Y a t-il un ghetto du cinéma gay et lesbien?
Encore passible de censure dans certains pays, la représentation de l'homosexualité est néanmoins de plus en plus fréquente au cinéma. Pour autant, cette représentation reste majoritairement cantonnée à un genre qu'on appelle sommairement LGBT, queer ou gay et lesbien.
A l'occasion de la sortie du lumineux film d'Ira Sachs, Keep the lights on, qui suit de près le somptueux Laurence Anyways de Xavier Dolan, posons la question : le cinéma queer peut-il enfin sortir de son ghetto?
Keep the lights on d'Ira Sachs (2012)
Il suffit de trainer dans les rayons de votre boutique de DVDs préférée pour vous rendre à l'évidence : les films sont là, classés à part. Comédie, horreur, drame, science-fiction... Et puis, le rayon "cinéma gay et lesbien". Les films qui s'intéressent aux homos sont-ils si singuliers qu'ils méritent leur propre rayon (quand il n'est pas mélangé avec les films érotiques) ? Une romance mettant en scène des gays ou des lesbiennes, n'est-elle pas avant tout une romance ? Tel est le cas du Droit du plus fort de Fassbinder. Le film met en scène deux homosexuels, mais qu'importe, le réalisateur dépeint avant tout une histoire d'amour sur fond de mélodrame.
Pourtant dans la catégorie "gay et lesbien", quand les titres des films ne semblent pas suspects (genre, Le Voyeur des vestiaires), les films semblent être inconnus pour la plupart. Le cinéma tente depuis maintenant quelques années de faire accepter l'homosexualité pour ce qu'elle est, c'est à dire un ensemble hétéroclite d'histoires de cul et d'amour comme les autres. Et pourtant, rares sont encore les réalisateurs qui abordent le sujet tout en arrivant à toucher un public large.
Il y a évidemment des exceptions : Le Secret de Brokeback Mountain d'Ang Lee a ainsi marqué un tournant. Pour une fois, un réalisateur arrivait à dépeindre une histoire d'amour digne d'un film classique hollywoodien, entre deux hommes. Le film avait conquis le coeur du grand public, tout en raflant quelques récompenses prestigieuses. Cependant, les films qui traitent du sujet avec un minimum de finesse et sans condescendance, comme I Love you Phillip Morris récemment, se comptent malheureusement encore sur les doigts de la main. Le cinéma gay et lesbien reste souvent associé à un cinéma "underground" mal connu et donc potentiellement méprisé.
Sean Penn dans son rôle d'Harvey Milk
Le cinéma gay et lesbien, un genre à part ?
La réponse semble évidente. Oui, il existe un genre et donc une forme de ghetto du cinéma gay et lesbien. Si nombre de cinéastes réfutent pourtant cette catégorisation, les genres au cinéma permettent notamment aux distributeurs de se situer clairement dans une niche, et donc de cibler leur public. Le genre dirige et éclaire le spectateur dans son choix. Elle s'adresse donc avant tout à un public communautaire, qui comprend les codes du genre.
Cependant, les rayons de la Fnac sont parfois trompeurs et regroupent des films qui n'ont parfois rien à voir. Ce qu'on appelle aujourd'hui le "cinéma gay et lesbien" peut correspondre aussi bien à des films d'auteur prestigieux récompensés en festival qu'à des romances télévisuelles sorties directement en DVD, sans parler de la veine érotique et pornographique. On met ainsi tout le monde dans le même panier, et cela n'est pas sans conséquence.
Cette classification a tendance à brider toute créativité artistique pour se conformer aux normes commerciales. Elle oblige aussi à regarder ces films sous un angle forcément réducteur. C'est ainsi que bon nombre de films sont relégués dans la case "cinéma queer" sans vraiment s'en réclamer. Il suffit parfois d'une simple situation, ou même d'une scène, pour catégoriser le film. Une recherche sur internet de films à thématique queer permet de s'en rendre compte. Aussi surprenant que cela puisse paraître, Persona d'Ingmar Bergman se retrouve souvent relégué dans cette catégorie. Hormis une scène ambiguë, le film n'aborde en aucun cas le thème de l'homosexualité.
Ainsi My Own private Idaho, film culte s'il en est, se retrouve dans cette section. Le film de Gus Van Sant transcende pourtant largement les questions de l'homosexualité et de l'identité sexuelle ; c'est une identité tout court que le personnage de Mike (River Phoenix) recherche en essayant de retrouver sa mère, ne se sentant à sa place nulle part. Le film s'apparente autant à un road movie ou à un drame qu'au cinéma gay...
My own private Idaho (1991)
Les festivals : célébrer la différence
Ces dernières années, et cela depuis 1980, les festivals de cinéma gay et lesbien ont fleuri dans le monde entier. Il existe aujourd'hui pas moins de 120 festivals LGBT (Lesbiennes, Gays, Bis et Trans), dont 17 en France. Les prestigieux festivals de Cannes, Venise et Berlin ont également leur "prix gay".
Ainsi, la croisette a vu débarquer sur son tapis rouge la Queer Palm, créée par le journaliste Franck Finance-Madureira. Ce prix a pour but de récompenser un film présenté dans les différentes sélections du festival et traitant d'un thème "altersexuel". L'idée est de mettre en avant ces films pour rappeler la nécessité de l'égalité des droits. Franck Finance-Madureira déclare ainsi : « je pense que c'est vraiment intéressant d'avoir des films un peu 'repères' qui permettent de se dire qu'on n'est pas seuls, que si ce qu'on vit n'est pas la norme, cela peut être une façon d'être normal ».
Même si la démarche est louable, on ne peut s'empêcher de penser qu'elle a quelque chose de grégaire. Car indépendamment de la façon dont l'homosexualité est traitée, elle se voit investir d'une valeur spéciale par ces prix. Alors qu'évidemment, le fait que les personnages soient homos ou hétéros n'intervient pas dans le jugement de valeur qu'on peut porter sur un film. Et c'est en créant ces sortes de ghettos que l'homosexualité n'est pas célébrée, mais bel et bien enfermée.
Quel besoin avait-on de mettre en avant des films pour leur représentation de communautés spécifiques, quand ils figurent déjà dans les autres sélections ? Ce prix ne fait finalement que labelliser ces films en leur collant une étiquette.
A single man (2009)
La dimension universelle du genre
Keep the Lights on d'Ira Sachs est porteur de cet espoir, de cette nouvelle façon de traiter de l'homosexualité au cinéma. Longtemps filmée comme un fait social, en référence à une norme hétérocentrée, l'homosexualité dépeinte dans le film d'Ira Sachs dépasse de loin toutes ces considérations. L'histoire d'amour entre Erik (Thure Lindhardt) et Paul (Zachary Booth) prend une dimension universelle, transposable à n'importe quel couple. Il faut dire que le réalisateur s'intéresse plus à leurs sentiments et à leur dépendance à la drogue qu'à leur sexualité.
Les Amours imaginaires de Xavier Dolan avait aussi amorcé cette tendance. Le film raconte l'histoire de deux amis, un garçon et une fille, qui tombent simplement amoureux de la même personne. Francis (Xavier Dolan) et Marie (Monia Chokri) se retrouvent dans la même situation : celle, où l'on se plait à s'imaginer dans les bras de l'être aimé, à construire les scénarios d'un amour fantasmatique. L'une est hétérosexuelle, l'autre homosexuel, et pourtant, la souffrance de l'amour à sens unique reste la même. Le spectateur peut alors s'identifier au personnage quelle que soit sa sexualité.
Les amours imaginaires (2010)
Pour autant, c'est seulement en se confrontant à la mise en scène d'une expérience spécifiquement homosexuelle que le cinéma éprouve l'universalité du genre. Si un réalisateur se décide à raconter le coming out d'un personnage, le film peut avoir tendance à virer au fait de société télévisuel si on ne s'identifie pas au personnage. L'enjeu pour le cinéaste est alors de savoir rattacher cette expérience à quelque chose de plus universel, pour ne pas s'adresser uniquement à une communauté qui la comprend déjà.
Sortir du ghetto, abandonner le confort esthétique et économique d'un cinéma s'adressant exclusivement à une communauté naturellement réceptive (qu'on pourrait presque apparenter au cinéma d'exploitation des années 70), c'est un pari qui ne peut être relevé que par des cinéastes extrêmement talentueux. Sachs et Dolan en font parti.
Image © Alarum Pictures, Focus Features, New Line Cinema, Mars Distribution, Alliance Atlantis Vivafilm
PS: Laurence Anyways, c'est hyper mauvais comme film...
Imagine Me & You = comédie romantique qui se veut trop beau pour être vrai. La seule originalité de ce film, c'est que ce sont deux femmes, sinon ce film est d'un classicisme ennuyeux ^^