"Flawless" : un nouveau procédé de doublage révolutionnaire ?
Et si on remettait le doublage au goût du jour du côté des cinéphiles hardcore ? Une jeune société a peut-être trouvé une solution innovante et séduisante, à mi-chemin entre la ventriloquie et le deep fake.
Voici peut-être l’avancée qui va réconcilier fanatiques de versions originales et (mécréants) inconditionnels du doublage. La société Flawless (littéralement “sans défauts”), créée conjointement par le réalisateur britannique Scott Mann (The Tournament, Final Score) et l’Institut Max-Planck de Sarrebruck en Allemagne a en effet accouché d’une solution prometteuse. Doubler un film, c’est se confronter à deux écueils : ne pas coller au mouvement des lèvres (en cherchant à assurer la meilleure traduction possible) ou altérer le sens du texte original (en le contraignant à épouser le rythme et la durée de la diction). Dans le meilleur des cas, un compromis est trouvé, mais trop souvent, la chose se révèle au mieux maladroite. Certes, les doublages un peu cheap ont toujours eu un certain charme, comme le montre assez bien le stand-up d’Arvin Mitchell ci-dessous, mais reconnaissons que ça a plus souvent été un frein à l’expérience...
Ici, l’astuce consiste non plus à modeler tant bien que mal l’énoncé pour qu’il s’accorde aux mimiques du comédien, mais d’en animer artificiellement le visage, comme le ferait Jeff Panacloc au Plus Grand Cabaret du monde. Comment réaliser ce tour de force ? Grâce à une technologie héritée du deep fake, cette application qui permet de glisser Tom Holland dans les baskets de Marty MCFly et Robert Downey Jr. dans la chemise bariolée d’Emmett Brown :
Mais cette fois, le procédé est différent, puisqu’il concerne la voix. Premier avantage : l'audio peut être enregistré immédiatement (plutôt qu’en post-production) car les doubleurs n’auront pas à s’adapter aux mouvements de la bouche une fois le film tourné. Flawless utilise un réseau neuronal artificiel (comme dans deep fake) qui compile des millions de données visuelles (à partir des rushes du film) entrées dans un système capable de recréer la performance de l’acteur dans une autre langue. “Nous avons conçu le système pour qu'il n'interrompe pas le processus de réalisation du film”, explique Mann. “L'extraction des données faciales (un processus de calcul chronophage, ndlr) se déroule en parallèle de la production. La technologie dépouille les visages des acteurs, les convertissant en un modèle 3D. Cela crée des millions de modèles, que l'intelligence artificielle utilise comme points de référence.” “Puis, en utilisant un enregistrement existant en langue étrangère, le logiciel étudie l'acteur et génère un nouveau modèle 3D pour chaque image”, ajoute-t-il. Enfin, les images sont reconverties en 2D. Le responsable des effets numériques peut ensuite ajuster manuellement tout ce qui semble imparfait. Le teaser promotionnel en offre un exemple assez saisissant avec cette courte confrontation, dans la langue de Molière, entre Tom Cruise et Jack Nicholson dans Des hommes d’honneur (1992), de Rob Reiner :
It's been a few years in the making. We'd like to thank the entire Flawless team for getting us to our full commercial launch. Special thanks to our collaborators in science and The Max Planck Institute for Infomatics in Germany.
— Flawless (@Flawlessai) May 3, 2021
We're pleased to release the Flawless showreel... pic.twitter.com/QVtwMPMLXf
Pas sûr que la chose séduise totalement quelques irréductibles, qui ne jurent que par l'accent cockney de Jason Statham, mais peut-être rendra-t-elle certaines séances plus acceptables à leurs yeux. Du reste, cela représente un fort potentiel financier pour le cinéaste entrepreneur, qui entend bien vendre ses services aux gros bonnets américains. Comme il le dit lui-même : “Hollywood est prêt à payer 60 millions de dollars pour refaire Drunk (Thomas Vinterberg, 2020) en anglais ; je peux affirmer avec certitude que cela leur coûterait presque 60 millions de dollars de moins [en passant par Flawless]...” On le sait, les yankees rechignent à la VO et un doublage “parfait” pourrait sans doute les convaincre, a fortiori s'il permet de faire des économies. To be continued...
Si tu regardes les gros plans sur Jack Nicholson il y a un décalage visible entre le haut et le bas du visage. Perso, ça me rappelle les retouches embarrassantes sur le visage d'Henry Cavill sur Justice League version cinéma. Donc non ça ne passe pas. La partie inférieure reste l'élément le plus décisif et généralement c'est lui qui atténue/atomise les efforts sur les de-aging ou les reproductions numériques (sur Peter Cushing dans Rogue One par exemple). On a le même problème ici, d'où mon refus. Le fait de manipuler une performance originale va pour moi à l'encontre du travail effectué sur le tournage, et donc au cinéma.
Bon sinon le procédé servira sans doute pour les USA, qui ne supportent pas les sous-titres mais qui n'ont pas été non plus habitués comme nous autres aux doublages classiques.
En France par exemple j'ai pas l'impression que le public VF soit si gêné par le décalage labial.