Le Petit Prince : comment adapte-t-on un livre culte ?
Après la dernière fantaisie colorée et sucrée de Pixar - le très beau Vice-Versa - dont le sous-texte psychologique complexe ne peut laisser indifférent, voici Le Petit Prince de Mark Osborne. Le lien entre les deux ? Cette adaptation très personnelle du merveilleux conte de Saint-Exupéry aurait tout bonnement pu venir de Pixar tant la dialectique enfance/âge adulte est importante, et repose elle aussi sur une double lecture au symbolisme fort. Mais la vraie question que nous souhaitions poser à Mark Osborne après la projection du film, était la suivante : comment adapter un chef-d’oeuvre de la littérature, sans l'abîmer, tout en le remettant en perspective ? Et il nous a répondu.
Mark Osborne, ce nom ne vous dit rien ? Rassurez vous, vous n’êtes sûrement pas le seul, car ce réalisateur américain spécialisé dans l’animation n’est pas encore à la tête d'une carrière colossale. Cité à l'Oscar pour son court-métrage d’animation, More, en 1998, il co-réalise ensuite le film Bob l’Eponge en 2003 et Kung Fu Panda en 2008, nommé à l'Oscar du long-métrage d'animation, sa première oeuvre à véritablement trouver le chemin du succès.
Respecter l'oeuvre d'origine en lui étant infidèle
Adapter une oeuvre sans la dénaturer, en restituant son essence, n’est pas une mince affaire. Comment éviter de trahir le roman, sans céder à l'écueil du copier/coller ? De grandes oeuvres ont pâti d’une adaptation tristement littérale, comme 1984, le chef-d’oeuvre d’anticipation de George Orwell. Le film de Michael Radford est certes fidèle au matériau d'origine, mais fade et dépourvu d'un point de vue neuf sur l'histoire. Pour surmonter ce danger inhérent à chaque adaptation, Mark Osborne a trouvé une méthode : partir du souvenir affectif que lui a laissé le livre, sans avoir l'ambition de l’adapter au sens classique du terme, et créer une histoire originale en miroir du conte.
Le film se déroule dans un monde sinistrement proche du nôtre, où tout est gris, minutieusement ordonné et où rien ne dépasse, sans fantaisie, ni spontanéité. Chacun est habité par la culture de l'entreprise, avec un seul but : travailler sans relâche. Une maman très inquiète pour l’avenir de sa fille organise pour elle un planning réglé à la minute près, afin que celle-ci passe avec succès le concours d’entrée d’une prestigieuse école. La petite fille en question va cependant voir son emploi du temps bouleversé par son voisin, un aviateur un peu fou rejeté par les autres, qui vit dans une maison chamarrée de couleurs et de bizarreries. D'abord peu réceptive, notre héroïne va se laisser charmer par cet attachant et truculent personnage, qui va partager avec elle l’histoire de sa rencontre avec le Petit Prince et ainsi l'ouvrir à l'imaginaire... « La première fois qu'on m'a demandé d'adapter le livre en film, j'ai dit non, pas possible » raconte Mark Osborne. « C'est plus que des mots sur une page, plus que des dessins. Le livre repose tellement sur l'expérience qu'on vit en tant que lecteur... Puis j'ai réalisé que je refusais parce que le livre comptait trop pour moi ». « C'est à ce moment là que j'ai commencé à me dire : peut être que je peux raconter la manière dont le livre affecte le lecteur, comment il peut changer sa vie » reprend le réalisateur. « Je voulais protéger le livre, et qu'il soit au coeur d'une histoire plus vaste. Je ne me dit pas : "j'ai créé cette histoire moi même", je me dit : " je suis parti du livre et j'ai prolongé son univers".»
Une bonne adaptation, est-ce une création personnelle ?
Il y a effectivement dans ce film une partie essentielle sans rapport avec l'histoire d’origine. Et ces deux univers imbriqués, celui créé pour le film et celui du livre, se répondent. C’est presque une mise en abîme que nous propose Mark Osborne. « Il faut prendre quelques risques quand on adapte. Rester esclave du matériau de base, ce n'est pas forcément lui rendre service » confie-t-il, avant de détailler ses modèles de travail : « J'ai été grandement inspiré par les adaptations de Spike Jones, écrites par Charlie Kaufman. Kaufman a essayé d'adapter un livre appelé The Orchid Thief (Le Voleur d'Orchidées), et ce fut tellement difficile, qu'il a plutôt écrit le scénario d'un film portant sur la difficulté d'adapter ce livre. Ca m'a aidé à sortir des sentiers battus ». Osborne prévient : « Si les gens s'attendent à voir une adaptation littérale du Petit Prince, ils vont être frustrés, mais si tout le monde comprend que le film est un hommage, qu'il traite de l'expérience de lecture du livre, de la manière dont l'oeuvre nous affecte, alors ils l'apprécieront peut-être ». Le Petit Prince, autant le conte que le film, s'imposent tous deux comme des odes à l'imaginaire et à l'enfance incorruptible, bien que les histoires diffèrent. Mark Osborne a simplement prélevé le message intrinsèque au conte afin de nourrir une nouvelle histoire. Et en cela, il nous prouve qu'il a parfaitement saisi la portée symbolique profonde du Petit Prince.
Comment le conte vient se greffer au film
Pour mettre en scène ses deux mondes parallèles, Mark Osborne a fait un choix esthétique radical : se servir des images de synthèses pour représenter le monde gris de la servitude, et employer la stop motion pour exprimer le caractère poétique et symbolique de l'univers du Petit Prince, restituant ainsi la matière même des pages du livre. « J'ai initialement refusé le projet parce je pensais que l'image de synthèse n'était pas la bonne manière de représenter la pureté, l'innocence du livre » raconte Mark Osborne. « La stop motion nous permettait de créer le monde de l'enfance, de l'imagination, du Petit Prince en somme, et de l'opposer à à la réalité ». Pour articuler ces deux mondes, le réalisateur a utilisé le personnage de l’aviateur, seul élément appartenant aux deux univers, qui fonctionne comme un point de convergence entre la petite fille et le petit prince, un repère immuable liant le conte et le film.
« J'ai pensé qu'imaginer l'aviateur vieillir serait une belle manière de faire survivre le personnage, comme le livre survit dans nos esprits » se souvient Osborne. « Ca m'a aussi permis de créer cet environnement très extrême, où mon personnage principal, la petite fille, serait confrontée aux éléments du livre de manière significative. Et de la confronter à la perte d'un être cher... Dans le livre, l'aviateur doit faire face à la perte du petit prince, c'est pourquoi j'ai voulu que dans mon film, la petite fille soit confrontée à la perte éventuelle de l'aviateur, afin de créer un effet de miroir ».
Le petit prince, gardien de l'imaginaire
Pour Mark Osborne, la seule manière de traduire l’âme du roman était de réinscrire celui-ci dans une perspective neuve, tout en faisant de lui le gardien de cette nouvelle histoire. Le Petit Prince avait déjà, par le passé, nourri l'imaginaire de Mark Osborne. On peut effectivement faire une analogie entre son adaptation et son court-métrage More, qui utilisait déjà deux techniques de dessins différentes et dépeignait des thèmes semblables. Seuls l’imaginaire et le souvenir offraient de possibles saluts à une société enclavée dans une grise routine, où la créativité était broyée et la productivité durement imposée. Mark Osborne commente ainsi le lien entre son Petit Prince et More : « Quand j'y repense maintenant, je réalise à quel point Le Petit Prince m'a influencé. Ma femme m'a offert le livre quand j'étais à l'université. Il m'a aidé à revenir en enfance, à son innocence, et d'une certaine manière, à trouver ma voie en tant que réalisateur. Donc quand je revois More maintenant, j'ai l'impression qu'il est composé des thèmes du Petit Prince qui me concernaient à l'époque : que signifie être adulte ? Et être un enfant ? ».
Et si jamais Le Petit Prince ne parvenait pas à se frayer un chemin jusqu'à votre coeur, voici More, joli court-métrage d'animation sans prétention qui délivre un message équivalent, et dont le thème principal - largement mis en exergue dans le film - est de ne surtout pas oublier qu'on a été un enfant. Attention, ne laissez jamais votre imagination s'endormir au moment d'entrer dans le cruel monde des adultes, vous avez bien compris ?
Et il revint vers le renard:
«Adieu, dit-il…
- Adieu, dit le renard. Voici mon secret. Il est très simple: on ne voit bien qu'avec le cœur. L'essentiel est invisible pour les yeux.»
Ce merveilleux conte poétique et philosophique que je chéris est comme une bible pour moi. J'admire ton article qui me donne encore plus envie de le découvrir dans cette adaptation ciné .