A perdre la raison : rencontre avec Tahar Rahim et Emilie Dequenne
Dans A Perdre la raison, Joachim Lafosse cherche à comprendre ce qui peut pousser une mère à commettre l'innommable. Comme son nom l'indique, le réalisateur belge de 37 ans sonde les multiples raisons qui peuvent pousser une mère à l'infanticide. Un film sensible et éprouvant, parfaitement maîtrisé, dont nous parlent les deux acteurs, Tahar Rahim et Emilie Dequenne lors de sa présentation en avant-première au Festival Paris Cinéma.
Emilie Dequenne et Tahar Rahim © Brice Lahaye
?Comment peut-on commettre un tel acte ??, c'est la question que se sont posés tous ceux qui ont eu vent de l'affaire Geneviève Lhermitte. En 2007, à Nivelles en Belgique, cette jeune femme avait tué ses cinq enfants de sang froid. Le film est né de cette interrogation. Suggérer le drame pesant tout au long du film pour en dessiner la violence sous-jacente. Comprendre ce qui fait vaciller et peut pousser à perdre la raison. La violence n'est que suggérée, Joachim Lafosse lui préfère la douceur, la banalité d'un quotidien verrouillé.
Du fait divers à la fiction
Filmé comme un thriller, le film pose dès la scène d'ouverture ses enjeux tragiques. Comme toute bonne tragédie, la fin est connue d'avance : Murielle (Emilie Dequenne) est étendue sur un lit d'hôpital, le visage en larmes, demandant à ce que ses enfants soient enterrés au Maroc selon la volonté de son mari, Mounir (Tahar Rahim). Parallèlement, un plan montre quatre cercueils d'enfants disposés sur un tapis roulant dans un aéroport. Pas de suspens donc. Des moments heureux du couple à la séquence finale, la mise en scène distille le mal qui ronge la jeune femme, comme un poison qui se répandrait petit à petit.
Si le film s'appuie sur les éléments du fait divers de Nivelles, ce dernier n'est qu'une source d'inspiration pour le réalisateur. Ce qui n'a pas empêché la polémique de gonfler lors de la sortie du film en Belgique, ramenant le débat autour de la responsabilité morale de l'oeuvre d'art sur le devant de la scène. Une oeuvre est-elle en effet à ce point indépendante du fait dont elle s'inspire ? Pour Tahar Rahim, il ne s'agit que d'un canevas sur lequel prend appui l'oeuvre de fiction...
Suggérer pour mieux comprendre
Le film s'attarde sur la question du ?comment une mère peut-elle en arriver à commettre à un tel acte?. Le réalisateur cherche à comprendre les ressorts d'un acte que tous jugent ?impensable?. La mise en scène ne fait que suggérer la violence, l'innommable reste hors champ. Le réalisateur va chercher dans le quotidien les éléments annonciateurs, les signes avant-coureurs de la tragédie qu'on sait tapie dans l'ombre.
Le mal de mère
Dans A Perdre la raison, Murielle évolue dans une relation triangulaire qui la cantonne à son rôle de mère. André Pinget (Niels Arestrup), médecin, sorte de père de substitution pour Mounir qui l'a fait venir du Maroc alors qu'il était enfant, s'improvise bienfaiteur du couple. Il paiera le voyage de noces auquel il sera par ailleurs convié et mettra la famille naissante à l'abri du besoin. La relation fusionnelle unissant les deux hommes ne va pas tarder à étouffer la jeune femme. L'étau se resserre, Murielle voit sa vie lui échapper, ce qui la laisse dans une dépendance affective et financière. Elle reprendra alors le contrôle de ses enfants, d'une bien tragique façon. Emilie Dequenne a envisagé le personnage de Murielle, comme pétrie de psychoses : ?je pense que c'est une femme qui ne peut exister qu'à travers les autres, elle n'envisage pas l'autre, elle est les autres (...). Elle ne va vivre qu' à travers le regard des deux hommes et à partir du moment où elle va enfanter, elle choisira de n'être plus que mère?.