Les séries animées ont-elles fini leur crise d'adolescence ?
C'était il y a 26 ans : le dessin-animé à la télé se voyait accorder simultanément les bonnes grâces des critiques et du public. Les Simpson, sitcom à l’esthétique acidulée enfantine mais au propos largement adulte, ouvrait la voie à un changement radical des codes de l'animation à la télévision. Renouvelée au printemps dernier pour encore deux saisons supplémentaires, cette série satirique visant la classe moyenne américaine n'est plus que l’ombre d’elle-même. Heureusement, dans son sillage, d'autres programmes ont émergé, de nouveau portés aux nues par la critique et par les spectateurs, mais des spectateurs de quel âge exactement ? BoJack Horseman, Rick and Morty, Monkey Dust : à qui s'adressent ces séries dites pour adultes, qui puisent dans la culture populaire afin de mieux critiquer notre société ?
Dans les années 90, BoJack était une star du petit écran, l'acteur principal d'une sitcom intitulée Horsin' Around. Depuis l'arrêt de cette dernière, il erre entre alcoolisme, drogue et sexe à outrance. Dépressif et égocentrique, il tente de renouer avec la renommée en écrivant son autobiographie... Tel est le point de départ de BoJack Horseman, pas si éloigné que ça de celui de Louie par exemple, à ceci près que BoJack est un cheval.
Un muffin contre l'armée
Et un cheval qui aime la provocation et s'en prend aux plus belles valeurs de l'Amérique dès le deuxième épisode de sa première saison. Au cours d'une descente au supermarché après une nuit agitée, BoJack achète par défiance un paquet de muffins pour contrarier un Marine qui en revendique la propriété. L'affaire nourrit rapidement les médias d'info en continu et dérape lorsque le canasson has been déclare détester les troupes américaines à l'étranger, estimant que peu d'entre elles recèlent des héros. En un seul épisode, les créateurs de BoJack remmettent en cause le droit à la propriété, le port d'arme et l'inattaquable aura des Marines dévoués à la défense de la patrie.
BoJack ne s'attaquent pas seulement à l'Amérique. Plus globalement, la société de consommation est dans son viseur, la série n'hésitant pas à consacrer un épisode entier à l’élevage de poulets en batterie. Le tour de force des auteurs ? Mettre en scène des poulets qui agissent comme des humains et qui élèvent leurs congénères pour les tuer et les manger à leur tour. La société de consommation devient celle du cannibalisme, ni plus, ni moins.
Se servir de l'animation pour montrer les travers de la société, c'est également le propos de Justin Roiland et Dan Harmon (précédemment scénaristes pour la série Community), les auteurs de Rick and Morty. Leur série nous plonge dans les folles aventures de Rick, grand-père scientifique et fou, et de son petit-fils craintif Morty. Saison après saison, Rick ne cesse de répéter que l’éducation n'est qu'une perte de temps et que les programmes scolaires institués par des bureaucrates sont abrutissants. Pour lui, l'école de la vie est bien meilleure que celle régie par l'Etat. A travers ses voyages transdimensionnels, le duo fait connaissance avec de nouvelles civilisations et passent à la loupe nombre de régimes étatiques. Que ce soit par le biais du totalitarisme - ici, matriarcal - ou de l'esclavage, Rick and Morty dresse un portrait véridique de notre monde.
Mais l'observation acerbe de la société n’est-elle pas devenue une pratique facile au sein des séries animées destinées aux adultes ? Si South Park se veut depuis 1997 le programme qui répond le mieux à l’actualité chaude, l'ephémère Monkey Dust s'est montrée carrémment capable, elle, d'anticiper l'actualité.
L'animation comme réponse à la crise
Et si l’animation permettait de contourner la censure ? C'est la question que s'est posé Harry Thompson, le créateur de Monkey Dust, série télé diffusée entre 2003 et 2005 sur BBC 3 ; lui qui avait justement été la cible des censeurs à l'époque où il écrivait des sketchs pour les prime time de sa chaîne. Bien loin de l’enrobage acidulé de la plupart des séries animées, Monkey Dust est aussi noire dans son dessin que dans ses propos, et dresse le portrait de la société britannique à travers des sketchs ayant pour thème le meurtre, le suicide, la pédophilie, la manipulation de masse, le terrorisme, la solitude. Avec lucidité ; certains critiques n'hésitant pas à affirmer que la série aurait anticipé les attentats londoniens de mars 2005. Monkey Dust a d'ailleurs inspiré le film We Are Four Lions.
Au delà de la censure ou de la frilosité des décideurs à voir certains sujets portés à l'écran, le recours à l'animation permet également de se libérer des contraintes économiques. Un épisode de série animée coûte en moyenne 100 000 € tandis que le pilote d'une série conventionnelle, avec ses acteurs de chair et d'os, revient entre 1 million (pour Lost par exemple) et 20 millions d'euros (pour Boardwalk Empire). L'animation sert de plus en plus de tremplin aux jeunes auteurs. Elle est peu coûteuse, regardée de haut ou ignorée sur le marché des séries : les studios sont donc moins regardants quand il s'agit de se risquer à produire ces nouveautés, généralement initiées par des trentenaires qui n'ont pas la langue dans leur poche et s'adressent à un public adulte bien ciblé.
Des séries qui savent parler aux adultes hyper connectés
Faire une série destinée aux adultes uniquement : tel est le crédo de Raphael Bob-Waksberg, le créateur de BoJack Horseman. «Aux Etats-Unis, on a des cartoons qui visent les adultes, comme les Simpson ou les Griffin. Mais si les gens sont prêts à accepter que les dessins-animés soient pour les adultes, ils les voient toujours comme quelque chose qui n'est pas sérieux. Les dessins-animés clairement destinés aux adultes que nous avons sont assez vulgaires et les blagues sont plus ou moins les mêmes » explique Bob-Waksberg à Slate. « Je voulais faire une série un peu plus complexe, vraiment destinée aux adultes. Et pas adulte à cause de son humour, de la vulgarité ou des situations spécifiques. Adulte parce qu'on évoque des sujets mûrs et des problèmes que rencontrent les adultes ». Pour trouver leur public et le succès, les créateurs de tous ces programmes savent profiter du même outil : Internet. Le coeur de cible de ces séries animées, c’est certes l’adulte, mais l'adulte hyper connecté. De ce fait, la réussite de ces séries tient à l’interaction entre les personnages et les spectateurs du show.
Il y a un an et demi de cela, Adult Swim, la chaîne de télévision américaine spécialisée dans les séries animées pour adultes, a fait un gros coup en postant sur Instagram un épisode de Rick and Morty. Inédite, cette expérience de visionnage d’un épisode de série en 109 morceaux de 15 secondes, bien au delà de la performance audiovisuelle, a rappelé que cette sitcom s’employait à faire de l’oeil aux 20-35 ans, des jeunes gens connectés. Dans les séries d'animation, il y a bien eu des précédents transmédias, comme avec le compte twitter de l'agent secret Archer Sterling, mais rien au niveau de l'enthousiasme entourant aujourd'hui BoJack, dandy chevaleresque de la twittosphère. Le compte twitter de BoJack Horseman permet de continuer sur le net l'aventure animée : en interaction directe avec ses fans, BoJack 2.0 commente l'actualité avec ironie, lance des punchlines ou postent des inédits de la série sur son compte.
De la culture internet au réalisme social
La culture internet n'est pas seul le point commun à ces nouvelles séries bourrées de jeux de mots et de références à la culture populaire, au cinéma, à la peinture : une sympathique parodie de Freddy Krueger se glisse ainsi dans le deuxième épisode de la saison 1 de Ricky and Morty, alors que les amateurs d'art pourront constater que Lisa Hanawalt, la dessinatrice de BoJack, offre à chaque recoin de la série des clins d'oeils à des chefs-d'oeuvres, entre autres A portrait of an Artist de David Hockney dans lequel figure BoJack ou encore La Danse de Henri Matisse. Elles font appel à une certaine exigence culturelle et comptent en plus sur un public connaisseur des codes de l'animation. Et elles prennent le risque de parler de la dépression. Comme Pixar il y a peu avec Vice-Versa, BoJack et Rick and Morty n'hésitent pas évoquer le mal du siècle derrière le voile de la comédie. Déjà abordée au cinéma par des maîtres tels que Woody Allen, Sofia Coppola et Wes Anderson, la dépression prend son pied dans les séries animées. De la culture au cynisme, en passant par l'interaction et Internet, ces programmes ont décidément tout compris aux jeunes adultes.
@Altoy : You got it !
Et merci beaucoup @Paprika et @torukmato : aussi vous me conseillez fermement Korra ?