi je me suis pris au jeu, et la salle de cinéma est devenue le lieu d'une grande fête ».
Le spectacle à l'écran et dans la salle, c'est aussi caractéristique de l'Inde. Jocelyn, enseignant-chercheur et voyageur, nous raconte son expérience : « J'ai assisté en 2005, à Jaïpur, à l'avant-première de Black, un film bollywoodien qui faisait événement à l'époque. Dès les premières images, j'ai été frappé par le contraste saisissant entre ce qui était sur l’écran et ce qui se passait dans la salle. A l’écran, un mélodrame des plus tire-larmes, esthétiquement travaillé et plutôt abouti. Dans la salle, des gens qui rient, qui discutent, qui mangent. Alors que le seul accessoire digne du film semblait être un paquet de mouchoirs, on voyait circuler dans la salle des beignets en tous genres, on entendait des cris, des plus stridents aux plus étouffés. C'était un joyeux bordel ! ». Une preuve supplémentaire que la conception du cinéma est tout aussi personnelle que modelée par la culture dans laquelle on baigne. C'est aussi la conclusion qu'a tiré Gregory, un globe-trotteur de 25 ans passé par Science-Po Lyon, lors de son séjour au Cambodge : « J'ai animé un ciné-club là-bas, auprès d'étudiants cambodgiens, à Phnom Penh. Un soir, j'ai passé Les Temps Modernes, de Chaplin. Je constaté que les moments où il y avait des rires étaient en décalé par rapport au moment où moi j'avais envie de rire, à contre-rythme. Je sentais une différence dans la lecture de l'humour. Par exemple, dans le film, quand on voit Charlie Chaplin marcher de dos, on peut se dire qu'il y a une certaine grâce, mais ce n'est pas forcément ce qui fera marrer. Et là, ça faisait rire toute la salle ».
La loi des multiplexes
En fait, le pays idéal du cinéphile français, celui qui ne veut à aucun prix être dérangé de quelque manière que ce soit, c'est sûrement l'Australie. Guillaume, un jeune avignonnais, ancien étudiant en journalisme, a passé près de 2 ans là bas : « Ce n'est peut-être pas le cas de tous les cinémas, mais dans ceux que j'ai fréquentés, personne ne parlait, personne ne faisait de bruit. Généralement, à la fin de la séance, les gens se levaient même pour applaudir, comme si on était au théâtre. Enfin, les 3 fois où je suis allé au cinéma, tout le monde s'est levé en tous cas... ». Le fantasme d'assister à une ovation cannoise pour chaque séance de chaque film, à chaque heure, dans chaque cinéma du pays ? Oui, mais cet idéal à un prix : « Dans les multiplexes de Sidney, un ticket peut coûter plus de 20 dollars (14 euros) ».
Car il existe globalement dans le monde deux catégories de salles : les multiplexes et les cinémas d'art et d'essai, en France comme ailleurs. Anaïs a effectué 2 séjours linguistiques de 6 mois à Séoul dans le cadre de ses études. Elle nous raconte : « En Corée du Sud, les salles appartiennent à des grosses entreprises qui gèrent a peu près tout, du cinéma aux voitures. Ce qui fait que beaucoup de multiplexes, du moins à Séoul, se trouvent au dernier étage de grands immeubles. Du coup, en campagne, c'est plus compliqué de trouver des cinémas, c'est presque un miracle. Il y a un gros contraste ». Ces énormes salles constituent aujourd'hui la norme, des États-Unis à l'Australie en passant par le Liban.
Sagas : Africa
La plupart des multiplexes se trouvent dans des centres commerciaux, alors quand l'offre culturelle s'ouvre dans certains pays africains en voie de développement, elle passe par la construction de malls. C'est le cas au Botswana, où a vécu Grégory, notre lyonnais passé par quatre continents : « Le Botswana a un niveau de développement des infrastructures plus important que la moyenne africaine. Pour autant, c'est un désert culturel, notamment au niveau du cinéma. Gaborone, la capitale, est une ville particulière, artificielle, construite pour être la plus proche possible de l'Afrique du Sud. On y trouve des méga cinés, dans des malls, où on ne peut voir que des blockbusters ». Et s'il n'existe pas de programmation alternative qui ne soit pas exclusivement issue d'initiatives privées (ciné-clubs...), ces étages de centres commerciaux dédiés au cinéma ont au moins le mérite de proposer aux habitants un minumum d'accès à des films. « Dans le reste du pays, il n'y a pas de cinéma » explique Grégory. « Il y en a trois à Gaborone, donc il y a trois cinémas en tout au Botswana ».
Une situation qui vaut pour toute l'Afrique, puisque son parc cinématographique global (si on excepte l'Afrique du Sud) totalise seulement 700 écrans sur tout le continent. C'est 7 fois moins qu'en France, même si ce nombre est en constante augmentation. Au sujet de son expérience botswanaise, Grégory fait d'ailleurs remarquer que « Gaborone a un niveau de vie assez élevé. Donc les spectateurs ont un peu plus d'argent que la moyenne. ». C'est l'un des effets nocifs du développement du système des multiplexes : son impact sur l'augmentation du prix des places, comme nous l'avons déjà remarqué pour l'Australie.
Super USA vs. The World
À terme, le risque lié au développement de ces cinémas de luxe dans certains pays est de destiner les films à une élite, d'en faire des spectacles réservés aux priviligiés. C'est ce qui explique, en partie, le succès de certaines formes alternatives qui se substituent à la salle. Notamment le cinéma en plein air, très développé à une époque aux États-Unis grâce au drive-in, mais aussi en Australie : « L'été, il y a plein de festivals en plein air, et tu as pratiquement la possibilité de voir un film par jour n'importe où en Australie » raconte Guillaume. « Et souvent, c'est différent de ce qu'il y a en salles. Ce sont plutôt des petites productions. ». Didier, enseignant à Paris, a quant à lui assisté à la projection d'un film bollywoodien dans un village de la région de Tamil Nadu au sud de l'Inde : « Il y avait une télé branchée sur la place du village, qui ne faisait pas plus de 70 cm de diagonale environ. Et devant, entre 50 et 70 personnes étaient regroupées : des hommes, des femmes et des enfants... On dansait et on chantait ensemble à des moments particuliers du film, et on applaudissait souvent ».
L'autre effet néfaste du multiplexe comme seul modèle de salle, c'est la standardisation de la programmation. Hollywood a gagné, partout, comme si la promesse de diversité des multiplexes servait uniquement à la diversité du cinéma américain. Certains gouvernements mettent toutefois en place des mesures pour lutter contre cet impérialisme, souvent pour des raisons qui ne sont pas uniquement culturelles. Narcisse, originaire d'Iran et étudiante à Paris, nous fait part des règles qui existent dans son pays natal : « Tous les films projetés sont iraniens. Il y a une véritable culture du cinéma. Il y a même le Festival international du film de Fajr, très important pour nous. Il dure un mois et Téhéran devient comme Cannes pendant son festival. C'est seulement depuis cette année, je crois, qu'il y a une sélection plus internationale ». De même, la Corée du Sud a instauré depuis longtemps un système de quotas : « Je crois que 70% des films qui sortent en salles doivent être coréens. Ca ne laisse pas énormément de place pour les films étrangers » signale Anaïs.
On aurait beaucoup aimé avoir le témoignage de Kim Jong-Un sur la Corée du Nord, mais pour des questions d'emploi du temps, celui-ci n'était pas disponible. Vous pouvez toutefois retrouver d'autres retours d'expériences sur notre carte interactive. Et pour enrichir tous ces dires, n'hésitez pas à partager vos souvenirs dans les commentaires, si vous avez eu l'occasion d'aller au cinéma dans d'autres pays du monde que ceux déjà évoqués, ou même si vous avez eu une expérience différente que les interviewés dans les pays concernés.
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* les données récoltées sont des ordres de grandeurs basés sur des chiffres officiels, sur une période allant de 2009 à 2013 en fonction des pays. Les chiffres pour les années 2014 et 2015 ne sont pas encore disponibles (Sources : UIS Statistics/Cinema infrastructure, UniFrance, Numbeo, Europa-cinemas, Cinema Treasures, My Europ, America-fr, Ina Global, Nato, Knomea, Film New Europe, Screen Australia, Mise au Point, Écran Noir, Slate Afrique, Al Arabiya News)
Il faut voir que les salles sont souvent en très mauvais état, en extérieur, chaises en bois, pannes de projecteur, pannes de courant... J'ai plusieurs fois dû m'en aller sans avoir vu la fin d'un film. D'une façon générale, les gens vont voir un film sans vraiment se soucier de l'histoire, de la cohérence ou de la qualité intrinsèque du film ! C'est marrant, on passe un moment et on rigole...
Il y aurait beaucoup à dire sur les productions qui sont très différentes d'un pays à l'autre (Nollywood au Nigeria, Telenovelas en Angola, Tchad, Mali, Burkina...) mais au niveau des salles de ciné, je constate un déclin dans les pays où je suis passé, le cinéma est dans la rue, remplacé par une télé diffusant le football sur les trottoirs.
Ils se fichent un peu de la qualité globalement, d'un autre côté, ça ne sert pas à grand chose d'acheter un blu-ray quand ta TV a 15 ans :)
https://www.youtube.com/watch?t=108&v=EmnSm_d2ll4
merci @itachi pour ce retour
je trouve qu'en France on manque aussi de cinémas proposant la vost