Joséphine, tu vas nous manquer

Les séries françaises pèsent-elles enfin dans la balance ?

Dossier | Par Johanna Ruiz | Le 10 juillet 2015 à 11h15
Tags : France, séries

On ne s'y attendait plus, et pourtant les séries françaises se positionnent enfin sur le marché international. Moquée pour son manque de rythme et son incapacité à se démarquer grâce à des intrigues originales, la production française remonte doucement mais sûrement à la surface. Armée d'une équipe de scénaristes et de réalisateurs supervisés par des showrunners - sur le modèle américain - et porteuse de thèmes plus universels, la France convainc de plus en plus le reste du monde de l'attrait de ses séries TV.

Plus belle la vie, Joséphine, ange gardien, Soeur Thérèse.com, Louis la Brocante, Hélène et les garçons, Sous le soleil... Tout ça, c'est fini. Faisons table rase du passé. Place aux Revenants, aux Témoins, à Engrenages, au Bureau des légendes, Borgia, etc. Toutes ces séries redynamisent le paysage sériel français et ne manquent pas de séduire outre-atlantique.

La France se met à la page 

L'exportation n'est certes pas un gage de qualité suprême pour les séries. Joséphine, ange gardien par exemple a été achetée par plusieurs pays d'Europe, tout comme Sous le soleil, à l'attrait exotique imparable. Le goût de la Riviera française, que voulez vous... Mais aujourd'hui, nombre de séries françaises n'ont plus à rougir de leur homologues anglophones. La situation a évolué, non parce que des auteurs de talents se sont soudain révélés, mais parce que la France a revu à la hausse l'intérêt de la série TV. En reconnaissant son impact culturel, elle a repensé son système de production. Les producteurs sont devenus plus ambitieux. Alors qu'un épisode français coûte en moyenne un million d'euros (les Américains peuvent mettre jusqu'à 10 millions sur un pilote), des projets se sont vus allouer le double, comme Versailles, la nouvelle commande et co-production internationale de Canal Plus. Des budgets qui grimpent, un plan d'aide de financement de la part du CNC (suite au rapport Chevalier dénonçant l'état de crise de la fiction française en 2010), des scénaristes enfin rompus aux méthodes américaines - grâce notamment à l'ouverture en 2013 d'un cursus série TV à la prestigieuse école de la Fémis - et prêts à marcher dans les pas de leur maîtres : la machine est en marche.

Le CNC a finalement enregistré en 2013 une progression de 14,1 % des ventes de fictions à l'étranger. Avec en tête des acheteurs, l'Europe de l'ouest, l'Europe centrale, l'Asie et l'Amérique du Nord. La télé française opère une mutation, indéniablement. 

Des séries fondues dans le moule américain

Naturellement, si les producteurs veulent mettre les séries françaises sur le devant de la scène internationale, il faut quelque peu réadapter le format. Les petites histoires des petites gens dans des petits villages (Louis la brocante, Soeur Therese.com, Père et Maire, etc.) relèvent davantage du gentil téléfilm inoffensif qui réconforte pendant les jours de gastro, que de la série palpitante telle qu'on la souhaite aujourd'hui. Véritable institution aux Etats-unis, la série TV a des qualités de réalisation et d'écriture toujours plus proches de celles du grand écran. Les productions françaises ont finit elles aussi par sauter le pas, et commencent à proposer des formats semblables aux américaines. Les épisodes se concluent par un cliffhanger et le soap a été remercié. Cerise sur le gateau : ces séries commencent à se constituer une identité formelle.

C'est le cas des Revenants, qui a remporté le prix export TV France international (ce prix récompense les programmes français les mieux vendus à l'étranger). Produite par Canal Plus, cette série bénéficie d'une photographie et d'une atmosphère très identifiables dans le paysage télévisuel français. Et pour cause : Fabrice Gobert, son auteur, n'hésite pas à revendiquer l'influence de Twin Peaks sur sa création. Les Témoins, première série de France Télévision exportée outre-Manche (et dans une dizaine d'autres pays) semble elle aussi "formatée" pour l'exportation : plans généraux, voix post-synchronisées, réalisation léchée aux airs de polar nordique, personnages aux sombres secrets... N'oublions pas Marseille, vendu comme un House of Cards à la française, avec Gerard Depardieu et Benoit Magimel, produite par Netflix France. Pas encore de projet d'exportation à l'horizon, mais force est de constater que les Français s'alignent une fois de plus sur le modèle américain, avec un casting d'acteurs qu'on ne présente plus. D'ailleurs, c'est aussi le cas du Bureau des Légendes, avec Mathieu Kassovitz dans le rôle principal. Cette série sur les services secrets français a volontiers été comparée au meilleur de la fiction américaine.

De la couleur locale

Les Revenants, bien que pensé pour l'exportation, garde une "couleur locale" indéniable, avec une atmosphère poétique et une approche psychologique fouillée, où le revenant n'est pas un zombie assoiffé de sang, mais métaphoriquement le souvenir des morts qui nous hantent. La productrice Caroline Benjo expliquait récemment à Ecran Total que si la série a pu autant plaire à l'international, c'est « par l'alliance de quelque chose de très français et local mais qui basculait dans un imaginaire fort, alors qu'habituellement les séries françaises ont tendance à se situer dans une approche très naturaliste et réaliste du récit ». Un Village Français a lui aussi battu des records d'exportation, vendu dans 25 pays dont les Etats-Unis. Un Village. Français. Seconde Guerre mondiale : des mots a priori pas assez palpitants pour traverser les frontières (la série historique fait le bonheur de France 3 depuis 6 ans, suivie par 3 millions de téléspectateurs) et qui ont pourtant trouvé preneurs à l'international.

Des thèmes plus percutants mais universels

Un meilleur budget, c'est fait. Une équipe de scénaristes mieux organisée sous la tutelle d'un guide suprême, c'est fait aussi. Maintenant, « y'a plus qu'à » comme on dit. Les scénarios originaux et audacieux ne courent pas les rues, encore moins en France pense-t-on, mais la donne a clairement changé depuis quelques années. Même si les chaînes publiques sont plus frileuses que les networks concernant certains sujets et freinent l'enthousiasme des scénaristes, ceux-là oeuvrent d'avantage pour renouveler les thèmes des programmes, à la fois moins consensuels, moins "gentillets", et plus universels : du meurtre, du polar, du mystère, du mort-vivant, de la guerre, du porno, les vices de la papauté, etc.

Borgia, en s'accaparant l'histoire dramatique et scandaleuse de la famille Borgia à la sauce Game of Thrones, a mis un pied dans un autre univers. A la manière de Maison close, de Pigalle la nuit, et même de Hard. Cette dernière, sur le mode comique, met en scène une femme endeuillée par la mort de son mari, qui pense reprendre son entreprise florissante d'informatique, mais va devoir en fait gérer le business pornographique du défunt pour faire vivre sa famille. Les Témoins n'a de français que la situation géographique et la présence on ne plus franchouillarde de Thierry Lhermitte. Si on fait abstraction de ça, c'est un polar universel, sans véritable couleur locale, qui peut s'exporter partout. L'esthétique grise et glacée évoque même les thrillers nordiques tels que Millenium ou encore la série The Killing, elle-même remake d'une série suédoise. Tout le monde semble s'inspirer de tout le monde, pour un abolissement des frontières télévisuelles.

De l'art de la co-production internationale et du remake

Avec l'exportation, est venu le temps de la co-production, des collaborations non négligeables pour les chaînes françaises. Canal Plus, notamment, n'en est pas avare. Borgia est le fruit d'une co-production allemande et française, tournée dans la langue de Shakespeare et dont le créateur n'est autre que Tom Fontana, connu pour son travail à HBO sur la série Oz. Versailles, dont les créateurs sont Simon Mirren, (scénariste sur Esprits criminels) et David Wolstencroft (créateur de MI-5) - prochainement sur Canal Plus - bénéficie d'un casting international et d'un budget collossal. Les américains, friands de remake, se penchent aussi de plus en plus sur les créations made in France. Ainsi Les Revenants, Hard et Engrenages font l'objet d'adaptations américaines. Les Français peuvent donc peser dans la balance internationale, même si le chemin à parcourir est encore long pour se hisser au niveau des Américains, des Anglais, ou même des Nordiques.

Toutefois, on peut se demander s'il est véritablement essentiel de copier le modèle américain. Même s'il est réjouissant d'avoir des séries intéressantes qui gomment les défauts des conceptions modestes à la française, ne risque-t-on pas aussi de gommer ce qui fait notre particularité et de perdre la saveur unique et typique de nos bons vieux programmes nationaux ? Mimie et son célèbre claquement de doigt ne risquent-ils pas de nous manquer un jour ? Même rien qu'un peu ?

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