Le Hobbit et Star Wars : le syndrome de la trilogie de trop
Dernier volet de la trilogie tolkienienne réalisée par Peter Jackson, Le Hobbit : la Bataille des Cinq Armées, est dans les salles. C'est rigolo : cette phrase marchait aussi très bien le mercredi 17 décembre 2003, date de sortie du Retour du Roi, le dernier volet de la précédente trilogie tolkienienne réalisée par Peter Jackson. En 11 ans, les choses ont pourtant changé. Beaucoup changé. Car une première trilogie qui cartonne, c’est finalement comme un premier album qui devient un hit mondial : il est toujours difficile d’enchainer sur un deuxième hit de la même qualité. Et c'est exactement ce qu'a connu George Lucas avec sa seconde trilogie Star Wars...
Vous reprendrez bien un peu de pudding ?
Lorsqu’il fut annoncé en 2008 que Le Hobbit serait adapté en un seul film par Guillermo Del Toro (avant un second faisant le lien avec La Communauté de l’Anneau), un vent de fraîcheur souffla en Terre du Milieu : après les trois épisodes maousses de Peter Jackson pour Le Seigneur des Anneaux, le studio New Line semblait décidé à aller au plus simple et au plus évident. De toutes manières, le roman d’origine, petite histoire d’aventures pour enfants longue d'à peine 300 pages, ne méritait certainement pas trois films de trois heures pour son adaptation... Sauf que, lassé par la lenteur de la pré-production et pas aidé par les difficultés financières de la MGM (qui détenait une partie des droits), le réalisateur mexicain finit par jeter l’éponge. Éponge rattrapée au vol par Jackson qui n’attendait que ça. Et l’un des premiers effets de cette reprise en main, c’est la Jackson’s touch : le bouquin ne fait que 300 pages ? Tant pis, faisons quand même nos trois films bourrés de batailles, de sous-intrigues et d’histoires d’amour. Alors que la première trilogie faisait plutôt dans l’ellipse (le sautillant Tom Bombadil évincé car trop kitsch, le nettoyage de la Comté sans doute trop redondant en conclusion), la seconde se retrouve obligée de faire du remplissage. Quitte à tout nous montrer : le combat des géants de pierres est à peine évoqué dans le livre ? Il occupera pourtant dix minutes du premier épisode. Malgré ses prouesses, la séquence n'atteint pas la puissance épique du duel face au Balrog dans la Communauté de l'Anneau, de la bataille du Gouffre de Helm dans les Deux Tours ou de la charge des Rohirrim dans le Retour du Roi.
Une autre scène, issue de la Désolation de Smaug, est à ce titre particulièrement représentative de cette dérive : celle des tonneaux. Dans le livre, il s’agit d’une petite aventure somme toute modeste, sans grandiloquence et assez rapide. Dans le film, Jackson transforme ça en grand-huit de Foire du Trône : les tonneaux dévalent la rivière à une vitesse folle, tout en étant assaillis d’Orques et de Gobelins, tandis que Legolas et Tauriel leur viennent en aide en sautant de rochers en rochers et de branches en branches tels de joyeux cabris. Encore une scène de dix minutes totalement survoltées, qui est une nouvelle fois une prouesse visuelle, techniquement impeccable (malgré ces plans rapides en… GoPro ?!), mais dont on ressort épuisé, sans avoir bien saisi son utilité à la progression du récit... Il y a évidemment des raisons économiques derrière cette volonté d’étirer les péripéties et de gonfler les films : trois longs-métrages rapportent davantage qu’un seul, demandez donc aux producteurs de Harry Potter et Twilight qui coupent leurs épisodes finaux en deux. Et cela a des conséquences directes sur la dramaturgie. Le second volet du Hobbit sert surtout de transition devant nous mener à l’immense bataille de conclusion qui viendrait faire le lien avec le commencement du Seigneur des Anneaux. Alors oui c’est spectaculaire, oui il est toujours plaisant de se replonger en Terre du Milieu, mais quand il n’y a rien à y faire, on peut aussi s’ennuyer.
Concernant George Lucas, la tâche qui lui incombait avec sa prélogie était de taille : raconter les origines du Mal, en revenant sur la jeunesse d'Anakin Skywalker et sur ce moment fatidique où il devient Dark Vador. Mais il fallait bien que les trois films aient de la matière pour pouvoir tenir sur la durée, notamment en rajoutant de nouveaux personnages à un univers déjà bien étendu. Et c'est là que Lucas a eu la merveilleuse idée de créer l'un des personnages les plus horripilants de toute l'histoire des personnages horripilants : Jar-Jar Binks. On aurait aussi pu citer le Anakin version enfant de 8 ans (interprété par Jake Lloyd, qui n'a rien fait par la suite... comme quoi, il y a une justice), particulièrement énervant avec sa coupe au bol et ses mimiques trop mignonnes pour être honnêtes. Heureusement, Lucas reviendra (un peu) à la raison par la suite, Jar-Jar Binks devenant un simple second rôle dans les épisodes suivants, et Anakin ayant logiquement grandi. Il sera remplacé par le quasiment autant insupportable Hayden Christensen, mais au moins ce dernier est indispensable à l'histoire. Les quelques séquences d'action, là avant tout pour nous montrer à quel point ILM a fait des progrès dans le domaine, ne sont pas indispensables, elles, mais globalement, Lucas évite de tomber dans le même piège que Jackson. La course de pods du premier épisode est le bon exemple d'une scène visuellement puissante, tout en possédant un réel intérêt dramaturgique (c'est tout de même grâce à cette course qu'Anakin gagne sa liberté). Louons George Lucas de ne pas avoir réduit sa seconde trilogie à une simple succession de séquences d'action sans queue ni tête ! On ne peut malheureusement pas en dire autant de Peter Jackson.
Des enjeux et des hommes (et quelques femmes)
Dans Le Hobbit de Tolkien, il est question d’une troupe de nains, aidée d’un Hobbit et d’un magicien, qui souhaite reconquérir son royaume aujourd’hui déchu, et sur lequel règne un dragon malfaisant. Un excellent récit d’aventures, naïf et entraînant, mais très loin des implications de l’anneau maléfique du Seigneur des Anneaux. Jackson et ses co-scénaristes (les inamovibles Fran Walsh et Philippa Boyens) tentent bien de créer des sous-intrigues un minimum prenantes, quitte à ce qu’elles froissent les puristes de Tolkien (une histoire d’amour entre une elfe et un nain ? WHAAAT ?). Des sous-intrigues, imaginées ou non, il y en avait dans la première trilogie, mais elles s’imbriquaient bien mieux dans le récit, et lorsque l'on croyait Aragorn (Viggo Mortensen) tué dans son combat avec un Orque chevauchant un Warg, on partageait la peine d’Eowyn (Miranda Otto). Ce qui peut advenir du triangle amoureux entre Tauriel (pardon ?), Kili (hein ?) et Legolas (…), on s’en fiche un peu... Et le personnage titre, pourtant interprété de fort belle manière par Martin Freeman, est finalement celui qui reste le plus en retrait. Au lieu de se soucier de Bilbo, on se surprend à tenter de retenir les noms des différents nains à l’écran (et chapeau à celui ou celle qui y parvient).
L'aspect le plus réussi de La Bataille des Cinq Armées, concerne tout le traitement de la folie de Thorin (Richard Armitage) au contact des richesses de son royaume retrouvé. Pour les plus tordus d’entre nous, on serait même tentés d’y voir une parabole sur Peter Jackson lui-même : comme son personnage, Jackson s'est retrouvé à la tête d’un empire et d’une somme d’argent monumentale qui lui ont peut-être fait perdre la tête, ainsi que tout sens de la mesure, alors qu'il a commencé sa carrière dans la marge punk et anti-consensuelle (les cultissimes Bad Taste, Braindead et Les Feebles, des Muppets sous LSD). Puisque l’une des choses que l’on met le plus en avant sur ses trois derniers films est leur aspect technique (« à voir obligatoirement en 3D et HFR ! »), il y a fort à parier que Jackson ne s'intéresse pas tant que ça à son histoire, ni à ses personnages.
Lucas n'a pas été confronté à ce manque d'enjeu. C'est même un des problèmes de la prélogie : son trop-plein d'enjeux, et surtout leur intégration maladroite au récit. Entre les histoires d'embargo, les combines politiques, les discussions au Sénat, on a du mal à saisir où Lucas veut nous emmener. L'ambition est là, avec cette volonté de rendre son histoire plus sombre et plus adulte, et on pense fort aux enfants qui riaient tant des pitreries de Jar-Jar Binks et qui ne doivent absolument rien comprendre à toutes ces intrigues, alorsq que la première trilogie traitait de sujets bien plus limpides (l'amitié, l'amour, l'honneur, la filiation), accessibles à tous, sans pour autant tomber dans le simplisme et la naïveté (exception faite des Ewoks). Il n'y avait nul besoin de longs débats politiques pour saisir pleinement les enjeux de la révélation de Dark Vador annonçant à Luke qu'il est son père (oups... spoiler) dans le climax de L'Empire contre-attaque, ou bien du combat entre Luke, Vador et l'Empereur à la fin du Retour du Jedi. Et pourtant, nous étions emportés par la dimension opératique de ces séquences, dont les pics d'émotion surpassaient n'importe quel moment de la trilogie suivante.
Il faut dire aussi que les comédiens sont pour beaucoup dans l'implication émotionnelle des spectateurs, mais entre 1977 et 1999, Lucas paraît avoir perdu toute capacité à diriger correctement ses comédiens. Les grands noms ne manquent pas dans cette prélogie, mais ils ont si peu à jouer qu'il est difficile de ressentir quoique ce soit, y compris dans les moments supposés être émouvants. Tous ces excellents comédiens (bon ok, pas Hayden Christensen) sont aussi mobiles que des bouts de bois, récitant sans conviction leurs textes. Amusez-vous à compter le nombre de plans où Natalie Portman est juste assise sur un canapé à discuter, sur l'ensemble des trois films. Où le nombre de fois où Ewan McGregor et Samuel L. Jackson conversent en marchant longtemps et lentement dans de jolis couloirs. C'en est effrayant, tant de talents gâchés. Et plus globalement, on est en droit de se poser LA question existentielle par rapport à cette seconde trilogie : était-il nécessaire de nous raconter les origines de Dark Vador ? Et surtout : c'est quoi cette histoire de midi-chloriens ??
Coucou ! Tu veux voir mes bits ?
Entre le début de la pré-production du Seigneur des Anneaux et la sortie de ce dernier épisode du Hobbit, 16 années se sont écoulées. Seize années durant lesquelles les effets spéciaux ont fait un bond qualitatif monumental. En 1998, les limites du numérique avaient obligé Peter Jackson et son complice Richard Taylor (fondateur de Weta Workshop et responsable de l’intégralité des effets pratiques des 2 trilogies) à élaborer une quantité démentielle de maquillages et de décors en dur. Une quinzaine d’années plus tard, ces limites n’existent quasiment plus. Dès lors, pourquoi se priver de créer numériquement ce que l’on mettait auparavant des semaines à construire de ses mains ? C’est là un des problèmes majeurs de cette seconde trilogie. Peter Jackson, en réalisateur généreux qu’il est, aime en mettre beaucoup dans ces films. Il aime les effets spéciaux numériques et se prive rarement de les utiliser. Pour le meilleur et parfois pour le pire. Car le bond technologique entre les deux trilogies a pour effet direct d’avoir totalement lissé le visuel du Hobbit. Plutôt que de filmer ses scènes dans une vraie forêt (c'est le cas dans la séquence finale de la Communauté de l’Anneau), Jackson préfère désormais s’appuyer sur des décors élaborés numériquement, afin de se donner davantage de latitude en terme de mise en scène (en terme de caméra tournoyante, en fait). Et cela crée une distance entre le film et son spectateur. Là encore, il est question d’implication, ou plutôt de manque d’implication, comme si l’on assistait davantage à de la cinématique de jeu vidéo, plutôt qu’à une scène d’aventure qui nous clouerait sur notre siège. On regarde tout ça d’un œil détaché. Les scènes de batailles manquent de sueur, de sang et de poussière ; là où celles de la précédente trilogie sentaient le cuir et la transpiration, où l'on voyait les corps et le métal s'entrechoquer violemment, et ce malgré le gros apport du numérique (en particulier grâce au logiciel Massive, très utile pour les grandes scènes de foule car capable de créer à l'infini des personnages numériques autonomes dans leur mouvement).
Ce même problème se pose en ce qui concerne les personnages. Dans Le Seigneur des Anneaux, la menace venait entre autres des Uruk-haï, créatures mi-orques mi-gobelins représentées à l’écran par la bonne vieille méthode du bonhomme dans un costume (technique qui continue de faire ses preuves). Par le biais de prothèses et de maquillages ultra élaborés, nous avions face à nous des monstres effrayants car tangibles, voire réalistes. Sur le Hobbit, la menace est personnifiée par un certain Azog, un Orque en motion-capture tout en pixels, sans consistance, sans charisme, malgré son animation numérique quasi parfaite...
Lucas, le rebelle devenu empereur
Loin de nous l’envie de jeter tous les effets spéciaux numériques à la poubelle pour revenir au bon vieux temps des maquillages à l’ancienne. Bien utilisés, et avec parcimonie, les CGI constituent un apport essentiel au monde du cinéma, mais quand ceux-ci servent une histoire, pas quand c'est à l'histoire de les servir. Bon nombre de réalisateurs sont passés maître dans l’utilisation intelligente des effets numériques (Steven Spielberg, Paul Verhoeven, James Cameron, Alfonso Cuaròn). On a le sentiment que Peter Jackson prend beaucoup de plaisir à utiliser tous les moyens mis à sa disposition, sans pour autant se rendre compte de l’impact négatif que cela peut avoir sur le ressenti du spectateur et sur l’aspect global de ses films. Une des anecdotes qui résume à elle seule les nouvelles méthodes de travail de Jackson concerne Ian McKellen. Cet acteur shakespearien de 75 ans, ayant tourné dans une centaine de films, a craqué sur un plateau de tournage : après s'être débattu pendant plusieurs heures dans un décor en fond vert avec pour seuls partenaires de jeu des tiges surmontées de balle de tennis, McKellen a fondu en larmes, allant même jusqu'à s'exclamer "ce n'est pas pour faire ça que je suis devenu acteur !".
Même diagnostic concernant les trois derniers épisodes de Star Wars, dans lesquels Lucas semble avoir totalement abdiqué en terme de mise en scène, préférant s'intéresser davantage à ses effets spéciaux. Ce qui était au service de l'histoire sur la précédente trilogie semble ici guider l'histoire, et Lucas peut désormais se reposer intégralement sur sa post-production pour combler les trous. Attention : l'abus de fond vert est dangereux pour le cinéma. On n'est pas prêt d'échanger un baril de la Bataille de Hoth dans L'Empire contre-attaque contre trois barils de la bataille de Géonosis dans L'Attaque des Clones, malgré ses milliers de figurants et ses centaines de véhicules tout-terrain. Et puis on ne reviendra pas sur l'attitude quasiment révisionniste de Lucas, à vouloir modifier la trilogie originale à coups de pinceaux numériques qui n'ont aucun sens. Ils ont même tendance à pervertir le sens initial de certaines séquences ("Han shot first !"), et tendent à démontrer une fois de plus la folie mégalomaniaque dans laquelle Lucas semble s'enfermer. Il est triste de voir un esprit autrefois frondeur, qui s'était battu pour ses idées, devenir aujourd'hui esclave de sa création et de la technologie.
Finalement, rien ne vaut une pipe
Inévitablement, il y a dans Le Hobbit une forte impression de redite que Peter Jackson ne peut éviter. Impossible de ne pas voir de similitudes entre les personnages d’Aragorn et Thorin (deux rois déchus en passe de retrouver leur trône), entre les Elfes Arwen (Liv Tyler) et Tauriel (Evangeline Lilly), entre les combats finaux de La Bataille des Cinq Armées et ceux du Retour du Roi, ou entre les Deus ex machina qui viennent conclure ces mêmes batailles. Mais c’est après la bataille qu’arrive la meilleure scène du film, sans doute la meilleure de toute la trilogie : Bilbo et Gandalf, assis côte à côte, silencieusement. Bilbo apparait soulagé, tandis que Gandalf est occupé à bourrer tranquillement sa pipe. À ce moment-là, un ange passe (c’est une image évidemment, Peter Jackson n’est pas allé jusqu’à numériser un ange géant), les deux personnages sont enfin apaisés, avec le sentiment du travail bien fait et d’une aventure conclue de la meilleure manière possible. Et c’est ce genre de scènes dont cette seconde trilogie aura malheureusement manqué : aucune musique, aucun dialogue, juste du jeu d’acteurs. On rêve alors de ce qu'aurait pu donner ce Hobbit dans les mains d'un autre réalisateur avec un regard frais et nouveau sur l'oeuvre de Tolkien, une approche moins centrée sur le spectaculaire et ses effets visuels, davantage sur les personnages, mais on ne saura jamais ce que ça aurait pu donner.
En revanche, nous aurons la joie de voyager de nouveau vers les étoiles, en décembre 2015. J.J. Abrams a pris les commandes de Star Wars VII après avoir fait ses preuves sur la nouvelle franchise Star Trek. George Lucas a enfin décidé de transmettre le flambeau, et l'on espère que cette troisième trilogie retrouvera l'essence même de la première. Tout comme on espère voir un jour une nouvelle trilogie consacrée à l'oeuvre de Tolkien (il reste toujours Le Silmarillon, réputé inadaptable), même si ce n'est pas envisageable aujourd'hui pour des questions de droits. En attendant, pour la seconde fois en 11 ans, nous disons adieu à la Terre du Milieu, mais cette fois sans avoir la moindre envie de nous retourner.
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Cypri3n22 janvier 2015 Voir la discussion...
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CineRico31 mars 2015 Voir la discussion...
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Flol31 mars 2015 Voir la discussion...
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FilmsdeLover5 décembre 2015 Voir la discussion...
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Flol5 décembre 2015 Voir la discussion...
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ProfilSupprime16 octobre 2018 Voir la discussion...
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camillelokta28 décembre 2015 Voir la discussion...
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ProfilSupprime16 juillet 2018 Voir la discussion...
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jared33325 mai 2018 Voir la discussion...
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jared33325 mai 2018 Voir la discussion...