Nerve est-il le 1er film à savoir s'adresser aux spectateurs du 21ème siècle ?
La critique lui a réservé un accueil mitigé, à l'exception du Monde. Nerve est pourtant drôle, plein de peps, pertinent : un teen movie imparfait mais qui tient de belles promesses. Cette romance connectée fait éclater le cadre douillet du genre en détachant le récit des MacBook pour le promener dans les rues de New York, en dépassant le sempiternel sermon sur les réseaux sociaux. Est-ce le film que la génération Y appelait de ses vœux sans le savoir ?
Les observateurs peu avisés auront tôt fait de trancher dans le vif à propos de Nerve : un teen movie 2.0 peuplé d’abrutis tout droit sortis de Jackass, sous l’égide gentiment dystopique d’un Hunger Games sans arcs, mais avec des iPhones.
Le Prix du danger
Le concept du jeu grandeur nature proposé par Henry Joost et Ariel Schulman, le duo derrière le film, consiste en un simple action/vérité. Mais sans vérité. On y relève des défis que l’on filme soi-même, en direct et avec son smartphone, dans l’espoir de gagner beaucoup d’argent. Argent collecté auprès d’abonnés seuls à même de reluquer et de « voter » pour leur chouchou. D’abord bon enfant, les épreuves gagnent en dangerosité à mesure que les mises augmentent, le jeu s’arrêtant quand un joueur abandonne (ou échoue). Pour pimenter le tout, les finalistes sont élus en fonction de leur popularité auprès des « watchers » (les voyeurs), autrement dit, en termes « jeunes », aux nombres de likes et surtout de followers qu’ils auront pu engranger.
Résumé ainsi, le film a des allures de Prix du danger du 21e siècle, pamphlet cynique d’Yves Boisset où Gérard Lanvin tente d’échapper à une meute de tueurs pour obtenir un million de francs sous les vivats de téléspectateurs en rut. On retrouve plusieurs thématiques propres à la satire des médias : la critique non pas seulement des médias eux-mêmes, mais aussi de la complaisance, voire de la participation active du public dans l’escalade de l’horreur (« le voyeur paie pour voir, le joueur joue pour le fric et la gloire »), panem et circenses où l’arène est figurée par le cadre en plastique d’un téléviseur ou d’un smartphone. Mais aussi le contexte social de populations paupérisées, ou en tout cas relativement désargentées, et dont le show business ferait son beurre, à grand renfort de promesses sonnantes et trébuchantes.
Et de fait, Vee (Emma Roberts), la belle héroïne de Nerve, aimerait aider sa mère, pas vraiment richissime, aide-soignante dans un hôpital public. Et pourquoi ne pourrait-elle pas porter de belles robes de princesse à 4 000 dollars ?
L'internaute n'est pas un animal politique comme les autres
Malgré ce pitch, Nerve n’est ni cynique, ni idiot, et ne se laisse jamais enfermer dans le manichéisme, allant jusqu’à rire avec ses personnages, plutôt que de rire d’eux. D’abord, premier point très important, le film se passe totalement des médias. Et est assez retors : « Are you a watcher or a player ? » implique que vous êtes soit l'un soit l’autre, et dans les deux cas que vous êtes un décérébré. Mais plus loin, la même voix, qu’on dirait empruntée à celle des Anonymous, avoue sa malhonnêteté : « c’est un action ou vérité, sans la vérité ». Que la voix soit celle des Anonymous est assez éloquent, de la même manière que l’État de droit soit de facto excommunié du game : parler aux autorités (« moucharder », selon les organisateurs) entraîne un châtiment assez expéditif. Il y a là non pas un discours sur la perversité d’Internet en général, mais sur une forme de gouvernement en vase clos, tel que pourrait l'être celui des Anonymous. Il s’agit de pointer du doigt, assez finement, une forme de gouvernance populiste et virtuelle, dangereuse, que l'anonymat d'Internet semble permettre.
« Are you a watcher or a player ? » est une falsification des termes de la vie, qu’il faut dépasser. De la même façon que le jugement d’ordre politique n’est pas synthétisable au OUI ou NON d’un référendum, ici sous la forme d’un ACCEPT or REJECT.
Du nerf
Avoir du nerf, c’est probablement ça : avoir le courage d’être observateur et acteur, mais pas seulement l’un ou l’autre. Ce qui est intéressant dans Nerve, c’est la justesse et l’équilibre de l’observation sur ce monde, de même que sa bienveillance : Vee s’enferme dans un système en même temps qu’elle s’émancipe. L’un et l’autre, loin d’être incompatibles, se complètent.
« Nerve » en anglais comme en français, c’est à la foi la fibre sensorielle, le nerf au sens anatomique du terme, mais aussi le courage. Et de fait plutôt qu’une satire, il s’agit bien là d’une romance et d’un récit initiatique, peut-être le premier de son genre à l’ère des réseaux sociaux : le Grease du XXIe siècle, où l’on éprouve son courage non pas sur une Mercury noire décapotable recouverte de flammes, mais sur une Triumph Bonneville de 1960… éclairée au néon.
Les haies de fans ont déserté les abords poussiéreux, et surgissent dorénavant en un ensemble de signes numériques : encouragements et railleries prennent la forme de « com’ » (par ailleurs souvent très drôles), émojis, cœurs et autres licornes. La mise en scène épouse merveilleusement cette nouvelle donnée en intégrant tout un bestiaire de formes empruntées aux nouveaux médias, diffractant le cadre, comme les fenêtres morcellent nos écrans.
inNERVEr le monde
Évidemment, ceci n’a rien de nouveau. Noah, Chatroom ou Unfriended, pour ne citer que ceux-là, empruntaient déjà cet arsenal esthétique. Mais pour s’y borner, de la même façon que leur propos se limitait à faire l’examen moral des nouvelles formes de communication. Comme nous le rappelions ici, ce qui faisait le prix de Noah résidait dans sa mise en scène strictement confinée à la poursuite d'un curseur sur un unique écran ; principe auquel Unfriended ajoutait un savoureux found footage à la Blair Witch. Si ces deux films se montraient particulièrement inventifs - notamment dans l’utilisation de lags ou de notifications pour accentuer la tension par exemple - l’ensemble manquait à chaque fois cruellement d’ampleur. Le premier voulait exprimer le vague à l’âme d’une génération, sans jamais vraiment dépasser l’anecdote du court-métrage. Le second appuyait trop sur le moralisme un tantinet réactionnaire : il s’agissait surtout de remettre une génération Z dans le droit chemin, à grands coups de mixeur. Surtout, aucun des deux n’osait jamais sortir sa petite tambouille charmante afin de se confronter au réel. Chatroom quant à lui un peu plus pervers, faisait mine de s’évader, mais seulement de manière simulée : il ne s’agissait là que de la projection fantasmatique d’un forum de discussion reliant ses membres. Et encore une fois, en premier lieu pour expliquer tout le mal qu’on pouvait tirer des rencontres virtuelles. Nerve a sa part de morale aussi, bien sûr, mais n’entend jamais s'y restreindre, ni se limiter au petit cadre intime de l’écran. Nerve voudrait évoquer le monde. Ce qui impressionne le plus, c’est cette manière de cinéma qui modèle la mise en scène sur la forme de son sujet : l’enchevêtrement des buildings de New York comme les plis de l’encéphale, dans lequel circule l’information, à la manière d’un cerveau géant dont nous serions les synapses et que l’on soumettrait à une tomographie.
L’espace est littéralement innervé de néons, de faisceaux lumineux indiquant la position de chaque joueur dans la ville. On pourrait penser à Tron (premier du nom) pour l’aspect graphique, mais sans le caractère autiste : il s’agit bien de New York, de ses avenues, ses diners, ses ados en quête d’amour… La réussite de l’ensemble est paradoxalement ce qui nous permet d’expliquer l’échec d’autres entreprises, comme celle de Michael Mann et son Hacker : l’incapacité à figurer la notion d’hyper-réseau autrement que par des plans de coupe gênants sur des microprocesseurs, sans en imprégner la mise en scène. Évidemment, quand il est plus important de savoir si Chris Hemsworth sait faire des pompes et se servir d’un flingue, on est davantage sur des problématiques moyenâgeuses (le mâle chevaleresque, si cher à Michael Mann)...
C.R.E.A.M = Cash Rules Everything Around Me
Le Mâle, Henry Joost et Ariel Schulman s’en moquent. Ce qui les intéresse, c’est de traiter un récit initiatique et une histoire d’amour en nous parlant de la société. Ce n’est pas un hasard si C.R.E.A.M du Wu-Tang Clan résonne dans la bouche de Vee lorsqu’elle flirte avec Ian (Dave Franco). Cet extraordinaire morceau qui dit que l’argent règne en maître et dans lequel Inspectah Deck, l’un des membres éminents du poss’, anone tristement que « living in the world no different from a cell » : vivre dans le monde n’est pas différent d’une prison. C’est là toute l’invitation du projet : puisqu’on est déjà dans une cellule, enchaîné à l’argent, autant s’en émanciper de l’intérieur. Il n’y a pas d’arrière-Monde dont les divinités serait représentées par les Anonymous.
Lorsque Vee gagne son premier dollar au jeu, elle reprend encore à son compte l’antienne du collectif new-yorkais : « Dollar, dollar bill y'all ! » Ces nombreux appels du pied au Wu-Tang ne sont pourtant pas dénués d’ironie et d’une forme plus profonde de conscience sociale. Certes, l’histoire d’amour entre ces deux jeunes blancs (becs) est belle, mais Henry Joost et Ariel Schulman ne sont pas dupes : ils n’oublient pas leur humour au vestiaire. Lorsque la mère de Vee s’alarme de recevoir les gains de sa fille au jeu sur son compte sans savoir pourquoi, un collègue noir de passage lui demande ce qui ne va pas. « J’ai reçu mille dollars sur mon compte. » Hilare, le type repart en lâchant ces mots : « problèmes de Blancs. »
-
zephsk13 septembre 2016 Voir la discussion...
-
Sushi_Overdose15 septembre 2016 Voir la discussion...
-
zephsk15 septembre 2016 Voir la discussion...
-
zephsk15 septembre 2016 Voir la discussion...
-
ChrisBeney15 septembre 2016 Voir la discussion...
-
zephsk15 septembre 2016 Voir la discussion...
-
Sleeper17 septembre 2016 Voir la discussion...
-
Grizlou16 octobre 2016 Voir la discussion...
-
TJ_McFly21 février 2019 Voir la discussion...
-
zephsk21 février 2019 Voir la discussion...