Sense8 : le binge-watching est-il soluble dans la haine des scooters ?
Depuis quelques jours, Sense8, la 1ère série créée par Andy et Lana Wachowski est disponible au binge-watching. Pour s'adonner à cette pratique en vogue, il nous fallait un homme dangereux, dont la haine incompréhensible envers les deux-roues n'a d'égal que l'abnégation face aux images en mouvement. Joseph, c'est son prénom, est allé pour nous au bout des destins de 8 personnages éparpillés dans le monde, reliés entre eux par de mystérieux échos psychiques. Voici le récit de son voyage immobile avec des sushis pour seuls compagnons. Autant vous prévenir : il n'est pas content.
Vous ai-je déjà parlé de mon plus profond ressentiment à l'égard des propriétaires de scooters ? Ces gens-là forment la lie de l'humanité. Pas foutus d'arborer la moindre dignité ni la plus petite parcelle d'attachement à la loi, ils font pénétrer violemment leur pratique d'un code de la route tout droit hérité de Mad Max dans un univers jusqu'alors merveilleux, où déambulaient coolos des bons pères de famille écoutant paisiblement Radio Courtoisie, mollement assis au volant de leur Clio Privilège jaune or... Quand mon rédac-chef a surgi dans le bureau, je sortais tout juste des Grands Boulevards, autrement appelés Vallée de la Mort par l'automobiliste averti. Dans ces conditions, vous aurez une idée de ma réaction face à la mission qu'il venait me confier : avaler non-stop l’intégralité des douze épisodes de la série inédite des Wachowski « brosters », Sense8, et en recenser les effets sur ma personne.
« Ne parle surtout pas du contenu, hein ? Tu ne spoiles pas. On veut que tu nous parles de ton vécu. »
Dans un premier temps je me dis que ce type est réellement bienveillant avec son lectorat et je reprends un peu confiance en l'humanité, un code Rousseau pressé contre mon cœur.
Jusqu'à cette petite précision au milieu du repas : « En plus, je vais te lire en premier et j'ai encore rien vu de la série. »
Je commence à le regarder de travers en me demandant s'il a un scooter, mais je me rappelle qu'il monte fièrement une trottinette (une autre raison de le détester qui fera l'objet d'un autre papier, plus tard).
Jusqu'à présent, vous vous demandez sûrement quel est le lien entre les scooters, Mad Max et le dernier né des Wachowski, mais comme vous avez tous en vous une parcelle de cosmo-énergie, ça ne devrait pas poser problème, vous verrez.
Me voilà donc levé dimanche aux aurores, vers 10h55. En même temps que le soleil. Ou à peu près.
Je m'abonne à Netflix. Oui, il existe encore des gens qui ont obtenu leur citoyenneté le plus naturellement du monde dans ce beau pays qu'est la France et qui ne sont pas encore abonnés à Netflix.
J'ai choisi la version confort, c'est-à-dire presque douze heures dans le lit dominical, avec plateau-repas à déterminer en fonction de mon état : junk food si l'enthousiasme est total ; n'importe quoi d'autre dans le cas contraire. Je me plais à m'imaginer dans le rôle de Philippe Noiret jouant Alexandre le Bienheureux, c'est p'tet pas si mal.
Spoiler : vous apprendrez à l'épisode 3 que j'ai pris des sushis.
Rassurez-vous, je ne vais pas spoiler Sense8 par contre. Il n'y a rien à spoiler de toute manière, en dehors du fait qu'il n'y a ni scooter, ni - et c'est sans doute le problème - aucun rapport avec Mad Max.
Avertissement : Cet article sera divisé en trois parties correspondant à trois tranches de 4 heures, non pas pour respecter le mode de visionnage recommandé par les Wacho – qui n’a aucune espèce de pertinence particulière hormis celle, sanitaire, de FAIRE AUTRE CHOSE DE SA JOURNEE – mais pour ne pas infliger au lecteur 12 chapitres ; je ne réécris pas la Bible. Avec en sus l’assurance que mon rédac-chef va pleurer de joie en voyant un plan en trois parties.
11h-15h : « Résonance limbique »
Un premier épisode avec un titre pareil, midi approchant et la nature du plateau-repas encore indéterminée, mon cerveau pense tout de suite « résistance lymphatique ». Mais non, ça n'a rien à voir.
Sense8 – comme son nom l'indique très partiellement – plonge le spectateur initialement ahuri dans un monde contemporain au nôtre, mais dont le caractère imprédictible est éclairé à la lumière spirituelle des... Chevaliers du Zodiac. Ben oui. Figurez-vous que le seul type a avoir évoqué un « 8ème sens » jusqu'à présent est aussi à l'origine de votre dessin animé préféré. Celui où un certain Pégase se fait morigéner par un capricorne doré pendant qu'Athéna se la coule douce au sanctuaire : Masami Kurumada. Je vous mens pas, c'est ce que dit ce très beau site dédié aux Chevaliers du Zodiaque. Et à dire vrai, ça ne paraît pas complètement idiot, tant Sense8 ressemble à un merveilleux mélange de spiritualités des Editions Marabout autant qu’à un chouette calembour du mot « senseï ».
Les Wacho renouent donc avec leur verbiage mystico-philosophique qu’on s’est déjà farci dans Matrix, ce film où on apprend que le monde n'existe pas et que c'est une merveilleuse raison de pratiquer le kung-fu. En combinaison SM.
La « Résonance limbique » du titre proviendrait de la « DMT » (je ne sais pas ce que c’est, et vous non plus) - molécule présente dans tout organisme vivant et qu’on dirait sortie du Tumblr C'est un signe - qui « permet de voir sa naissance, sa mort et des mondes éloignés ». Pour les plus vegan d’entre vous, c’est un peu l’équivalent du khi et pour les autres qui se repaissent de chips sursaturées en gras, des midichloriens de Star Wars. Tout ce que vous devez savoir pour le moment, c’est que « les scientifiques » (des scientifiques qui doivent sérieusement apprécier le LSD et les chemises de chanvre bio) affirment que c’est lié à un « réseau synaptique éco-biologique ». Tout va bien.
L’entame est classique, qui voile les intentions en faisant débiter aux personnages de sempiternels discours abscons renvoyant eux-mêmes à un hypothétique passé et une vague mythologie dont le spectateur devra tout apprendre. Extrait : Daryl Hannah est en train de mourir, elle entend ce qu’on imagine être des ectoplasmes lui susurrer des trucs comme « Quoi qu’il dise, rappelle-toi ce qu’il a fait » ou « Tu es l’une des nôtres ». Et pendant qu’elle agonise, huit personnes à travers le monde croisent son regard, dans leur quotidien, au temple hindou ou au Berghain, ça dépend du pays bien sûr.
C’est bien mystérieux tout ça et on aimerait en savoir davantage.
Ça tombe bien, J’AI ENCORE HUIT HEURES DE RESONANCE LIMBIQUE À ME TAPER.
Mais entre-temps, comme écrit plus haut, je commande des sushis. GRAVE ERREUR. Il fallait sortir s’aérer un peu. Ça sera pour plus tard.
15h-19h : Résistance au sommeil
Sans trop en dévoiler, les quatre heures que je m’apprête à passer sont assez similaires aux quatre précédentes, à la différence près que mon centre de gravité se trouve maintenant placé de façon assez spectaculaire au milieu de mon estomac, me faisant ressentir une forme d’osmose éco-biologique quasi parfaite avec mon lit. D’aucun incrimineront le poulpe ; pardon à Camille, défenseur de la cause animale sur Vodkaster.
L’aspect assez malin du procédé de Sense8 - que je ne peux révéler ici et qui consiste en une sorte de merveille de montage - fait corps avec les enjeux de la série, nobles et intéressants, qui cherchent à promouvoir pêle-mêle : l’autodétermination, l’entraide, le dépassement de soi ; tout un tas de choses permettant un joli manifeste LGBT et féministe, présent dès le générique. L’aspect moins malin qui nous ramène, comme je vous l’avais promis, à Mad Max : Fury Road, c’est la lourde dialectique du manifeste politique qui s'appuie sur une alternance « long bavardage / illustration par l’action », à l’œuvre dans les douze épisodes.
Là où ce cher Georges Miller fait, à l’instar de Monsieur Jourdain, « de la politique sans le savoir », et met ses personnages dans une position qu’ils n’ont pas à argumenter, dans un monde qui leur préexiste, Lana et Andy sermonnent par la bouche de leurs protégés, heureusement pour la plupart éminemment attachants. L'entreprise commence à sérieusement entamer mon Karma quand elle déploie sa carte du monde.
Souvenez-vous, ils sont huit :
Il y a une coréenne qui pratique... les arts martiaux.
Un kenyan qui conduit... un taxi-brousse.
Une britannique... DJ. À Londres. Qui consomme de l'ecstasy. (Notez bien qu’elle est originaire de Reykjavík, ce qui nous permet au moins d’entendre… Sigur Ros. ILS ONT LONGUEMENT HESITE AVEC BJÖRK).
Un policier américain... confronté aux jeunes des quartiers chauds de Chicago.
Un allemand dont les ascendants, russes, sont mafieux.
Une indienne qui s'apprête à subir ce qu'on suppose être un mariage arrangé.
Et enfin une transsexuelle qui vit, je vous le donne en mille : À SAN FRANCISCO.
Reste un acteur mexicain qui semble déjouer les clichés, ouf.
Le bestiaire posé, un cliché pour les réunir tous et on me dira que l’objectif est de dépasser tout ça.
Certes.
MAIS ENFIN SAN FRANCISCO.
19h-... : L’éternité, c’est long, surtout vers la fin
Il est 19h et je commence à sérieusement regretter de ne pas avoir exposé mon corps d’Apollon buriné par le soleil aux caresses d’Eole, MAIS LE DEVOIR EST PLUS FORT QUE TOUT. Par ailleurs, ironie du sort, tous ces mantras et cette narration cosmologique finissent par me plonger dans une douce torpeur. J’ai failli m’endormir. Un kilo de M&M's arrosé d’un Jéroboam Oasis Tropical Millésime 2015 me remettent vite sur pied.
Je suis parfaitement éveillé, mes chakras ouverts à leur maximum, plein d’amour pour mes contemporains. Le même qui encourage sur mon écran un monceau de types et de nanas (que Michel Blanc désignerait sous le doux sobriquet de nazis) à partouzer dans une piscine. Ou une salle de sport, ou les deux, je ne sais plus. Le temps n’a plus beaucoup de prise sur moi et je me demande si la londonienne de la série ne m’aurait pas refilé une de ces pilules que son père semble affectionner quand il reprend la 9ème de Beethov' au Harpa de Reikjavik. Toujours est-il qu’il y a dans le dernier tiers une série de dénouements absolument bouleversants, notamment entre deux hommes pourtant tout droit sortis d’une couv’ de G.Q, même si je n’arrive plus à savoir si ces événements me touchent à cause de ma journée complètement dissolue, de la lassitude ou de mon nouvel éveil à une conscience supérieure.
Non, l’histoire est belle, tout simplement. Et puis vient la fin, curieuse, elliptique, ouverte, stupide ? Je ne sais plus trop... Il est une heure du mat’ et j’appréhende assez mal le compte-rendu que je vais devoir fournir de cette expérience. J’ai le sentiment que le binge-watching n’a d'autre d’utilité que de développer des escarres chez ceux qui s'y risquent en ingurgitant des poulpes et des friandises, ou d’occuper le néant de quelques dégénérés ; contrairement au binge-drinking, dont la vertu n’est plus à démontrer.
Je repenserai à tout ça demain matin en sirotant mon jus vert aux pissenlits et aux petits pois.
On écoutera Jefferson Airplane avec des scooteux et on fera l’amour dans la prairie.
Je vous laisse : ils font une intégrale de La Maison des bois à la Cinémathèque Française.
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viking12 juin 2015 Voir la discussion...
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