Hippocrate : l’hôpital français face aux séries médicales américaines
Sorti cette semaine dans les salles, Hippocrate nous fait découvrir les coulisses d’un hôpital français. Médecin de profession – il exerce toujours – son réalisateur Thomas Lilti y dresse le portrait d’un interne débutant, Benjamin (Vincent Lacoste), qui fait partie d’une génération ayant sûrement trouvé sa vocation en regardant Urgences à la télévision. Mais le jeune homme a beau avoir en plus son propre père comme chef de service, il va vite se rendre compte que la vie à l'hôpital ne ressemble pas à ce que l'on voit à la télé. Vraiment pas ?
Une scène nous intéresse tout particulièrement dans Hippocrate : celle où nous découvrons le personnel de garde devant Dr House. Tous ont beau travailler tous les jours à l'hôpital, être à l'hôpital, ils suivent une série se déroulant dans un hôpital. La présence de Dr House dans Hippocrate renforce le contraste entre ce que le film montre de l’hôpital et l’image qu'en donnent les fictions télé. La télé se sert généralement du lieu comme d'une scène idéale pour aborder tous les sujets possibles : problèmes de santé, mais aussi d'argent, de coeur, sociaux, etc. Hippocrate, lui, se concentre davantage sur ce qui est spécifique à l'hôpital (budget des services, grève du personnel), sans faire étalage des romances ou des tracas intimes des médecins. Il condense tous ces sujets, démontrant à quel point ils sont liés et participent, toute l'année, à la vie quotidienne d'un médecin, contrairement aux séries dont la structure en épisode permet de traiter d'un thème à chaque fois. Voire d'un patient à chaque fois, comme c'est le cas dans Dr House.
"Dr House, c'est pas Mickey Mouse" chantait Christophe Hondelatte
Cette série produite par Bryan Singer se démarque des autres grâce à son héros, Gregory House (Hugh Laurie), médecin cynique et antipathique qui voit davantage les patients comme des casse-têtes qu’il lui faut résoudre, plutôt que comme des personnes souffrantes. On s’y préoccupe d’ailleurs peu de ces dernières, puisque le service médical de House et sa vie privée mobilisent toute l’attention. Si Thomas Lilti choisit cette série en particulier pour son film, c’est vraisemblablement parce que, durant 8 saisons, elle repousse régulièrement les limites de la déontologie. Et ce questionnement éthique, c’est l’un des sujets abordés dans Hippocrate. Benjamin se retrouve d'ailleurs à devoir faire un choix entre dire la vérité sur une erreur qu'il a commise, entrainant la mort de son patient, ou laisser ses supérieurs le couvrir.
Plus longue que Dr House, Urgences a suivi pendant 15 saisons la vie des urgences du Cook County Hospital de Chicago, à la façon d’une docu-fiction, et a lancé des acteurs ayant fait carrière au cinéma (George Clooney) et à la télévision (Julianna Margulies, récemment récompensée aux Emmys pour son rôle dans The Good Wife). Son créateur, l'écrivain Michael Crichton, s'est inspiré de sa propre expérience d'interne aux urgences.
Ecrit en 1974, son scénario ne se concrétise que 20 ans plus tard, après sa rencontre avec Spielberg et l’adaptation de l’un de ses best-sellers, Jurassic Park. Un pilote est tourné. Une équipe de professionnels du corps médical est recrutée pour s’assurer du réalisme des situations mises en scène. C'est d’ailleurs cette impression de véracité qui a fait le succès de la série. Un épisode en particulier a renforcé son parti-pris documentaire, celui diffusé à la télévision américaine simultanément à son tournage. Les scénaristes avaient inventé une histoire de reporters télé venus tourner dans le Cook County, et c’était leurs images que nous pouvions voir, en direct, y compris en France. À l'époque, France 2 fut en effet l'une des rares chaines étrangères autorisée à respecter ce direct et à diffuser, en même temps qu’aux Etats-Unis, Direct aux urgences, le premier épisode de la saison 4.
Grey qui pleure, Scrubs qui rit
Dans la même veine dramatique, la chaîne ABC s’est attaquée en 2005 à l’après-Urgences avec Grey's Anatomy. On commence par y suivre le quotidien des nouveaux internes du Seattle Grace Hospital, en particulier celui de Meredith Grey (Ellen Pompeo). Contrairement à Urgences, la série verse plus volontairement dans le romantique et le sentimental. Les problèmes de cœur semblent bien plus accaparer les médecins que ceux de leurs patients. L'univers hospitalier s’en trouve quelque peu édulcoré, sans se priver pour autant de réguliers pics de tension. Car l'une des particularités de Grey’s Anatomy est sa propension aux cliffhangers, généralement en fin de saison, ces retournements de situation ou faits incroyables qui laissent le téléspectateur dans l’attente insoutenable de la suite. Meredith survivra-t-elle à la noyade ? Georges va-t-il mourir ? Qui survivra au crash de l'avion ? La série entamera sa 11ème saison le 25 septembre prochain.
L'univers hospitalier se prête aux sujets graves, mais certaines séries choisissent toutefois de le dédramatiser. Scrubs, qui a lancé la carrière de Zach Braff, suit l'internat de John "J.D." Dorian (Braff) au sein de l'hôpital du Sacré-Coeur. La particularité du héros est d'être constamment perdu dans ses pensées, que nous entendons en voix off. Son imagination débordante autorise ainsi des scènes farfelues, alors que la majorité des cas médicaux, elle, n'est pas prise au sérieux et se trouve traitée par des personnages hauts en couleurs, du névrosé au macho, en passant par le tyran.
Côté France, la série H se démarque également par un univers totalement barré. La sitcom, filmée en public, suit le quotidien du service orthopédique d'un hôpital de la banlieue parisienne. Lancée en 1998, elle réunit alors trois comiques appréciés du public : Jamel Debbouze, Éric Judor et Ramzy Bédia. H se décline en une suite de situations plus loufoques les unes que les autres. On est alors très loin de la réalité d'un service médical. Son standardiste est un menteur invétéré et son infirmière en chef est une dominatrice : comme dans Scrubs, les personnages sont extrêmes.
L'hôpital inspire les scénaristes, qu'ils essaient de coller au plus près de sa réalité ou qu'ils transforment l'endroit en une scène comique. Hippocrate a choisi la première option, en faisant l'état des lieux du système français, ce qui n'avait jamais été fait jusqu'à présent. Le médecin joué par Reda Kateb le dit dans le film : "Médecin, c'est pas un métier, c'est une espèce de malédiction". Vous l'aurez deviné : l'état des lieux en question n'est pas forcément glorieux.