Séries TV : ce que changent les femmes
Dans les séries, la représentation du personnage féminin s’est diversifiée et complexifiée, et l’arrivée de femmes à la tête de certains programmes n’y est pas pour rien. De Grey’s Anatomy à Weeds en passant par Engrenages : Shonda Rhimes, Jenji Kohan et Anne Landois sont les "showrunneuses" de ces séries à succès. Au sein d'une industrie conduite en majorité par les hommes, ces scénaristes ont apporté une nouvelle vision de la fiction. Quels thèmes abordent-elles ? Quelles sont leurs contributions au renouveau de la télévision ?
L’avènement des showrunneuses a permis de dépoussiérer les représentations féminines à l’écran. En bousculant les préjugés et les stéréotypes, leurs héroïnes suivent le chemin de l’émancipation. Libérées du joug du personnage masculin, elle offre une palette de nouveaux rôles, tous moins conventionnels les uns que les autres.
Mères en eaux profondes
Les showrunneuses s'en donnent à coeur joie pour égratigner l'image traditionnelle de la mère modèle. En finir avec la femme au foyer parfaite, c’est piétiner cet idéal culpabilisant. A l’avant-garde, Jenji Kohan dresse dans Weeds le portrait d’une mère qui, suite au décès de son mari, se lance dans la vente de cannabis pour subvenir aux besoins de sa famille. Dans sa chute, elle entraine l’ensemble de ses proches. Elle a beau aimer ses enfants, elle ne pourra pas préserver son benjamin, Shane, d'un devenir psychopathe... Être mère, ne rime pas avec perfection. Sans lésiner sur les efforts, la scénariste de Juno, Diablo Cody, a ajouté sa pierre à l’édifice en offrant à Toni Collette le premier rôle de United States of Tara, chronique d’une famille où la mère bipolaire jongle avec ses multiples personnalités. Linda Wallem a enfoncé le clou avec Nurse Jackie, mère aussi aimante que mythomane, et parfait alter-ego du Dr. House du fait de son addiction à la Vicodine. Trois séries diffusées sur Showtime : la direction de cette chaîne semble plus sensible aux parents à problème qu'aux enfants difficiles.
Working girl : le nouvel uniforme
Sacrifier sa vie personnelle au profit de sa carrière, ce n'était habituellement pas un truc de femme. Comme le rappelle Audrey Fleurot, actrice d’Engrenages : « L’archétype du personnage dédié à son boulot, sans vie privée et à la sexualité libre était jusqu’à présent masculin. Mais les filles s’en sont emparées, que ce soit dans Homeland, Damages. J’aime aussi beaucoup l’enquêtrice de The Killing : elle ne change jamais de pull, elle n’a pas le temps ! On est définitivement sortis de l’alternative entre la maman et la putain ». Avant de créer l’enquêtrice en pull de The Killing, la scénariste Veena Sud a fait ses armes à la meilleure école, auprès de Meredith Stiehm, la showrunneuse de Cold Case, qui a elle-même donné un coup de pouce à Alex Gansa dans l’écriture d’Homeland.
La femme flic porte comme son homologue masculin l'uniforme et l'arme de service : seule différence notable, avec le temps, sa garde robe a changé. Et à la place du Sergent Anderson, cette inspectrice sexy des années 70 toute droit sortie de l'imagination masculine, la femme-flic créée par des showrunneuses arbore des vêtements pratiques, en rapport avec son métier. Ces tenues négligées, on les trouve autant sur les épaules de la détective de Top of the Lake que sur celles de l’héroïne d’Happy Valley. Et cette nouvelle tendance ne se limite pas aux équipes des showrunneuses : les hommes scénaristes inventent des personnages féminins à l'allure masculine, comme Carrie Mathison dans Homeland et Debra Morgan dans Dexter, nées sous les bonnes étoiles d'Alex Gansa et James Manos Jr. Alors d'une même voix, les femmes scandent : « Pratical is the new sexy ». Pourtant si on applaudit l'arrivée de personnages féminins à la tête de séries policières, on pourrait regretter leur perte de féminité. Faut-il devenir un homme pour être une bonne flic ?
Corpus : "Belle toute nue"
Contre vents et marées, Sally Wainwright, la showrrunneuse d'Happy Valley, défend une femme-flic bien différente. Son héroïne, Catherine Crowther, sergent de garde dans le Yorkshire, remplit tous les critères de l’anti-héroïne : âgée, disgracieuse et flic. Il y a encore quelques années, elle ne serait pas apparue sur les écrans. Et c'est peut-être bien ce qui a fait la différence au Festival International des Programmes Audiovisuels en janvier dernier, où elle a remporté le Fipa d'or de la meilleure série. Portée à bout de bras par Sally Wainwright, cette femme ordinaire n’en est pas moins une héroïne. Avec ce personnage, la créatrice d’Happy Valley ne s'interroge pas seulement sur la féminité, mais aussi sur le corps et son vieillissement. Le corps, c’est aussi le sujet de la populaire Lena Dunham. A travers l’exposition du sien dans la série Girls, elle remet clairement en question les carcans de la beauté moderne. A ses yeux, tout corps peut être beau quelles que soient ses proportions.
Au delà du rejet d’un diktat de l’apparence, les scénaristes ouvrent le corps féminin à ceux qui l’envient : les trans male to female. Si Jenji Kohan donne un second rôle à Laverne Cox dans Orange is the New Black, Jill Soloway offre une série entière à cette identité sexuelle. Transparent - subtile jeu de mot - c’est l’histoire de Mort qui en renaissant en Maura, chamboule la vie de ses enfants. Et l’histoire de Maura, c’est en partie celle du coming-out transgenre du père de la showrunneuse. Si Jill Soloway a puisé son inspiration dans un évènement peu commun, ses homologues scénaristes s'inspirent elles aussi de leurs vies pour parler des femmes, notamment du rancard mensuel avec Dame Nature.
Les menstruations, voilà un sujet quasiment jamais abordé à l'écran, soit par tabou, soit par inexpérience, mais certainement pas tu par les showrunneuses. Dans le premier épisode de Girls, alors que Jessa, désespérée d’être probablement enceinte, tente de faire l’amour dans les toilettes d’un bar avec un inconnu, le sang entre en scène. Même situation dans le premier épisode de la saison 5 d’Engrenages : après avoir emballé un mec dans un bar, l’inspectrice décide de faire des galipettes dans sa voiture, mais en s’apercevant de l’hémorragie mensuelle, elle le rejette violemment. En ne prenant aucune précaution à l'écran, les scénaristes imposent la marque de leur féminité.
Sexus : le règne du Vagin
Dès 2004, pleine d’audace, une showrunneuse a fait bouger les lignes : Ilene Chaiken. A la tête d’une équipe constituée exclusivement de femmes scénaristes, elle lance la série The L Word, la première revendiquée comme lesbienne. En s’inspirant de sa vie, Ilene Chaiken offre une superbe visibilité à l'homosexualité féminine. Pour autant, la série ne doit pas son succès uniquement à sa thématique lesbienne, mais également à son écriture ainsi qu'à la complexité des personnages. Neuf ans plus tard, Jenji Kohan marche dans les pas de sa prédécesseure, avec Orange is The New Black. Elle met en scène ce qui tourne autour de la bisexualité : son rejet par la société, l’amour au-delà du genre, le pouvoir émancipateur de la femme. Les femmes scénaristes posent des questions spécifiques sur la sexualité féminine. Pour se libérer du joug de l'homme, faut-il en arrive à coucher avec une femme ?
Avec Masters of Sex, Michelle Ashford aborde l'histoire vraie des travaux de William Masters et Virginia Johnson, scientifiques rompus à la recherche des mystères de la sexualité féminine. La série aborde la sexualité féminine en dehors de la romance, qu'elle soit masturbatoire ou bien accompagnée. Avec son personnage principal, Michelle Ashford désenchante le cliché de la satisfaction féminine dite cérébrale, puisque Virginia Johnson prend son pied sans avoir de sentiments. En clair, une partie de jambes en l'air serait le meilleur moyen d'émancipation. Qu'elles soient hétérosexuelles, homosexuelles ou bisexuelles, les showrunneuses défendent avant tout une sexualité choisie et affirmée par les femmes.
Showrunneuses made in France
Des showrunneuses en France, il y en a peu. Au delà de la difficulté des femmes à se faire une place au soleil, les systèmes d'écriture français et américain sont en tous points différents. Aux Etats-Unis, une série est écrite en flux tendu par un groupe de scénaristes, supervisé par un chef d’écriture (le showrunner, donc). En France, on préfère se la jouer solo : un scénariste écrit la série d’une traite avant de la tourner. Depuis quelques années, le modèle d’écriture américain tend à s’implanter chez nous. On l’a vu émerger avec Un Village français ou encore Plus belle la vie. A la tête de ces deux séries, des hommes : Frédéric Kirvine et Olivier Szulzynger.
La situation n’a pas l’air d’avoir découragé les scénaristes françaises comme Cathy Verney. Lorsque Canal Plus l’a contactée pour écrire sur le porno, elle ne s’est pas dégonflée et a créé les deux premières saisons de Hard, série comique sur l’industrie du sexe. Hard ne se distingue pas seulement par son sujet, mais également par sa vision féminine de la chose (la deuxième saison aborde un pan de l’industrie ignoré, celui réservé aux plaisirs féminins). Dans un registre plus classique, Anne Landois a gravi tous les échelons avant de prendre la tête d’Engrenages. Dès le premier épisode de la saison 5, elle a imposé son style en écrivant sur la remise en question du devenir mère. Et la suite ? La nouvelle, c’est Angela Soupe, répérée par France 4 à sa sortie de la Fémis. De son tumblr Les Textapes d’Alice, elle a fait une web-série incisive où elle aborde de façon crue et sans tabou la sensualité féminine, la dépendance au numérique, l'amour 2.0. Des trucs de filles ?
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Cine7Inne26 juin 2015 Voir la discussion...
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Fujee27 juin 2015 Voir la discussion...
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RokuYon27 juin 2015 Voir la discussion...
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RokuYon27 juin 2015 Voir la discussion...
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Fujee27 juin 2015 Voir la discussion...
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torukmato27 juin 2015 Voir la discussion...
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youliseas27 juin 2015 Voir la discussion...
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zephsk28 juin 2015 Voir la discussion...
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zephsk28 juin 2015 Voir la discussion...
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Anaphor29 juin 2015 Voir la discussion...