Le Samouraï / Ghost Dog
Le remake de la semaine n'est pas vraiment un remake, mais plutôt un hommage appuyé : Le Samouraï (Jean-Pierre Melville, 1967) et Ghost Dog (Jim Jarmusch, 1999). Deux films à l'ambiance et aux personnages similaires, mais qui diffèrent radicalement au niveau de l'esthétique et de la réflexion.
Melville est connu pour ses polars couillus comme Le Doulos ou Le Deuxième Souffle. Ces films sont peuplés par des hommes, des vrais : froids, virils et violents. Les intrigues sont épurées à l'extrême et les acteurs jouent plus souvent des archétypes que des personnages à la psychologie fouillé. Le Samouraï est un films d'homme au singulier, tragique et désespéré.
Jarmusch affectionne lui aussi ces personnages, mais les siens sont souvent paumés et marginaux.
Le Samouraï raconte l'histoire de Jef Costello (Alain Delon), un tueur à gages froid et mystérieux. Ghost Dog (Forest Whitaker) est aussi un tueur du même genre, mais dont la vie est dictée par le bushido (le code d'honneur des samurais féodaux). Au delà du pitch de base, identique, les hommages et les clins d'oeils de Jarmusch sont nombreux.
Le tueur : Chez Melville et Jarmush le personnage principal est particulièrement énigmatique et il n'est pas aisé de comprendre leurs motivations. L'apparence du personnage va dans ce sens avec le chapeau et l'imperméable beige de Delon qu'il porte à la manière d'un uniforme. Forest Whitaker a lui aussi un uniforme, mais c'est devenu un simple sweat à capuche noire passe partout pour pouvoir évoluer dans un New-York violent et agressif.
Les compagnons du tueur solitaire sont quasiment inexistants, une maîtresse (Nathalie Delon) chez Melville et un marchand de glace (Isaach de Bankole) pour Ghost Dog. Dans les deux cas le tueur n'arrive pas vraiment à communiquer et il ne semble etre proche que des oiseaux.
Des pigeons voyageurs pour Ghost Dog :
Un canari qui l'avertit de la présence d'ennemis pour Jef Costello :
La ville : Le Paris gris des années 60, laisse place au New York ensoleillé des années 90. Les deux villes paraissent malgré tout inquiétantes et le tueur se fond dans ce paysage urbain avec une facilité déconcertante (cf. La scène de vol de voiture identique dans les deux films).
La musique : La musique des deux films contraste avec la nature froide et clinique du héros. Que ce soit le jazz be-bop pour Melville et le hip hop urbains pour Ghost Dog, dans les deux cas la musique rythme le film (musique du grand François de Roubaix), autant que la démarche lancinante et assurée du tueur.
La Mort : Le Samouraï et Ghost Dog ont pour point commun de finir mal pour leur personnage principal. Dans les deux films le tueur s'avance avec un pistolet non-chargé, cherchant volontairement à se faire trouer de balle. Chez Melville, Jef Costello marche vers la police désarmé car il considère avoir échoué dans sa mission, alors que Ghost Dog accepte de mourir sous les tirs de son maître Louie, car c'était l'unique manière de remplir sa mission jusqu'au bout.
Dans les deux cas la mort est vue comme un choix car il est en accord avec la philosophie et les codes de conduite, qui représentent toute la vie du tueur. Il ne tue plus par amour/argent/intérêt (rayez la mention inutile), mais uniquement parce que c'est sa nature. La mort n'est pas considérée comme quelque chose de tragique et injuste, mais comme une étape logique de la vie, aussi naturelle et prévisible que la naissance.
Dead Man préfigurait déjà ce sujet morbide pour Jarmusch. En s'inspirant du Samouraï de Melville, il va encore plus loin et ne montre pas un personnage qui s'initie à accepter sa propre mortalité, mais un personnage déjà mort, privé de sa pulsion de vie et qui traverse le film comme un fantôme tragique.