Le véritable héros de Mission : Impossible 6 sera-t-il une héroïne ?
Rien de plus banal que de voir Tom Cruise accroché à un gros avion, pour de vrai, au moment de son décollage. A l’impossible, nul n’est tenu, surtout pas son personnage d’Ethan Hunt, à qui rien ne résiste depuis bientôt vingt ans… Au sein de cette série cinématographique qu’est devenu Mission : Impossible, l’épate ne peut plus venir de ce seul personnage. L’acteur-producteur qui l’interprète l’a bien compris. Pour la première fois, il partage sa capacité à l’exploit avec un véritable alter ego, doté d’autrement plus de charisme que le traître qui prenait sa place et son visage dans Mission : Impossible 2. Elle s’appelle Ilsa Faust. C’est une femme et contrairement à celles de Skyfall, elle n’a pas vocation à se réfugier dans la cuisine quand une fusillade éclate, ni à rester rangée derrière un bureau, mais à devenir la nouvelle héroïne de la série.
Mission : Impossible 5 n’est pas un film porté sur l’humour, alors ses très rares vannes, on les remarque. C’est le cas à la fin du briefing d’une nouvelle mission abracadabrantesque, pleine d’épreuves toutes plus insurmontables les unes que les autres, quand Simon Pegg conclue tranquillement : « Trois minutes en apnée sous l’eau ? Pas de problème pour lui ! ». Lui, c’est Cruise/Hunt, qui fait les gros yeux, signifiant que ce n’est pas parce qu’il peut y arriver que c’est une formalité pour autant…
Solitaire mais solidaire
La série Mission : Impossible repose sur le travail d’équipe. Ce n’est pas le cas de son pendant cinématographique, malgré le gros sursaut de l’épisode 3, justement réalisé par un homme de télé, J.J. Abrams. Brian de Palma s’est détaché du modèle télévisé au tout début du 1er film, littéralement (Hunt quitte le moniteur de contrôle occupant l’écran de cinéma pour faire sa véritable entrée dans le champ), avant de faire éclater une 1ère fois sa routine scénaristique (tous les équipiers de Hunt meurent), puis une 2ème (les nouveaux équipiers sont des traîtres, à l’exception d’un) et une 3ème (Jim Phelps, héros de télé, est un salaud de ciné). Depuis, les films Mission : Impossible restent des aventures en solo, où les jeux de masques permettent à Cruise de jouer potentiellement tous les rôles à la fois (y compris celui d’un oscarisé, rôle inédit pour lui, en se prenant pour Philip Seymour Hoffman dans le 3). Les seconds couteaux brillent de manière fugace, en particulier les femmes, fatales mais éphémères (Léa Seydoux dont le personnage tient à son décolleté et à la capacité de ce dernier à détourner l’attention), James Bond Girl (Maggie Q dans le 3, Paula Patton dans le 4), figures romantiques (parfois très belles, comme dans Mission : Impossible 2, quand Thandie Newton s’injecte le virus Chimera juste avant que Cruise ne saute dans le vide), puissantes mais brèves à l'écran (Vanessa Redgrave dans le premier film) ou personnages-impasses (Michelle Monaghan dans les épisodes 3 et 4, compagne aussi inattendue que l’était Katie Holmes au moment du tournage). Eternel célibataire et solitaire, Ethan Hunt a appris à tout faire tout seul, extrêmement bien, au point qu’on ne s’étonne plus de le voir réaliser l’impossible, comme l’a fait remarquer Simon Pegg.
Dans ce grand numéro de cirque qu’est aujourd’hui Mission : Impossible, deux voltigeurs valent mieux qu’un. On craint pour deux vies au lieu d’une, en sachant en plus que l’une dépend de l’autre. Il faut juste qu’elles se valent. C’est le cas pour Ilsa Faust et de son interprète Rebecca Ferguson, un agent double ou triple ou quadruple, bref une solitaire persuadée de faire ce qu’il faut, tout comme Hunt, incarnée par une comédienne faisant elle-même ses cascades, tout comme Cruise. Les dernières fois qu’on a vu un corps d’actrice s’éclater autant, c’était dans Boulevard de la mort avec Zoe Bell et Piégée avec Gina Carano, sauf que la 1ère était cascadeuse de métier et la 2nde, combattante de MMA. Aucune des deux n’a fait véritablement carrière. Ferguson, elle, a fait le trajet inverse, de l’acting vers la performance physique.
Rebecca, elle aime le tango et les promenades
Mannequin à 13 ans, actrice dans une série TV à 16 ans, elle a fréquenté une école de musique, avant de diriger une école de tango et de s’installer avec son compagnon, rencontré en Angleterre, à proximité d’un village de pêcheurs de sa Suède natale. Les promenades à vélo au milieu des champs de colza ne satisfont pas totalement ses ambitions, aussi accepte-t-elle le rôle de la reine Elisabeth – pas l’actuelle, celle du 15ème siècle – dans la série The White Queen, qui lui vaut une citation au Golden Globe en 2014. Tom Cruise la remarque. Ferguson lui envoie un essai vidéo de 5 minutes qu’il apprécie, au point d'aller arracher la jeune femme à son tournage du moment. « J’ai eu un appel pendant que je tournais The Red Tent au Maroc, assise sur un chameau nommé Barbie, m’informant que je devais rencontrer Tom Cruise et Christopher McQuarrie à Londres » raconte l’actrice à Vogue. « J’ai fait un saut là-bas et 24 heures après, j’étais de retour sur Barbie ». Pas pour longtemps. La rencontre s’est si bien passée que Cruise charge son expert en cascades, Wade Eastwood, et son équipe, de se rendre au Maroc pour faire exécuter certaines chorégraphies à Fergusson et vérifier ses aptitudes physiques. « Quand je suis revenue à Londres ensuite, ils m’ont directement conduite de l’aéroport à la salle de gym. Pendant les 6 semaines qui ont suivi, je me suis entraînée 6 heures par jour, 5 ou 6 jours par semaine. Il n’était question que de travail physique ». Le 1er jour de tournage de Rogue Nation est au diapason : Fergusson doit glisser sur un filin depuis le toit de l’opéra de Vienne, en tenue de soirée, les jambes cramponnées autour de Tom Cruise, pour une descente de 35 mètres, à reproduire 10 fois afin de l’avoir sous tous les angles de caméra. Ce ne serait pas drôle si en plus l’actrice n’avait le vertige…
Une Ingrid Bergman qui aurait appris à se battre
Hitchcockienne jusqu’au bout Rebecca, avec son prénom hitchcockien, sa peur du vide de héros hitchcockien (Sueurs froides), ses origines d’actrice hitchcockienne (suédoise comme Ingrid Bergman ; Les Enchaînés) et son double rôle additionnant ceux de l’assassin et du sauveteur de L’homme qui en savait trop, justement lors d’une longue et forte séquence à l’opéra de Vienne, inspirée d’Hitchcock, de l’aveu même de McQuarrie. La première d’une longue série d’entrejambes, où Ferguson fait remonter le canon de son fusil entre ses cuisses tel un pénis en érection, pour se livrer plus tard à d’innombrables et athlétiques reformulations infernales de cunilingus, fatales à tous les hommes pris dans son étau...
Ilsa est cool seulement parce que c’est une dure à cuire et qu'elle tape les messieurs ? Non, c’est plus riche que ça. Comme le fait remarquer Ferguson à Time, elle se devait d'être une Ingrid Bergman qui aurait 30 ans aujourd’hui, une star des années 40 qui aurait appris à être aussi vindicative que les héroïnes actuelles. « Quand Christopher McQuarrie et Tom Cruise m’ont décrit le rôle, ils ne parlaient pas de « femme forte » ou de « femme fatale », des mots qu’on a l’habitude d’entendre quand on évoque des personnages féminins » détaille l’actrice. « Ils ont dit « indépendante », « forte », « l’alter ego d’Ethan Hunt »». Comparée par certains à Greta Garbo, Veronica Lake, Katharine Hepburn, Lauren Bacall ou Ingrid Bergman – inévitablement, parce que son personnage dans Rogue Nation a le prénom de celui de Bergman dans Casablanca, ville où se déroule en plus une partie de l’action du nouveau Mission : Impossible – Ferguson se pare de cette classe androgyne qui fait de son personnage bien davantage qu’une femme à séduire. Il ne se passe rien entre elle et Hunt d’ailleurs, rien de conventionnel en tous cas. L’harmonie entre eux deux brille durant les scènes de combat. On dirait deux danseurs exécutant leurs pas à la perfection alors qu’ils sont pour la première fois dans les bras l’un de l’autre.
Une seule femme, est-ce bien suffisant ?
Il avait cette harmonie immédiate, chorégraphiée, entre Tom Cruise et Thandie Newton, lors d’un accrochage automobile dans Mission : Impossible 2, mais le personnage de Newton n’était pas une guerrière. Même chose pour Michelle Monaghan dans Mission : Impossible 3, qui ranimait Hunt en sa qualité d’infirmière, excellant ainsi dans le rôle de soigneuse, pas dans celui de tueuse. Avec Ilsa Faust, on gagne en ampleur. Les ombres tatouent sa peau de peinture camouflage, faisant d'elle une tigresse en cage, mais toujours dangereuse.
Ethan et elle sont faits pour être ensemble parce que chacun connaît d’instinct les mouvements de l'autre. Nessun Dorma, l’air de Turandot, l’opéra de Puccini qui se joue à Vienne dans le film, devient progressivement le thème musical du duo, charriant avec lui l’histoire de ce prince tombé amoureux d’une princesse réputée imperméable à l’amour, et dont le destin tient entre ses mains à elle. Dans Forbes, le journaliste Scott Mendelson prévient pourtant : Ilsa est un immense personnage féminin, certes, mais il est surtout le seul personnage féminin du film, la seule femme à l’écran pendant plus de 2 heures, si l’on excepte la vendeuse d’un magasin de disque, la technicienne à la lumière de l’opéra et Zhang Jingchu, qui doit d’avoir son nom au générique à la seule coproduction chinoise (à moins qu'elle ait davantage de répliques dans une version chinoise du film). Autre méfiance, selon Mendelson : la jurisprudence Alicia Vikander, autre actrice suédoise très remarquée dans une production en costumes, dont la seule récompense hollywoodienne est aujourd’hui d’être LE personnage féminin dans des histoires entièrement menées par les hommes. Comme l’a déjà remarqué Slate, on se retrouve face à une comédienne qui passe d’actrice à « réactrice », à l’image de Sienna Miller dans American Sniper et Foxcatcher, recruté pour jouer un personnage uniquement capable de réagir plutôt que d’agir. Si on ajoute à ça les affiches de teasing de Mission : Impossible 5, montrant Ferguson en combi cuir, dans une posture tits and ass, dont l’inélégance a même été déplorée par Simon Pegg ; on se demande alors si le progressisme accompagne réellement Ilsa Faust.
Au prochain épisode : Tom Cruise en talon aiguille
On a pourtant envie d’y croire et de s’en remettre à cette jolie scène de Mission : Impossible 5 dans une gare de Londres, le pendant de l’autre grande scène de gare de la série, dans le 1er épisode. Chez De Palma, Hunt se retrouvait à la croisée des chemins, libre d’interpréter les propos de Phelps et de voir en Claire (Emmanuelle Béart), une alliée plutôt qu’une traîtresse. Chez McQuarrie, il n’y a plus d’interprétation à faire, pas d’intermédiaire non plus. Ilsa est là, en face de lui, et elle lui demande, cash, s’il ne veut pas prendre la poudre d’escampette avec elle. On s’en fout des terroristes, on s’en fout de l’espionnage et du contre-espionnage qui finissent par se valoir, on se barre, tous les deux. Déjà que dans le film, elle demande à Hunt de lui retirer ses talons pour courir plus vite, alors qu'auparavant Ethan reluquait ses chaussures de soirée comme s'il était Carrie Bradshaw...
Soudain, plus que dans les épisodes 3 et 4 où la perspective de rester avec Michelle Monaghan annonçait la fin de la série, la retraite pour Hunt, cette proposition sonne comme une promesse d’aventure, donc de film, comme si Ferguson castait Cruise et lui demandait de refaire avec elle Night and Day, en plus sérieux et en inversant les rôles. A lui de suivre, à elle de mener la danse. On aimerait croire que quelque part, dans un bureau de la Paramount, quelqu’un prenne les paroles d’Ilsa pour argent comptant, et que Mission : Impossible 6 soit pour elle.
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youliseas19 août 2015 Voir la discussion...
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ChrisBeney21 août 2015 Voir la discussion...
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youliseas21 août 2015 Voir la discussion...
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ChrisBeney9 décembre 2015 Voir la discussion...
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DrStrangelove24 juin 2016 Voir la discussion...
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ChrisBeney24 juin 2016 Voir la discussion...