Colin Farrell est-il l’acteur le plus queer d’Hollywood ?
Colin Farrell est l’une des vedettes de la saison 2 de True Detective. Il est aussi l'interprète principal de The Lobster, Prix du Jury du dernier Festival de Cannes, dans nos salles fin octobre. 2015 doit être son année, l’année de la moustache, car dans les deux cas, l’acteur irlandais arbore un attribut pileux qui fait aussi bien Village People, qu'hétéro viril à qui on ne la fait pas. D'un rôle à l'autre, Farrell a une particularité, discrète mais tenace : les genres et leurs étiquettes, il les fait valser, sans avoir à monter sur un char LGBT pour le crier haut et fort.
Au tout début de The Lobster, Colin Farrell passe un entretien. Il se retrouve célibataire mais puisque la loi lui interdit de le rester, il s'apprête à vivre dans un hôtel où il devra trouver l’âme sœur, sous peine d’être transformé en homard. Normal. L’objet de l’entretien est de déterminer le sexe de la future âme sœur. «Orientation sexuelle ?». Il répond qu’il préfère les femmes, marque un temps, annonce qu’il a eu une expérience homo, marque un nouveau temps, réfléchit, et demande s’il doit obligatoirement choisir. Le naturel avec lequel Farrell formule sa requête est très drôle – surtout que la caméra ne le lâche pas et nous laisse le temps de scruter les indices de sa réflexion sur son visage moustachu – mais en plus de son effet comique, cette scène verbalise une constante de l’acteur : jouer le mélange des genres, sans ostentation, comme si c’était une évidence.
Boire pour mieux faire oublier
On retient généralement trois choses concernant Colin Farrell. De la plus futile à la plus instructive : sa manie ringarde de se laisser pousser les cheveux jusqu’à ressembler à un hard rockeur des 90’s ; cette lueur enfantine dans son regard, dont ont su profité Bons baisers de Bruges et Le Nouveau monde ; l’alcoolisme de ses personnages. «C’est dans tes gènes» lui dit son pote Billy (Sam Rockwell) dans 7 Psychopathes. «Les Espagnols, c’est la corrida. Les Français, c’est le fromage. Les Irlandais, c’est l’alcoolisme». Freud se régalerait de voir Farrell revendiquer son attachement à ses origines à travers ses rôles de poivrots, mais l’Autrichien n’aurait pas beaucoup de cœur, car Farrell n’est pas un ogre digne de Depardieu. Il garde cette vulnérabilité qui l’empêche d’être l’action hero conventionnel auquel son physique avantageux le destinait. Heureusement, il a les clichés pour lui : «Quel était l’avantage de tourner The Lobster chez moi, en Irlande ? Le Whisky !». Evidemment. Bonne couverture, bien lourde, pour ne pas donner envie qu’on la soulève. Sait-on jamais, on pourrait trouver ce qui motive vraiment Farrell...
On le caste d’ailleurs pour son goût revendiqué de la bibine. C’est le cas avec Dans l’ombre de Mary, film qui a envie de le sauver, pas de lui payer un coup ; plus sympa que Fright Night, remake pourri insistant sur son statut de gros buveur (de sang). Les personnages de Farrell picolent autant que lui, d’accord, mais ils ne sont pas tous irlandais. Eux s’accrochent à la bouteille comme à une bouée de sauvetage parce qu’ils sont gris et que leur monde veut du blanc ou du noir. «T’étais pas vraiment un salaud mais pas si super que ça non plus» : voilà comment Brendan Gleeson lui détaille le profil du gars lambda condamné au purgatoire, dans Bons baisers de Bruges. «Comme Tottenham». Colin Farrell est le club de Tottenham. Tout du moins, il est aux genres sexuels ce que Tottenham est au foot anglais : un entre-deux. Il grimpe et descend sans bruit les barreaux de l’échelle de Kinsey, comme Tottenham avec le classement de la Premier League, d’autant plus facilement que le monde n’a d’yeux que pour sa bouteille à la main.
Alexandre forever
Si Colin Farrell est Tottenham, il est aussi Ninetto Davoli, jouant aussi bien que lui sur le désir de tous les sexes, avec la même constante innocence dans le regard. Il n’a pas son Pasolini attitré, c’est dommage, mais un personnage emblématique qui aurait fait merveille chez le cinéaste italien : Alexandre le grand. Le 1er grand héros hollywoodien à la virilité trouble, une sorte de bellâtre façon Tragicomix – le Gaulois enrôlé de force dans Astérix légionnaire – capable d'aimer sans se poser de questions sur son orientation sexuelle, tout en prenant de grosses ejacs' faciales de sang.
La blondeur de ses boucles donnerait des cauchemars au Christophe Lambert de Beowulf, ses jupes sont tellement courtes qu’Oliver Stone finit par le cadrer à la taille pour qu’on arrête de mater ses gambettes quand il harangue ses guerriers, et il n’est jamais battu, «sauf par les cuisses d’Héphaestion», son amant incarné par Jared Leto. Colin Farrell compose un personnage ni gay ni hétéro, mais pour le mélange (le brassage des ethnies, c’est son crédo dans le film), un gaillard qui ne voit aucune contradiction à épouser une femme le jour et à se faire passer la bague au doigt par un homme le soir. «Le monde t’appartient» lui dit sa mère, une Angelina Jolie qui ne vieillit pas malgré les 30 ans sur lesquels se déroule l’histoire, et Alexandre le conquiert avec l’idée que «l’amour entre deux hommes peut donner de belles choses», selon ses propres mots. C'est dit, c'est là et ce n'est pas le sujet du film. Stone et Farrell sont forts parce que jamais cet aspect de la personnalité du héros n’est souligné par la mise en scène, et qu'il n'est pas non plus prétexte à performance d’acteur. Les deux hommes reconditionnent Pink Narcissus dans un emballage Gladiator.
Colin joue la plupart de ses rôles comme s’il était Alexandre, avec en tête la certitude qu’il y a plusieurs façons d’aimer, sans avoir forcément à le revendiquer. Il fait juste le prestidigitateur, à orienter les regards vers son verre d’alcool. «Un mojito» commande-t-il d’une voix étonnamment grave au début de Miami Vice, avant d’entamer un bout de drague avec la serveuse. Mais ce gros romantique de Sonny Crockett, que fait-il ensuite ? Une virée en bateau à Cuba pour s'en jeter un avec Gong Li, avant de la laisser partir en mer pour se rouler dans la bromance avec Jamie Foxx (Colin aimait déjà partir en mer avec Ewan dans Le Rêve de Cassandre). Un costume de bon gros macho et un cœur de midinette, rien de tel pour aimer de plusieurs façons (même principe dans Eyes of War, où Farrell semble autant attaché à son compagnon de voyage qu’à sa femme).
Avant d’être chef de guerre, Colin a été apprenti trouffion dans Tigerland, le film qui l’a révélé. Tous ces hommes ensemble, les uns sur les autres, ça sent le crypto-gay à plein nez, tellement que Joel Schumacher ne joue jamais là-dessus. Farrell suffit à faire passer le message. La preuve en image. Il vient de faire le sexe avec une fille levée dans un bar, à côté d’un pote occupé à faire la même chose, mais lorsqu’il se lève, la fesse triomphante dans l’encadrement de la porte, son compagnon de débauche allongé nu sur le lit à l’avant-plan, on dirait une image sorti d’un porno gay 70’s ou d’un Paul Morrissey avec Joe Dallesandro.
Il y a un malentendu dans Ondine qui vient de là, ou pas loin. Colin est un pêcheur (irlandais), il a trouvé une femme dans ses filets, a volé des vêtements pour elle et le confesse au prêtre. Le curé, lui, le premier truc auquel il pense, c’est que ce coquin de Colin pique des robes pour se travestir. Forcément. En plus, la fille en question, personne d’autre que lui ne la voit pendant 30 minutes, ce qui nous laisse le temps d’imaginer qu’elle est dans sa tête, une extension dans l’espace de sa féminité ou un truc du genre...
Il n’y a pas de travesti dans le camp militaire de Tigerland. Les insultes homophobes fusent pourtant, juste par principe, sans viser un comportement spécifique, mais elles troublent encore la sexualité du protagoniste, jusqu’à cette fin qui ferait presque passer le réalisateur du Droit de tuer ? pour un progressiste. Farrell part pour le front, laissant son meilleur pote derrière lui et ce dernier s’inquiète : «Tu m’écriras là-bas ?». Le mariage pour tous, à l’armée c’est possible, où un troufion dit adieu à un autre comme le faisait l’épouse d’autrefois avec son soldat de mari.
Se faire taper comme Schwarzy
Quand Farrell signe pour la nouvelle adaptation de Total Recall, on se dit que son cerveau doit être confit au whisky. A moins qu’il ne voit l’occasion – imaginons qu’il soit intelligent – de se faire plaisir, à défaut de jouer pour la 3ème fois un homme aimant les hommes, après Alexandre et La maison au bout du monde. «Si je prends un 3ème rôle gay, dit Farrell, mon agent me tuera. Je suis sûr qu’il pense déjà que ca été dommageable pour ma carrière». En dehors des plateaux de tournage, Colin Farrell soutenait activement le mariage pour tous en Irlande, et avait l'habitude de tabasser les types qui insultaient son frère homo, Eamon. Dans Total Recall, il trouve un rôle dont il a vu les effets sur Schwarzy : celui d’un mec bien musclé malmené par les femmes et même féminisé, qui prend un coup d’escarpin dans les parties et passe la frontière martienne déguisée en rombière. Sous la rombière, le Terminator : c’était tellement bien chez Paul Verhoeven que Len Wiseman a évité de le refaire, sans se priver d’essaimer quelques petits trucs à grignoter.
Dans le rôle de l'épouse et secouriste, Kate Beckinsale fait bouillir la marmite de son Farrell ouvrier ; quand elle l’étreint, elle est capable de l’étouffer, et lorsque Jessica Biel pose ses pattes sur lui, elle le traque exactement comme la reine pondeuse avec Ripley à la fin d’Aliens, le retour : on se retrouve avec le même type de triangle amoureux que dans Liaison fatale, sauf que la plaie, ce n’est plus la maîtresse qui pète les plombs (et dont il faut se débarrasser ; l'adultère, c'est pas beau) mais l’épouse qui pète les plombs (et dont il faut se débarrasser ; le mariage, c'est pas beau). Le conservatisme est has been, le futur appartient aux hommes qui ne s’appartiennent plus. Colin Farrell a bien fait de prendre la succession de Matthew McConaughey avec True Detective : si ça avait été avec Magic Mike, on aurait fini par arrêter de se focaliser sur le verre de whisky et qui sait, on aurait fini par l'envisager comme un acteur novateur.
C'est bizarre mais malgré le fait que ce soit un acteur qui est tenté beaucoup de choses bien différentes, il ne m'a jamais scotché (sauf peut-être dans Phone Game). J'ai toujours une impression assez fade quand je le vois à l'écran... Même si pas mal de ses films sont de très bonne qualité (voire exceptionnels comme Le Nouveau Monde ou Minority Report).
Je sais pas trop ce qu'en pense les gens...